Parfois, nous nous imposons des limites exagérées. Cependant, certaines personnes nous poussent à aller plus loin que nos croyances personnelles, révélant ainsi notre potentiel injustement sous-estimé. C’est l’effet Pygmalion que Silvia Garcia, spécialiste en performance et bien-être au travail, fondatrice et CEO de Happiest Places to Work, décrypte pour nous.
Dans l’Antiquité, vivait en Grèce un jeune sculpteur talentueux du nom de Pygmalion (1). Il voulait trouver l’amour mais les jeunes femmes qu’il rencontrait le décevaient. Il les trouvait égoïstes et vulgaires. Las de ces rencontres, il décida qu’il resterait seul et qu’il n’aimerait aucune femme. Il canalisa sa frustration dans la création d’une sculpture représentant la femme la plus parfaite qui ait jamais existé, avec toutes les qualités qu’il valorisait tant. Quand son marteau s’arrêta de percuter l’ivoire, Pygmalion regarda sa création et se rendit compte qu’il était tombé amoureux de sa statue, il l’appela Galatée. Mais tout ce bonheur se transforma en tristesse car toute la beauté et les qualités de la statue resteraient à jamais enfermées dans la pierre. La déesse de l’amour, Aphrodite, curieuse de savoir quelle femme deviendrait une statue avec autant de beauté et de qualités, donna vie à l’ivoire. Depuis, on appelle un Pygmalion celui qui peut faire grandir chez un autre des qualités que personne d’autre n’a encore soupçonnées. Le mythe de Pygmalion a fortement inspiré le cinéma avec des films comme My Fair Lady, Vertigo d’Alfred Hitchcock, Pretty Woman ou Dumbo, mais c’est dans notre carrière professionnelle que rencontrer un Pygmalion peut avoir le plus grand effet !
Rencontrer son Pygmalion au travail
La première fois que j’ai eu la chance de rencontrer un Pygmalion, je travaillais pour Coca-Cola en Espagne, en tant que directrice marketing. Ma carrière aurait probablement continué au sein de la Péninsule si le président de Coca-Cola ne m’avait pas appelée pour me confier une mission qui allait bien au-delà de mes compétences marketing. Il me demanda de diriger le tout nouvel ‘Institut du Bonheur’ qui avait pour mission de partager les découvertes que les chercheurs et penseurs de notre époque élaboraient autour des sources de notre satisfaction. Investie de sa confiance, je me suis lancée à la rencontre de ceux qui étaient en train d’étendre les limites de notre connaissance sur le bonheur. Ainsi, j’ai rencontré Sonja Lyubomirsky, chercheuse qui découvrit que le bonheur n’était pas complètement défini par notre héritage génétique, ni même par nos circonstances, il dépend à environ 40 % de nos choix. J’ai rencontré des ministres du Bhutan, le premier pays qui décida de mesurer son progrès par rapport au Bonheur Intérieur Brut, et beaucoup d’autres grandes figures de notre époque. Je n’imaginais pas que j’organiserais un congrès international du bonheur avec un grand retentissement médiatique, ni que je serais invitée un jour aux Nations Unies pour débattre sur l’état du bonheur dans le monde. Une fois de plus, il m’a fallu rencontrer un Pygmalion pour comprendre que ma mission pourrait intéresser au-delà des frontières de mon pays. Grâce à elle, j’ai eu l’honneur de devenir directrice mondiale marketing Coca-Cola et directrice mondiale de l’Institut du Bonheur à Atlanta. Ne croyez pas que je sois un cas isolé.
Un Pygmalion peut se cacher dans n’importe quelle figure de votre vie !
Pour beaucoup, votre Pygmalion a pu être un professeur, et celui-ci a pu avoir des effets positifs jusqu’à augmenter vos capacités intellectuelles. Voyez cette expérience : en 1960, le professeur Robert Rosenthal proposa à Leonore Jacobson, directrice d’une école primaire à San Francisco, de faire passer à ses élèves un nouveau test développé par son équipe de l’université de Harvard. Ce test, lui dit-il alors, déterminerait qui parmi ses élèves aurait un fort développement intellectuel pendant l’année scolaire. En réalité, le professeur Rosenthal n’avait développé aucun test. Il utilisa un simple test d’intelligence (QI) mais ne regarda les résultats d’aucun élève. Cependant, il fit deux piles des copies des tests QI de manière aléatoire et donna à la directrice de l’école les noms des élèves qui, selon son test, “développeraient des capacités intellectuelles exceptionnelles” (grand potentiel).
Une fois l’année scolaire achevée, Robert Rosenthal, retourna à l’école pour faire passer à nouveau des tests QI aux élèves et ce qu’il trouva fut doublement surprenant. Il constata que les élèves qui avaient été désignés comme appartenant au groupe de “grand potentiel” avaient des notes significativement supérieures à celles de leurs camarades – souvenez-vous que ces élèves avaient été désignés aléatoirement en tant que “grand potentiel”. Plus surprenant encore : les résultats de leur nouveau test de quotient intellectuel s’étaient améliorés, alors que notre intelligence est censée ne pas changer tout au long de notre vie… Mais le professeur Rosenthal démontra que, sous le regard bienveillant et exigeant de ceux qui croient en nous, nous pouvons aller au-delà de nos propres limites.
Alors, soyez attentifs à ceux qui vous confient des tâches qui vous semblent trop ambitieuses, car il se peut que vous ayez trouvé votre Pygmalion ! Et entre temps, n’oubliez pas que vous pouvez également devenir à votre tour le Pygmalion de quelqu’un d’autre.
(1) https://www.britannica.com/topic/Pygmalion