Largement répandu et très souvent caché, le sentiment d’imposture peut entraîner une démotivation et l’impression de ne pas être assez compétent. La psychanalyste Virginie Megglé vient d’y consacrer un ouvrage, dont le sous-titre incite à « s’autoriser à croire en soi » (1). Découvrez ses conseils pour soi, mais aussi pour aider les autres à le surmonter.
Pourquoi employez-vous le terme sentiment d’imposture plutôt de syndrome de l’imposteur ?
Le premier est subjectif, tandis que le second en appelle à une forme d’objectivité car c’est un terme issu de la médecine. De plus, ce dernier est une des expressions ou étapes du sentiment d’imposture, mais pas la seule. Ce n’est qu’une des portes d’entrée pour étudier le sentiment d’imposture, qui est plus indétectable ou inavoué, tu ou nié. Et pourtant largement partagé, car tout le monde connaît le doute de soi à un moment, se sent inférieur ou incompétent. Je détaille donc la différence entre les deux dans le livre et je souligne que tout sentiment a une légitimité, même si on ne l’exprime pas ou s’il est invisible.
D’où vient le sentiment d’imposture ?
Il peut s’avérer très paradoxal. Souvent il naît en face de vrais imposteurs qui sont très sûrs d’eux ! Ou à cause de jaloux, de rivaux qui vont reprocher leur incompétence à des personnes pourtant tout à fait compétentes. On dit souvent qu’il est plus répandu chez les femmes, car il y a une différence de sensibilité avec les hommes. Mais ils sont tout autant concernés. Même si le discours dominant leur octroie moins la possibilité de douter et qu’eux-mêmes se l’accordent moins. Leur parole en la matière est moins libre : aucun doute n’est possible…
Enfin, la pandémie a renforcé et amplifié ce sentiment chez beaucoup car les repères ont été chamboulés. Pour surmonter l’insécurité de ces dernières années, de nombreuses personnes se sont mises à l’écoute de ce qui n’allait pas.
Comment repérer le sentiment d’imposture quand on est manager ?
Il est souvent caché mais peut se traduire par un excès de zèle ou, au contraire, une démotivation et un effacement, voire des absences répétées. Il peut s’agir d’une personne qui va surtout mettre en valeur les autres mais pas elle-même.
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Quelles sont les solutions pour parvenir à sortir du sentiment d’imposture ?
Il ne faut pas douter de son doute, et oser s’écouter, en parler à d’autres, en particulier en dehors du travail, pour ne plus être isolé et pour prendre du recul. Car trop souvent, face à une situation qui provoque le malaise, on cherche à l’effacer en se disant qu’on en est à l’origine : « J’ai bien fait mon travail et pourtant on m’en demande encore plus, c’est que je ne dois pas être à la hauteur… » On ne pense pas avoir de légitimité à remettre en cause le système, par conséquent c’est soi-même que l’on critique et on perd confiance en soi. Or il peut arriver qu’en réalité, un système dysfonctionnel soit lui-même une imposture !
Ensuite, il est nécessaire de s’interroger sur les réponses à trouver pour se sentir bien dans sa peau et à sa place, pour ne pas tricher avec soi-même. Il faut commencer par être à l’écoute du doute : que dit de moi cette impression d’illégitimité ? Mais mieux vaut éviter de chercher à se rassurer de manière artificielle. Le livre sert justement à oser aller plus loin, en écoutant ses doutes et ses questionnements pour arriver à s’aimer, à s’apprécier même si l’on manque de confiance en soi. L’écoute de soi permet d’être à l’écoute des autres.
De quelle manière les managers peuvent-ils aider un membre de leur équipe qui souffre du sentiment d’imposture ?
Ils ne doivent pas se contenter de chercher à trouver des réponses au syndrome de l’imposteur sans se pencher sur le sentiment d’imposture, plus général et en lien avec la confiance. Il ne faut pas faire comme si cela n’existait pas car en le reconnaissant chez l’autre et chez soi-même, on gagne en légitimité. D’autant qu’aujourd’hui, on fait l’éloge de l’authenticité et on la recherche dans les relations humaines, au travail ou ailleurs.
L’idée est donc d’oser prendre en compte le malaise éprouvé par un collaborateur. Et pour le détecter chez les autres, mieux vaut, en premier lieu, le considérer chez soi-même : ne pas faire comme si on avait toujours été à la hauteur, sans faille, ne pas étouffer les réactions des autres. La sincérité est bénéfique à la qualité de la relation avec ses collaborateurs. En effet, celui qui a un sentiment d’imposture risque de l’éprouver encore plus face à un roc, un manager qui adopte une posture de certitude et ne lui laisse pas la place d’exister. Un manager ne doit donc pas faire semblant de savoir, pour mieux accueillir les doutes des collaborateurs et être à l’écoute de leur anxiété face à une perte de repères. Cela ne sape pas son autorité, au contraire l’attention accordée renforce le lien de confiance.
(1) Se libérer du sentiment d’imposture : s’autoriser à croire en soi, de Virginie Megglé, paru début avril chez Eyrolles.