Un regard déplacé, une phrase inappropriée sur leur tenue ou encore un sous-entendu les ramenant au statut de mère. Un grand nombre de femmes chefs d’entreprise ou cadres ont subi des remarques sexistes de leur hiérarchie ou collègues au cours de leur parcours professionnel. Petit florilège de ces propos entendus et souvent vécus comme dévalorisants ou infantilisants.
“Tu n’as qu’à mettre un beau décolleté ou une jupe”
Marie-Pierre Doutriaux, 52 ans, créatrice et gérante de Marie en Mai, une société spécialisée dans la création et la fabrication d’objets de décoration :
“Avant de monter mon entreprise, j’ai travaillé dans l’assistance à la maîtrise d’ouvrage. Quand j’allais démarcher les clients, mon patron de l’époque et mes collègues me disaient ‘Tu y vas, tu n’as qu’à mettre un beau décolleté ou une jupe’. Bien sûr, c’était dit avec le sourire mais c’est violent. Ça voulait dire va faire la prostituée ! On ne demande pas à un homme s’il a une belle cravate et à la limite on lui demande juste de ne pas la tacher. À chaque fois qu’ils me disaient cela, je leur demandais contre combien de chameaux ils voulaient m’échanger. Je me fichais d’eux car j’ai beaucoup de répartie. Mais c’était humiliant. À l’époque, les hommes qui me faisaient ces remarques avaient entre 45 et 50 ans mais j’ai l’impression que les plus jeunes aujourd’hui se comportent mieux avec les femmes dans le monde du travail.”
“Six mois c’est si petit, allez-vous être 100 % disponible ?”
Stéphanie Rousseau, 31 ans, en recherche d’un poste de commerciale dans le secteur de l’informatique et des télécommunications :
“Il y a deux mois, j’ai passé un entretien avec le bras droit du PDG d’une entreprise du secteur de l’IT pour un job de commerciale. Dans ce métier, il y a beaucoup d’événements qui ont notamment lieu le soir et le recruteur craignait que je ne sois pas libre tard pour m’y rendre car j’ai un petit garçon âgé de six mois. Il m’a dit : ‘Six mois, c’est si petit, allez-vous être 100 % disponible ?’. J’ai répondu qu’il n’y avait pas de soucis et que c’était juste une question d’organisation. Quand je dis cela, en général, le recruteur acquiesce et on passe à un autre sujet. Mais en entretien on me demande toujours si j’ai un enfant. Je comprends que les responsables du recrutement aient besoin d’être rassurés mais on nous pose la question uniquement à nous les femmes. Moi, je leur explique que mon mari s’occupe de mon enfant mais ils ont du mal à l’entendre.”
“Tu pourrais être sympa avec le client…”
Nadia Bouhaddioui, 36 ans, consultante en ressources humaines :
“Dans le cadre de mon travail on m’a souvent lancé : ‘Tu pourrais être sympa avec le client…’. Sympa mais jusqu’où ? Avec ce type de remarque, on nous renvoie à notre statut de femme alors qu’on ne demanderait pas cela à un homme. En quelque sorte on nous dit : ‘Va voir l’homme dominant et fais toi carpet’. Il y a une vraie notion de la femme objet. La femme elle doit être sympa, jolie, et avoir une jupe. Il ne faut pas non plus qu’elle soit trop grande gueule alors que chez un homme, c’est bien vu. Les femmes sont sous-représentées sur des postes clés, elles ont des salaires inférieurs à ceux des hommes mais la question qui se pose est : ‘Quand va-t-on estimer la femme sur ses compétences professionnelles au-delà de son aspect physique, de son aspect de petit objet sympathique ?’.”
“Toi je devrais te donner des claques avec mes couilles”
Sophie Malter*, 44 ans, dirigeante d’une entreprise, spécialisée dans le conseil en B to B :
“Je suis entrepreneuse et j’ai quitté le monde salarié notamment car je ressentais cette violence sexiste à l’égard des femmes. Il y a quelque temps, j’étais directrice de clientèle et lors d’une réunion seule à seule avec mon chef de l’époque, il m’a lancé : ‘Toi je devrais te donner des claques avec mes couilles’ sur le ton de l’humour. C’était un peu pour me mater. Sur le coup, je n’ai rien dit car on a un rapport employeur/ employé. On a la trouille mais on se sent salie, on sent qu’on n’a pas réagi. Par la suite j’en ai parlé avec des collègues pour extérioriser et parce que j’avais envie de savoir ce que les autres vivaient aussi. Je pense que toutes ces petites phrases soi-disant drôles rabaissent la femme et contribuent à maintenir cette différence avec les hommes. Au bout du compte, c’est une différence salariale, sur les retraites… Il faut être intransigeant. Mon boss a fini par être viré à cause de son comportement excessif. Et aujourd’hui, je gagne moins bien ma vie mais en tant que chef d’entreprise, je travaille avec une équipe que j’ai choisie et que je ne subis pas.”
*Le nom et le prénom ont été changés.
“Ce chemisier te va à ravir”
Michelle Jean-Baptiste, 42 ans, avocate en droit de l’Internet, conférencière, auteure et coach dans le domaine de l’entrepreneuriat, spécialiste en développement de projets et réseaux d’entreprise :
“Je me rendais à une réunion pédagogique pour préparer une intervention dans une école d’ingénieurs. En entrant dans la salle, l’un des participants me dit : ‘Ce chemisier te va à ravir’. Bien sûr, c’est sous l’angle du compliment mais ce n’est pas la première fois qu’on me fait ce type de remarque à propos de mon chemisier ou de ma robe. Ce jour-là, nous discutions de quelque chose de sérieux mais il a réitéré ses propos plusieurs fois au cours de la réunion. Je ne m’y attendais pas et c’était lourd. C’était appuyé donc on n’est pas dans le champ professionnel pur. Dans la salle, il n’y a pas eu de réaction. Ces petites réflexions sont banalisées. Pourtant je ne porte pas des tenues aguicheuses. C’est d’ailleurs comme cela que l’on en arrive à opter pour un habillement neutre.”
“On n’est pas à une réunion de parents d’élèves !”
Françoise Callin, 50 ans, fondatrice de Marmottine.fr, un site de vente en ligne de bijoux Made in France :
“Avant d’être chef d’entreprise, j’ai travaillé en tant que manager communication dans un grand groupe américain aux côtés du numéro 2. Un jour, nous nous sommes retrouvés pour préparer une réunion. Je lui ai énuméré les différents thèmes que nous allions aborder et ça ne lui a pas plu. Il m’a alors lancé : ‘On n’est pas à une réunion de parents d’élèves !’. À l’époque, j’avais des enfants en bas âge et sa remarque était un pic, une façon de m’atteindre. C’était sous-entendu : ‘On est dans le monde de l’entreprise, on arrête de jouer, c’est une réunion sérieuse’. Sa remarque m’a stupéfaite, je suis restée sans voix et nous avons continué la réunion comme si de rien n’était.
“Être manager, ce n’est pas seulement avoir de beaux vêtements”
Je m’apprêtais à avoir une promotion pour prendre la tête d’une équipe dans un centre de profit d’un groupe néerlandais dans lequel je travaillais et j’avais rendez-vous avec mon ,responsable. Au moment de la négociation salariale, il m’a dit : ‘Être manager, ce n’est pas seulement avoir de beaux vêtements, c’est aussi avoir des responsabilités’. Je l’ai immédiatement recadré sur du factuel et sur les chiffres que j’avais réalisés. Je ne suis pas rentrée dans le jeu de la séduction masculin/ féminin. Mais ses propos étaient déplacés. C’était en fait une manière de me déstabiliser et de rabaisser mes prétentions salariales au lieu de parler de mes résultats. Il est vrai que je suis une femme élégante. J’aime bien m’habiller et cela peut agacer les gens. Mais là, il ne m’a quand même pas ramassée sur le trottoir, j’ai fais mes preuves dans l’entreprise. J’ai fini par avoir le poste et l’augmentation mais c’est parfois à se demander s’il faut venir au travail en jean, baskets et pas coiffée pour être crédible.”
“On va laisser la parole à la petite”
Carole Martin*, 32 ans, responsable RH dans une compagnie aérienne :
“J’ai commencé ma carrière comme chargée des ressources humaines en alternance dans une compagnie aérienne dans laquelle je suis restée cinq ans. Mon boss de l’époque était plutôt paternaliste avec ses salariés et moi j’étais jeune, petite et fine physiquement. Pendant toute la période où j’ai travaillé dans l’entreprise il m’a appelé ‘ma petite’ comme si j’étais sa petite fille. Il me disait ‘Ça va ma petite’ quand il me croisait. En réunion il disait aussi ‘Alors on en est où ma petite’ ou encore ‘On va laisser la parole à la petite’ ou également ‘La petite, elle a quelque chose à présenter’. Il tenait ces propos devant tout le monde mais personne ne réagissait même si certaines personnes étaient peut-être choquées. Moi non plus je n’ai jamais osé lui répondre. Quand j’ai commencé j’étais apprentie et après, c’était ancré. Pour lui ce n’était pas malveillant, c’était plutôt affectif mais je pense que ses remarques infantilisantes m’ont desservie. Je m’interroge toujours : est-ce que les gens m’ont toujours prise pour une nénette débutante ou avais-je la stature de cadre responsable RH dans cette entreprise ?”
*Le nom et le prénom ont été changés.
“Je vous embauche mais êtes-vous prête à ne pas avoir d’enfant pendant un an ?”
Fanny Walter, 42 ans, coach de managers :
“J’avais 28 ans et à l’époque je cherchais un poste de responsable commerciale dans une entreprise de conseil et de service informatique. J’ai passé un entretien, qui s’est bien passé, avec le directeur commercial de la société. À la fin, il me précise que je corresponds au profil et qu’il m’embauche à une condition. Il me dit sans détour : ‘Je vous embauche mais êtes-vous prête à ne pas avoir d’enfant pendant un an ?’. Bien sûr, je me suis dit que ce n’était pas normal de demander cela et que si j’étais un homme on ne m’imposerait pas ce type de condition. Mais j’ai joué le jeu. Pendant une année, je ne suis pas tombée enceinte et passé ce délai, j’ai eu un enfant. Je me suis dit que j’avais respecté l’engagement entre nous et il n’a rien pu me dire.”