Temps de lecture estimée : 5 minutes
Avènement du télétravail, réduction des mètres carrés de bureaux. On en oublierait presque que le confinement nous a apporté une transformation organisationnelle unique intégrant l’Humain. Par Loïc Le Morlec, spécialiste en organisation.
Qui aurait pu penser un jour que le responsable des services généraux deviendrait le Champion de la stratégie organisationnelle de l’entreprise ? Sûrement pas lui. Ce rôle de leader dans les grands groupes est généralement dévolu à celui dont le budget est impacté.
Nous sommes confrontés à quelque chose d’inédit dans l’histoire des réorganisations, car c’est la 1ère fois que celle-ci ne vise pas à baisser la masse salariale mais éventuellement le coût de l’immobilier, impliquant la réduction de mètres carrés plutôt que d’effectifs. Elle avait pourtant très mal démarré.
L’open-space, ou la poursuite de la déshumanisation
Entamée à la fin du siècle précédent avec la mise en place des ERP et du management par les process, la déshumanisation de l’entreprise s’est poursuivie ces dernières années avec les open-space. Alors même que visant clairement à réduire les mètres carrés des sièges sociaux, on a pu entendre des dirigeants donner comme prétexte : « c’est ce que veut la jeune génération ». Ou encore que l’open-space faciliterait la relation quand bien même les études sur le sujet montrent le contraire.
Constatant alors par elles-mêmes cette dégradation, qu’ont fait des entreprises ? Difficile de retourner en arrière à cause des budgets. Qui irait augmenter les coûts au nom de l’Humain ? Même pour revenir à la situation précédente ? Certaines ont alors tenté de limiter la casse. On a vu alors fleurir dans les recoins des open-space de curieux aménagements. Afin de ne pas perturber le silence sépulcral du plateau, des sarcophages ont été installés (malheur au claustrophobe) afin de pouvoir téléphoner tout en garantissant le silence de l’open-space. Sans parler de ces couloirs avec des cages de verres alignées, où comme dans un zoo on regarde de curieuses espèces échanger entre elles, rappelant qu’un jour la vie existait aussi dans les entreprises et que les humains se parlaient.
Qu’avons-nous oublié pour en arriver à cela ? Face à la baisse visible du budget frais généraux, il serait intéressant que les dirigeants se penchent de nouveau sur les travaux pourtant pas si lointain d’Henri Savall. Sa théorie des coûts cachés est plus que jamais actuelle dans un monde où l’impact de l’Humain ne se compte pas dans les diverses lignes du compte de résultat mais touche fortement la performance avec la particularité de ne pouvoir aisément se mesurer.
LIRE AUSSI : Travail, management : “Il y aura un avant et un après confinement”
Quand des mètres carrés de bureaux conditionnent l’organisation des entreprises
Le chaos a ceci de particulier qu’il remet en cause l’ordre établi. On en voit en général très vite les conséquences négatives avec les portes qui se ferment devant vous, souvent très violemment. On risque par ailleurs de passer à côté de celles qui ne demandent qu’à s’ouvrir. Les opportunités demandent à ce qu’on aille les chercher. Le travail confiné, est venu bousculer l’ordre établi des organisations. Le déconfinement est venu remettre en cause l’open- space au nom de la distanciation.
Il aura donc fallu un virus pour nous rappeler que l’Humain a besoin d’espace pour bien travailler. En obligeant les entreprises à se questionner sur comment intégrer désormais le télétravail dans leur organisation, l’après confinement préfigure ainsi de la plus importante et innovante transformation managériale de ces dernières décennies. Si on a vu passer des modes managériales au cours des 5 dernières années, celles-ci ont le point commun d’être plutôt confidentielles, quasiment virtuelles. On assiste ainsi à quelque chose d’unique à venir dans l’histoire des organisations.
La 1ère transformation massive avec l’Humain et pas à son détriment
Les réorganisations des entreprises ont historiquement comme objectif de baisser la masse salariale au nom du principe de faire aussi bien avec moins. Ici, le gain financier concerne la réduction des mètres carrés avec parfois des dizaines de millions d’euros en jeu.
Mieux, cette transformation à venir intègre également un bénéfice appréciable pour le salarié, ne serait-ce que par la diminution des temps de transport. Quelle innovation dans le passé a pu voir à la fois une baisse des coûts conjuguée au bien-être des personnes ?
Le télétravail touche tous les secteurs, quel que soit la taille ou le type de gouvernance. C’est probablement un sans précédent. Même si les modes managériales actuelles se rêveraient universelles, elles se constatent concrètement dans des environnements spécifiques. L’organisation d’une start-up est à des années-lumière de celle d’un grand groupe. La transformation organisationnelle à venir touche autant l’une que l’autre.
LIRE AUSSI : “Si nous négocions bien l’après-coronavirus, notre rapport au travail changera” (R. Gori)
Réduire cette transformation au télétravail serait une faute
Considérer que cette transformation à venir se résumerait à déterminer un % entre télétravail et présentiel serait une erreur stratégique. Patrick Bouvard, philosophe dans l’âme et rédacteur en chef du site RH INFO définit le télétravail comme « le temps de la concentration ». Cette image est très juste, montrant d’un côté l’efficacité supérieure du salarié pendant ce temps particulier, et à contrario le dysfonctionnement d’en faire des journées comme les autres à base de réunions ou de perturbations constantes.
Ce temps chez soi (ou en tiers lieu) c’est la part d’indépendance dans l’autonomie. L’autonomie implique de l’interdépendance sinon cela s’appelle de l’indépendance. Le temps dans l’entreprise est donc celui du collectif, du collaboratif, de la coopération. Il est celui de la meilleure créativité, de la formation, de l’intégration des nouveaux arrivants. Il est celui où se vie et donc se comprend la culture de l’entreprise et son environnement. Il est aussi celui de la mobilisation, quand la situation demande à être tout aussi réactif qu’imaginatif. Parler de présentiel n’est pas simplement réducteur, c’est oublier la philosophie de l’entreprise qui est de faire œuvre commune.
LIRE AUSSI : À quoi ressembleront les bureaux après le confinement
Une opportunité unique
La part de télétravail d’un poste ne devrait donc pas se calculer arbitrairement mais collectivement dans chaque service afin d’adapter au mieux son organisation à ces contraintes nouvelles, comme le souligne Maxime Robache spécialiste du télétravail. Yves Morieux, économiste au Boston Consulting Group pointe dans son ouvrage Smart Simplicity la complication des organisations de ces dernières années. Les entreprises auront donc tout intérêt à voir le nombre de jours de télétravail comme la conséquence de réorganisations par service plutôt que d’en définir un objectif préalable. Ne pas profiter de cette opportunité unique serait compliquer encore plus l’entreprise et prendre le risque d’augmenter significativement ses coûts cachés.
On pourrait parler également de la transformation managériale que cela implique ou encore des questions que le confinement a posé sur la valeur apportée des postes et de leurs propriétaires. Les sujets sont complexes et ne manquent pas. Ils confirment la dimension exceptionnelle de cette transformation. L’entreprise en fera-t-elle un projet immobilier ou un projet de l’Humain avec des conséquences sur l’immobilier ? La plupart du temps, bien poser la question amène la réponse. Il faudra juste bien choisir son Champion.
L’auteur
Loïc Le Morlec, ancien cadre supérieur de grands groupes (Danone, Diageo, Nestlé Waters, Veolia, Univar France), est spécialiste en organisation.