Entreprise

Complémentaires santé en entreprise, bientôt tous protégés ?

Début 2016, les entreprises devront toutes proposer une complémentaire santé à leurs salariés. Une mesure, voulue par François Hollande, qui suscite des interrogations et des craintes. Entre la peur de se voir imposer un forfait qui ne leur convient pas ou de devoir supporter des coûts supplémentaires, les salariés pourraient-ils être les perdants de ce nouveau dispositif ?

 

À partir du 1er janvier 2016, toutes les entreprises du secteur privé devront avoir souscrit une couverture santé pour leurs salariés. Alors que la mise en place d’un tel contrat relevait auparavant de la libre décision de l’employeur ou des partenaires sociaux représentatifs au niveau de la branche, cela devient désormais obligatoire. Mais peut-on pour autant parler de révolution ? Selon, une étude Audirep, 71 % des TPE et 85 % des PME, ETI et GE déclarent déjà proposer une couverture santé à leurs collaborateurs. L’enquête précise en outre que “le taux de couverture santé croît en fonction de la taille de l’entreprise : il est de 67 % pour les entreprises de 1 à 2 salariés, de 86 % pour les entreprises de 6 à 9 salariés et de 99 % pour celles de plus de 500 salariés”.
Vincent Harel, directeur marché des grands comptes, santé et prévoyance au cabinet Mercer, spécialisé dans le conseil en ressources humaines, santé prévoyance, retraite et investissements, le confirme : “Environ 90 % des salariés ont déjà une mutuelle (individuelle ou d’entreprise) mais c’est moins le cas dans les petites structures qui comptent moins de 10 salariés. En ce qui concerne les cadres, la plupart du temps ils sont déjà couverts par leurs employeurs”. Un constat étayé par Christophe Triquet, fondateur et directeur général du site Web Lecomparateurassurance.com. Il rappelle que “les entreprises ont toujours été plus attentives aux besoins des cadres en matière de santé. Ces derniers ont plus souvent une mutuelle que les autres catégories professionnelles et leur convention collective peut aussi le prévoir.”  Xavier de Labarrière, co-fondateur de ECL Direct, un cabinet d’expertise comptable en ligne qui accompagne les TPE, rappelle également que les cadres sont également “plus consommateurs de médicaments que les non-cadres” et aussi plus regardants sur leur complémentaire santé. “Généralement, les cadres ont déjà structuré leur couverture sociale. À ce titre, on peut penser qu’ils sont moins concernés par la réforme.”

 

Un panier de soins minimal garanti

Même dans une moindre mesure, certains cadres sont pourtant aussi impactés par la nouvelle législation. Sont notamment concernés ceux qui travaillent dans une entreprise qui ne propose pas de complémentaire santé à ses salariés mais aussi ceux qui sont dans une société qui en propose une mais dont les garanties sont inférieures à celles rendues obligatoires par la nouvelle réforme.
Sachez en effet que ces dernières devront correspondre à un panier de soins minimal mais que rien n’empêche non plus l’employeur de choisir une formule plus fournie comprenant diverses autres options (couverture pour les autres membres de famille…) pour ses salariés. “Le panier de soins minimal imposé par la nouvelle réforme propose le premier niveau de garantie, c’est de l’entrée de gamme. Un certain nombre de salariés ne seront pas satisfaits et en voudront d’autres”, analyse Christophe Triquet qui explique que le panier ne prendra pas en charge les dépassements d’honoraires et que les remboursements en dentaires ou en optique seront faibles.
Arnaud Faucon, secrétaire national chargé des questions de santé et de protection sociale à l’Indecosa, l’association pour l’information et la défense des consommateurs salariés-CGT, a, lui, des craintes en ce qui concerne la prise en charge des personnes qui ont des affections de longues durées (ALD). “Le risque, c’est que les complémentaires bas de gamme ne proposent pas de garanties suffisantes pour ces personnes”, explique-t-il.

 

Une complémentaire à des prix variables

Arnaud Faucon soulève aussi le problème du coût que va représenter la mise en place de cette nouvelle législation pour les salariés. Il faut savoir que la loi oblige l’employeur à financer au moins 50 % du montant de la complémentaire, les 50 % restants seront donc à la charge des collaborateurs. À moins que votre entreprise ne décide de la financer plus généreusement voire de la payer à 100 % ce qui est tout à fait possible.“La plupart des sociétés ne souhaitent pas prendre en charge plus de la moitié du coût de la complémentaire santé, précise Xavier de Labarrière. En réalité les employeurs ont l’impression que la réforme va leur coûter très cher alors que ce n’est pas forcément le cas surtout dans les petites structures où il n’y a pas beaucoup de salariés. En moyenne ils devront payer entre 25 et 30 euros par mois par salarié pour une complémentaire qui s’élève à environ 50 euros.”
Difficile donc de chiffrer votre complémentaire, montant qui va dépendre de nombreux facteurs et notamment de l’organisme sélectionné par votre entreprise. Olivier Huet, directeur des grands comptes et conventions collectives nationales chez Harmonie mutuelle, qui propose une nouvelle offre de complémentaire santé dédiée aux entreprises de moins de 75 salariés, reconnaît qu’un nouveau marché s’ouvre pour sa société mais assure que celle-ci ne fait pas de “dumping” sur les offres tarifaires. Dans cet organisme, la panier de soins minimal est proposé au prix de 20,49 euros par mois par salarié pour une entreprise dont l’âge moyen des collaborateurs est compris entre 35 ans et 45 ans. “Certains de nos concurrents proposent le panier de soins minimal à 12 ou 15 euros mais ils n’apportent pas les mêmes services que nous, assure Olivier Huet. Nous avons, par exemple, passé des accords tarifaires avec des réseaux de soins afin de réduire le reste à charge de nos assurés en optique, nous proposons une assistance (aide à domicile…) en cas d’hospitalisation et nous disposons aussi d’un réseau de 300 agences.”
Le prix de votre complémentaire devrait aussi être différent en fonction de la taille de l’entreprise dans laquelle vous travaillez. “Dans les petites structures, il sera difficile d’avoir des complémentaires à des tarifs intéressants car plus l’entreprise est grosse, plus elle peut négocier les prix”, craint Arnaud Faucon à l’Indecosa. Olivier Gayraud, juriste à l’association nationale de défense des consommateurs et usagers CLCV, partage la même appréhension et nuance : “On ne peut pas exclure l’augmentation des prix mais comme la mutualisation sera plus grande on peut imaginer qu’ils ne s’accentueront pas.” Il précise en outre que les chefs d’entreprise décideront aussi du type de complémentaire santé en fonction de l’âge de leurs salariés. “Les besoins ne seront pas les mêmes pour une start-up que pour une société où la moyenne d’âge est de 45 ans, précise Olivier Huet chez Harmonie mutuelle. Dans tous les cas, cette mesure solidaire va contribuer à la bonne santé des salariés et donc à la performance de l’entreprise.”

 

Un employeur qui a le dernier mot

À noter qu’en plus du montant de la mutuelle non payé par l’employeur, le salarié réglera aussi les garanties supplémentaires qu’il pourrait éventuellement souscrire à la carte, si cela est rendu possible par le contrat. Et pour ceux qui ne seraient pas satisfaits par la complémentaire de leur société et des éventuelles options proposées il restera la possibilité de prendre une surcomplémentaire santé, qui va représenter encore un coût, afin de s’assurer une protection étendue et renforcée. Avec l’instauration de la nouvelle réforme, Christophe Triquet parle d’ailleurs du risque de voir se développer une forme de “marché de la surcomplémentaire” en France.
Quoi qu’il en soit, à défaut d’accord de branche ou d’entreprise, la mise en place de la complémentaire santé se fera par une décision unilatérale de l’employeur. “Le salarié peut faire des suggestions à son dirigeant mais c’est ce dernier qui tranchera”, ajoute le directeur général du site Lecomparateurassurance.com. “Le chef d’entreprise pourra également choisir une complémentaire santé différente en fonction de la catégorie professionnelle, cadre ou non cadre par exemple, de ses salariés”, éclaire, de son côté, Vincent Harel chez Mercer.
Afin d’être au fait de la mise en place de la mesure dans son entreprise, les salariés ont donc tout intérêt à se renseigner auprès de leurs syndicats ou des représentants du personnel, voire de solliciter directement leurs dirigeants notamment ceux qui travaillent dans de petites structures. “Il faut être attentif s’il y a des négociations au sein de l’entreprise. Il ne faut pas hésiter à aller voir les représentants des salariés et à se faire expliquer les choses simplement. On peut tout à fait dire : j’ai telle dépense de santé, quel va être le montant du remboursement au final ?”, conseille Olivier Gayraud à la CLCV. Christophe Triquet de son côté met en garde les salariés : “Ne vous laissez pas piéger par un contrat de mutuelle pas assez souple et peu évolutif. La difficulté du choix d’une mutuelle réside dans la multitude d’options mais aussi dans la capacité à prévoir l’avenir.” La nouvelle mesure ne devrait donc pas faire que des heureux parmi les salariés qui souhaitent avoir une protection en matière de santé mais aussi parmi ceux qui ne voudraient tout simplement pas en avoir une.

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