En quoi l’hybridation du travail a-t-elle modifié les règles du jeu de l’équilibre vie pro-vie perso ?
Depuis 2020, l’émergence du travail hybride a profondément modifié nos conditions de travail. Le télétravail, bien que bénéfique à certains égards, a introduit plusieurs défis. D’une part, il augmente la charge mentale, car il est plus difficile d’évaluer sa propre charge de travail et de déconnecter de ses obligations professionnelles, ce qui peut mener à un risque accru de burn-out. D’autre part, l’isolement peut engendrer une démotivation, en l’absence du sentiment d’appartenance à un groupe de travail. Travailler de chez soi ne favorise pas toujours la concentration, et le lien avec l’entreprise peut s’affaiblir en raison de la distance physique.
Néanmoins, face à ces enjeux, les entreprises ont adapté leurs approches. Elles ont élargi l’éligibilité au télétravail à davantage de leurs collaborateurs. En parallèle, un effort a été fait pour équilibrer le nombre de jours en présentiel et en télétravail. Cet équilibre permet d’offrir une certaine flexibilité, de réduire les temps de trajet et d’optimiser la productivité chez soi, tout en conservant le lien social en entreprise.
On observe aujourd’hui une tendance où les entreprises équipent davantage leurs salariés, y compris ceux qui ne sont pas cadres, avec des outils adaptés au télétravail. En moyenne, les salariés optent pour un télétravail entre deux et trois jours par semaine. Toutefois, cela n’annule pas totalement le risque de burn-out, de difficultés à déconnecter, et de charge mentale.
Quels sont les enjeux pour les managers, liés à cet équilibre ?
Il s’agit principalement de préserver la cohésion des équipes en instaurant un cadre commun pour le télétravail. Cela passe souvent par la mise en place d’une charte du télétravail qui établit les bonnes pratiques. Aujourd’hui, avec l’essor du travail hybride ou flexible, les entreprises tendent aussi à élaborer des plannings communs. Ceci permet aux collectifs de s’organiser collectivement, en déterminant le nombre de jours de télétravail et ceux dédiés aux rencontres en présentiel. Cet agencement est crucial : il différencie les journées axées sur la collaboration, les réunions et les rencontres sur site, des jours de télétravail où la flexibilité prévaut.
L’autre enjeu majeur réside dans l’accompagnement managérial. Depuis 2021, nous observons une montée en puissance des formations axées sur le management à distance ou hybride offertes aux managers. Il existe une pléthore d’offres de formation sur ce thème sur le marché. Il est crucial aujourd’hui de reconnaître les défis inhérents au management d’une équipe qui n’est pas toujours présente physiquement sur un même site. Cela nécessite la mise en place d’outils, pour une collaboration efficace et une circulation optimale de l’information.
Au-delà de cela, il est essentiel de définir un cadre commun sur la manière dont nous collaborons et communiquons. En ce qui concerne l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, des points de suivi réguliers sont indispensables. Ces points permettent de discuter de la charge de travail et de l’organisation, surtout dans un contexte où le travail à distance ne permet pas toujours une visibilité claire sur la charge de travail ou sur l’état d’esprit du collaborateur. Sur le plan légal, les cadres au forfait jour sont déjà tenus de réaliser un bilan annuel concernant leur charge de travail et leur forfait jour ; mais il est impératif d’intensifier cette démarche et de rendre ces points de suivi bien plus fréquents et réguliers.
Mettre en place des points de suivi réguliers contribue également à renforcer la lisibilité du travail réalisé. L’une des dimensions clés de l’engagement d’un salarié est le sentiment de reconnaissance. Lorsque le travail est effectué à distance, le manager peut avoir une perception limitée des réalisations de son collaborateur. Des rendez-vous de suivi fréquents favorisent non seulement la résolution des problèmes, mais aussi la reconnaissance des accomplissements. Cela offre au manager l’opportunité de valoriser le salarié tout en ayant une meilleure appréciation de sa charge de travail et de ses réalisations.
Le manager peut-il facilement détecter des situations où les temps de vie d’un salarié ne sont pas équilibrés ?
Des indices tels que l’envoi d’e-mails à des heures tardives, ou le fait que le salarié ne participe pas aux activités collectives (par exemple, des visioconférences), peuvent être des signes. Il ne s’agit pas de surveiller ou de « fliquer » ses collaborateurs, mais de prêter attention à ces petits détails. L’envoi répété d’e-mails à 22 ou 23 heures pourrait très bien être le mode de fonctionnement d’un salarié qui s’accorde des pauses en journée, et reprend le travail en soirée. Néanmoins, cela devrait servir d’indicateur pour le manager et l’inciter à s’interroger sur d’éventuelles difficultés organisationnelles, que rencontrerait le collaborateur dans sa journée.
Les points de suivi réguliers sont aussi, là encore, primordiaux pour détecter de telles situations. Avec les nombreux outils numériques à notre disposition, qui indiquent notamment les moments de connexion d’une personne, l’objectif n’est pas de surveiller constamment cette dernière. Il s’agit plutôt de faciliter les interactions afin d’identifier d’éventuels soucis. Un échange de qualité et un dialogue ouvert avec le collaborateur sont primordiaux pour déceler un mal-être ou des difficultés.
En outre, comme je l’ai mentionné précédemment, il est essentiel d’équilibrer les moments de travail à distance avec des occasions où l’équipe se retrouve en présentiel. Ces rencontres physiques sont une opportunité d’observer l’état d’esprit du collaborateur et sa réaction en groupe. Lorsque tout le travail est effectué à distance, il est plus complexe de saisir ces nuances.
Quelles méthodes et stratégies adoptent les entreprises les plus matures en matière de travail hybride, pour favoriser un bon équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ?
En matière de télétravail, plusieurs stratégies sont mises en place par les entreprises pour assurer un équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Premièrement, en ce qui concerne les outils numériques, les entreprises mettent en place des chartes et diffusent des communications à destination des salariés, pour guider leur bonne utilisation des e-mails et des messageries instantanées. L’une des recommandations majeures faite au collaborateur est de bien gérer ses notifications (qu’elles soient professionnelles ou personnelles). Il lui est souvent suggéré de mettre son smartphone en sourdine durant ses heures de travail pour éviter les interruptions ; car après chaque distraction, le cerveau met entre 5 et 7 minutes pour se concentrer à nouveau. À l’opposé, lors des jours de congé ou pendant les week-ends, il lui est préconisé de couper ses notifications professionnelles.
Sur le même thème, les outils de visioconférence et de collaboration proposent souvent d’adopter le statut « ne pas déranger ». Les entreprises encouragent ainsi des règles où si un collaborateur choisit ce statut, il ne devrait pas être sollicité.
Il est également crucial d’avoir des directives claires sur l’utilisation des divers moyens de communication (e-mails, téléphone, messagerie instantanée). Le risque de sur-sollicitation est réel et peut nuire à la capacité d’un travailleur de s’organiser efficacement au quotidien. Ceci vaut tant pour les managers que pour les autres collaborateurs, qui ne devraient pas se contacter en dehors de certaines tranches horaires, entre collègues.
Un autre aspect important est la gestion de l’agenda. Les collaborateurs sont incités à y intégrer des moments personnels, que ce soit pour une pause, pour déjeuner ou pour passer du temps en famille. Il s’agit d’une façon pour le salarié de garder un œil sur l’équilibre entre les deux sphères de sa vie, et de ne pas se laisser happé par un travail à n’en plus finir.
Enfin, pour combattre l’isolement qui peut parfois résulter du télétravail, les entreprises favorisent l’utilisation des réseaux sociaux d’entreprise ; un moyen permettant aux salariés d’interagir entre eux et de rester informés. En effet, le travail à distance nécessite parfois une recherche proactive d’informations. C’est pourquoi certaines entreprises mettent à disposition des salariés des outils qui leur permettent de se tenir informés et d’avoir accès à l’information au bon moment. Dans l’ensemble, c’est une combinaison de ces pratiques qui permet de trouver un équilibre entre travail et vie personnelle, dans le cadre d’un travail hybride.
Malgré son entrée en vigueur en 2017, le droit à la déconnexion n’est pas toujours respecté, notamment en télétravail. Comment y remédier ?
Effectivement, pour être apte au télétravail, il ne s’agit pas seulement pour le salarié d’avoir un poste et un équipement adapté, mais aussi d’être capable de travailler de manière autonome et responsable. Cela implique une relation de confiance bidirectionnelle : d’une part, l’entreprise doit avoir confiance en son collaborateur, et d’autre part, le collaborateur doit se sentir confiant sur sa capacité à travailler à distance.
Pour cette raison, certaines entreprises proposent justement des formations. Elles mettent notamment des bibliothèques d’e-learning à disposition des salariés, en libre-service. Elles peuvent proposer des parcours de formation obligatoires lorsqu’un collaborateur passe en télétravail, tout comme des modules optionnels, disponibles tout au long de l’année, et couvrant des sujets tels que la gestion du temps ou la gestion du stress. Ces e-formations, généralement courtes, incluent des vidéos, des quiz et d’autres ressources pour sensibiliser les employés à ces questions.
Certaines entreprises mettent aussi à la disposition de leurs collaborateurs des applications mobiles dédiées au bien-être. Sur ces applications, ils ont accès à des vidéos ou à des podcasts portant sur la méditation ou la gestion du stress, et même, parfois, à des séances de coaching individuel portant sur l’équilibre des temps de vie. Ces outils supplémentaires permettent aux salariés de disposer de moyens pour gérer les défis du télétravail à leur rythme et selon leurs besoins.