A cause de l’hyper-connexion, partir en vacances devient un calvaire pour beaucoup, déplore d’emblée Gabriel Pitt, Lausannois qui a travaillé dans une agence suisse de relations publiques : « Il m’est arrivé de faire des fichiers Powerpoint depuis mes congés en Malaisie et finalement, la présentation avait été décalée de trois semaines ! En entreprise, on ne fait souvent pas la différence entre l’urgent et l’important. Tout est urgent, on n’a plus de recul, la vitesse l’emporte sur tout. C’est pourquoi c’est au niveau des directions qu’il est indispensable de s’impliquer dans les démarches de déconnexion, qui ne nuisent pas à la productivité. Bien au contraire, cette dernière augmente avec l’amélioration du bien-être ! »
Il salue la France, pays pionnier dans le droit à la déconnexion, depuis 2017 avec la loi Travail : « Cela permet de déculpabiliser mais ce n’est pas suffisant. Il y a un réel besoin d’accompagnement en entreprise à travers des conseils ou des ateliers. S’il arrive que les collaborateurs reçoivent des formations techniques pour savoir se servir d’outils numériques, comme des messageries instantanées, il n’y a pas d’aide dans la maîtrise des usages. » Il a donc suivi une formation pour être expert certifié en bien-être digital et proposer du coaching (à distance ou en présentiel) avec une approche pragmatique, à travers des actions concrètes et des exercices pratiques en plus d’informations théoriques. La méthode « Master your digital habits » est présentée sur son site web Gabrielpitt.com et dans son livre « Être présent : Prenez en main vos habitudes digitales ».
L’auteur suisse précise qu’il ne s’agit pas d’une détox digitale ponctuelle : « Le bénéfice principal du bien-être digital, c’est de prendre le contrôle et de pouvoir utiliser le numérique pour atteindre ses objectifs selon ses valeurs. » Le but consiste à se détacher progressivement des écrans et réapprendre à les utiliser sous contrôle, par exemple en limitant le temps d’utilisation.
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Prenez conscience de vos usages digitaux
Le premier pas, c’est la prise de conscience souligne Gabriel Pitt : « Je ne remets pas en question l’intérêt des outils numériques mais il faut que chacun se pose la question de ce qui est pertinent pour soi. Car on a beaucoup de mauvais réflexes : par exemple, dès le matin au réveil, on est hyper-connecté et projeté dans l’instantanéité. L’addiction et l’usage excessif concernent une petite portion des gens mais une immense majorité a tout de même besoin de connaître et analyser son temps d’écran, ce que peu font en réalité. »
Dans son livre, Gabriel Pitt pose cette question cruciale : « Est-ce que je me connais mieux que la technologie ne me connaît elle-même ? » Le premier exercice est donc de se demander : Que fait-on ? Sur quels sites ou applis ? Pendant combien de temps ? Dans l’ouvrage, l’auteur incite à s’interroger toujours plus en profondeur et avec sincérité : « Est-ce que j’utilise trop mon smartphone ? Tout est dans le trop ! Est-ce que je l’utilise parce que j’en ai besoin ? (…) Ou est-ce que je l’utilise par réflexe ? Pour scroller ma page Facebook ou Instagram comme on zappe devant la télé ? » Il cite une étude allemande qui affirme que nous scrollons, en moyenne, plus de 170 mètres par jour : « Ce tunnel est épuisant pour notre cerveau, ajoute Gabriel Pitt. De plus, ce qui est important n’est pas ce que l’on fait avec les outils numériques, mais ce que l’on ne fait pas en dehors de ce temps où notre attention est captive. » Il poursuit dans ses pages : « Il est primordial de comprendre l’économie de notre attention. Par quoi sommes-nous divertis sans vraiment l’être ? Quels sont les mécanismes qui nous poussent à vivre dans le numérique, plutôt que la vie réelle ? Alors, nous comprenons mieux ce qui peut nous distraire, ce qui attire notre cerveau sans qu’on le veuille vraiment. C’est justement en analysant ces distractions que nous pouvons prendre le recul nécessaire et apprendre à nous en extraire. En prenant conscience des impacts que peuvent avoir ces distractions sur notre vie sociale, professionnelle, sportive ou amoureuse, nous découvrons à quel point nous perdons ce temps qui nous est si cher. »
Nous sommes d’autant plus accaparés que le smartphone est un couteau suisse qui nous connecte en permanence et qui est toujours à notre disposition. « L’idée, c’est de se servir des outils numériques en identifiant leurs apports et leurs bénéfices, mais aussi ce qui n’amène pas de valeur ajoutée, détaille Gabriel Pitt. Bien sûr que l’on a besoin de décompresser en surfant sur Internet ou en passant d’une appli à l’autre. Mais ça devient un problème quand on reste des heures sans s’en rendre compte. Il y a une véritable distorsion du temps, on est absorbé comme lorsqu’on assiste à un spectacle ou que l’on va voir un film au cinéma mais ces derniers ont un début et une fin, pas le « scrolling » numérique. Et d’ailleurs, que l’on soit déçu ou satisfait, cela crée une interminable boucle : c’est lié au sentiment de sérendipité, c’est-à-dire la découverte de quelque chose que l’on n’avait pas prévu. Nous cherchons en permanence à satisfaire ce plaisir avec les outils numériques, dont les algorithmes et les filtres nous incitent encore plus dans cette démarche. Et aussi via le système de récompense, reposant sur le principe des « j’aime ». »
Après avoir identifié nos habitudes, il faut mettre en place un plan d’action pour reconquérir notre temps, ce qui n’est pas facile, reconnaît Gabriel Pitt : « Il est capital d’établir une nouvelle routine professionnelle et personnelle, en s’y tenant : changer ses habitudes nécessite de la volonté, de la motivation, du temps, de la régularité, de la méthode. »
Limitez les notifications
Une action concrète consiste à limiter les notifications de messages reçus, mais aussi celles indiquant que nos interlocuteurs nous ont lu. « Même si certains paniquent à la simple idée de faire ça, et donc de ne pas savoir ce qu’il se passe, c’est un excellent exercice pour réaliser à quel point ils sont conditionnés, observe Gabriel Pitt. Il faut apprendre à gérer les attentes dans les relations inter-personnelles et la communication. » Il cite deux bons exemples qu’il a rencontrés : « Une fois, j’ai envoyé un message électronique à un dirigeant d’entreprise et j’ai reçu, en guise de réponse automatique, « mes emails ne sont ni lus ni traités pendant mon absence ». Et il est arrivé que je sois prévenu par un interlocuteur par un « bonjour, dans une semaine je serai en vacances ». Cela montre qu’il est possible de mettre de la distance, alors que, par défaut, avec les nouvelles technologies, notre attente correspond à l’instantanéité. Mais pour quoi faire ? Tout n’est pas urgent ! Et inutile de contacter les absents par d’autres biais, cela génère du stress… »
Ménagez-vous des pauses
La nouvelle routine digitale à adopter doit permettre de faire régulièrement un break, insiste Gabriel Pitt : « Notre mémoire, notre système nerveux, notre cerveau sont sur-sollicités : nous n’avons pas le temps de faire le tri, d’assimiler, de prendre du recul. Être très occupé ce n’est pas la même chose qu’être productif… On constate que les télétravailleurs ne prennent pas assez de pauses, ce qui nuit aux capacités cognitives, décisionnelles et analytiques. » Il conclut que l’être humain n’est pas fait pour être multi-tâche, à la différence des ordinateurs qui sont conçus ainsi… Mais qu’il faut savoir éteindre !
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