Management

Comment les entreprises peuvent-elles en finir avec les managers toxiques ?

Les managers (souvent involontairement) toxiques peuvent affecter la productivité et le bien-être des collaborateurs. Une vraie problématique, en cette période de grandes démissions et de quiet quitting. François Geuze, expert en RH, et Donatienne Guingamp, DRH du cabinet Colombus Consulting, nous livrent leur retour d’expérience et leurs conseils pour identifier et gérer efficacement ces mauvais chefs d’équipe, et ainsi, contribuer à créer un environnement de travail plus sain et performant.

Les managers toxiques sont-ils nombreux ?

Donatienne Guingamp : Il n’y en a pas énormément. Mais des formes de management peuvent être toxiques, et affecter le bien-être et la performance des collaborateurs. Il faut donc être vigilant face à cela. Ceux qui le sont par un comportement récurrent et extrêmement fort, pratiqué sur leurs équipes, sont rares. Souvent, on rencontre plutôt des managers maladroits, qui sont toxiques par maladresse.

François Geuze : Je ne suis pas certain qu’il y en ait énormément, et que nos entreprises soient « irriguées » par de nombreux esprits pervers, qui prennent un malin plaisir à être toxiques avec leurs collaborateurs. La toxicité managériale évolue et ruisselle. Elle s’évalue à mes yeux au regard d’un environnement. Le management toxique se regarde au travers de modalités d’organisations, de structurations des équipes, de communications bonnes ou mauvaises, ainsi que de pressions ou de contraintes temporelles. Lorsque des ordres sont donnés et qu’il n’y a pas de possibilités de lâcher du lest, l’on approche d’une forme de toxicité, qui finit par s’auto-alimenter : dans un système extrêmement contraint, les individus se dédouanent sur les autres.

Je pense ainsi que certains managers sont considérés comme étant toxiques, principalement parce que les contraintes auxquelles ils sont confrontés par leur environnement (lui-même managérial ou organisationnel) les font vivre dans une certaine forme de toxicité. J’évolue en tant que manager dans un univers toxique, et cette toxicité, je la partage avec mes collaborateurs. Revenons à notre système contraint et rigide : pris par le temps, les discussions autour d’un certain nombre de décisions, qui peuvent apparaître inadaptées aux yeux des autres, sont négligées. Les gens ne travaillent pas ensemble, mais les uns à côté des autres, sans se parler. La communication est insuffisante, on ne connaît plus la réalité du terrain, et on perd ainsi la dimension de la relation sociale en tant que telle. Le manager toxique ne l’est donc pas par nature : il le devient. Les « vrais » toxiques, les « méchants », sont à mes yeux une petite minorité. Les autres sont des personnes qui sont toxiques malgré elles.

LIRE AUSSI : Surmenage des managers : entre tabou et prévention

Comment agir en amont et prévenir le management toxique à la source ?

FG : Quand un manager se retrouve à devoir gérer des projets dans une situation complexe, avec des décisions difficiles à prendre, il faut l’accompagner dès le départ. La solitude du manager n’est pas un vain mot. Il faut tout faire pour éviter que cette solitude le pousse vers la toxicité, malgré lui. Il peut être intéressant de créer des « groupes de parole » de managers, dans lesquels il serait possible de partager son expérience, son vécu et des conseils. Les DRH doivent aussi écouter les managers confrontés à une situation difficile, les aider à prendre du recul, voire leur apporter des solutions. Ils doivent enfin se poser la question de la charge de travail, ainsi que des objectifs qui ont été dévolus aux personnes (sont-ils tenables dans les délais impartis).

DG : Pour éviter ou en finir avec d’éventuels managers toxiques, la clé est l’organisation de l’entreprise. L’ambiance, la culture d’entreprise et l’organisation mise en place permettent d’éviter la présence de mauvais managers. Ainsi, les processus, les codes, les frontières et les lignes rouges que l’on applique font en sorte d’éviter à un chef d’équipe potentiellement toxique de s’installer. C’est d’autant plus le cas quand l’atmosphère est positive et favorise la parole des salariés, ou qu’elle permet à la parole de se libérer en cas de problème.

Le fait de limiter l’assise d’un manager toxique peut passer par une organisation moins hiérarchique. Chez Columbus, par exemple, la direction n’a pas de bureau attitré et il y a réellement un management de proximité qui permet à tous, quels que soient les grades, de se parler. Nous organisons aussi beaucoup d’événements conviviaux, qui permettent aux membres de l’entreprise de se rassembler et de partager entre eux des informations importantes. Les niveaux hiérarchiques sont également mélangés : vous ne travaillez pas sur des sujets internes qu’avec un manager, mais avec plusieurs, ce qui vous permet de voir différents modes de management, et de repérer s’il y a un éventuel problème dans les pratiques de votre chef d’équipe.

En parallèle, il faut développer des dispositifs de prévention, ou d’accompagnement. Nous avons mis en place un modèle de management à deux têtes : il y a le responsable de la mission (quand le salarié travaille sur une mission), et le « coach », un autre manager qui suit le parcours professionnel du salarié tout au long de son parcours dans l’entreprise. Ce « mentor » peut lui passer des messages, et inversement : le collaborateur en difficulté face à son « manager de mission » peut lui faire remonter des alertes ou lui dire qu’il n’arrive pas à communiquer avec son responsable. Ensemble, ils peuvent mettre en place des médiations, des points ou une façon de communiquer « non violente ».

La formation est aussi primordiale. Chez Colombus, nous avons formé tous nos collaborateurs, quel que soit le niveau hiérarchique, à des techniques de communication. Tous les salariés, à leur arrivée, passent par le MBTI (Myers Briggs Type Indicator), un outil de connaissance et d’intelligence de soi. Il est très utile pour comprendre comment chacun travaille et mieux communiquer ensemble. Pour le manager, c’est en outre l’occasion de prendre du recul sur son mode de comportement au travail. Nous organisons aussi des formations qui portent sur la gestion des relations difficiles, et qui permettent au collaborateur de détecter si son propre manager est en souffrance, afin de pouvoir lancer l’alerte ; et inversement.

LIRE AUSSI : Un mauvais management peut saper la productivité des salariés

Que faire dès lors que l’on repère un manager déjà toxique ?

DG : Tous les mécanismes de prévention que j’ai déjà cités permettent de repérer si quelque chose cloche. Il est aussi possible de détecter un manager toxique via des enquêtes internes. Nous avons notamment mis en place des indicateurs RH qui permettent de repérer, en fonction des arrêts maladie et du taux de turn-over, si quelque chose ne va pas dans une équipe.

Une fois que l’on a repéré un manager toxique, il faudra lui proposer un véritable coaching (interne ou externe), de proximité. L’objectif étant de l’aider, rapidement, à monter en compétences et à sortir de son mode de management néfaste pour les autres. Il est aussi possible de mettre en place des formations spécifiques pour les managers – sachant, donc, qu’ils sont souvent toxiques par maladresse. Très en amont, nos managers, surtout jeunes, ont par exemple des formations sur le leadership, durant lesquelles ils apprennent à avoir de l’empathie, à ne pas adopter une posture de « petit chef » ou à pratiquer du « micro-management », à ne pas devenir l’ami de leur collaborateur (car cela peut devenir toxique), ou encore à s’organiser. C’est aussi l’occasion de mettre, notamment, le pied sur le fait que s’ils sont excellents dans leur travail, ils ne peuvent pas attendre la même chose de jeunes collaborateurs débutants.

Le but de tout cet accompagnement est d’éviter de se séparer du manager toxique. Mais dès lors que ces mécanismes de coaching et de formation ne suffisent pas, il ne faut toutefois pas hésiter à lever le carton rouge. L’entreprise doit rester intraitable, et très engagée sur ce terrain : cela permet, in fine, de créer une culture qui empêchera les salariés devenant managers de devenir toxiques.

FG : Il faut partir du principe qu’il y a des personnes qui se retrouvent avec des situations managériales extrêmement difficiles. Elles doivent être accompagnées, pour éviter de tomber dans la toxicité. Quand malgré tout, elles y sont tombées, il faut « redonner de la respiration » : retravailler avec elles leur posture, notamment par du mentoring, ou du coaching. Quant aux « vrais » toxiques, les rares sadiques qui ne vivent que pour maltraiter leurs collaborateurs, il faut s’en séparer… en espérant que cela les fasse réfléchir.

LIRE AUSSI : “Plus un manager est émotionnellement intelligent, moins il est toxique pour son environnement”

Devrait-on aussi éviter de faire accéder « n’importe qui » à la fonction de manager ?

DG : Quand on se penche, en tant que DRH, sur le parcours professionnel d’un collaborateur, il faut être capable de refuser une promotion, de la faire attendre, et de faire mûrir le salarié. Il peut être judicieux de lui expliquer, le cas échéant, qu’il est un peu trop tôt pour le faire devenir manager, car l’on sent que sur certains des attendus pour ce grade, il n’est pas forcément prêt. Et l’inciter à renforcer ses compétences d’accompagnement, d’encadrement, de communication, ou encore d’écoute.

Prendre le temps de faire grandir un salarié permet d’éviter qu’il devienne un manager toxique, tout simplement parce qu’il n’est pas prêt pour cette fonction. A noter qu’il est aussi possible de sensibiliser les collaborateurs largement en amont ; au travers d’événements internes ou de documents de communication (plaquettes, BD…) portant sur le management toxique. Ils s’imprègnent ainsi de ces messages, bien avant de devenir chefs d’équipe.

FG : Certes, certains managers le sont devenus par erreur, mais généraliser cette idée serait en faire des boucs émissaires, d’une façon trop facile. Car globalement, la toxicité vient de l’organisation, qui a déjà choisi quelqu’un qui n’était pas compétent pour cela.

Il ne faut pas un « permis de chef d’équipe » pour accéder aux responsabilités de manager ; mais cela nécessite de prendre le temps, en proposant à la personne une formation ou un accompagnement si elle ne se sent pas à l’aise. Cela signifie aussi que pour identifier les personnes que l’on mettra en situation de management, il faut dégager certaines soft skills (communication, écoute…) dès le départ, et s’intéresser réellement au potentiel des collaborateurs sur ces compétences comportementales.

LIRE AUSSI : Devenir manager ne fait plus rêver les jeunes : que peuvent faire les entreprises pour inverser la tendance ?

 

Ajouter un commentaire

Votre adresse IP ne sera pas collectée Vous pouvez renseigner votre prénom ou votre pseudo si vous êtes un humain. (Votre commentaire sera soumis à une modération)