Au début des années 2000, le rôle de manager était auréolé de prestige. Il incarnait la réussite professionnelle, l’ascension sociale et la reconnaissance des compétences. Devenir manager signifiait accéder à des responsabilités, des missions variées et des perspectives prometteuses : un objectif de carrière convoité par beaucoup. Ceux qui n’étaient pas encore à ce poste déployaient tous les moyens possibles pour y parvenir.
Cependant, moins de vingt ans plus tard, la situation a évolué. Les mentalités ont changé, et l’attrait pour ce rôle s’est considérablement affaibli, notamment parmi les jeunes. Devenir manager n’est plus perçu comme une aspiration incontournable, témoignant d’une transformation des priorités et des attentes dans le monde professionnel. La jeune génération se désintéresse peu à peu du poste de manager en préférant rester à des postes qu’elle apprécie, non sources de stress. Cette tendance émergente, nommée le « conscious unbossing », qu’on pourrait traduire par « déhiérarchisation consciente » ou « démanagérisation », désigne le fait que les jeunes choisissent de ne plus occuper des postes de managers ou de cadres intermédiaires.
Selon les résultats d’une étude menée par Robert Walters en septembre 2024 auprès de 3 600 participants, plus de la moitié des jeunes professionnels de la génération Z (52 %) déclarent ne pas souhaiter assumer des fonctions managériales, tandis que 16 % refusent tout emploi impliquant la gestion de subordonnés directs. Cette évolution soulève une question essentielle : cette étude annonce-t-elle la fin imminente du middle management, notamment parmi la nouvelle génération ?
La perception d’un déséquilibre entre contribution et rétribution
La fonction de manager séduit de moins en moins les jeunes, qui la perçoivent souvent comme exigeante, stressante et peu épanouissante sur le plan personnel. Cela signifie moins de temps pour les loisirs, pour soi-même et, de manière générale, une réduction de l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. En effet, selon toujours l’étude de Robert Walters, une large majorité des jeunes (69 %) considère les postes de middle management comme des fonctions marquées par un niveau de stress important, avec une rémunération jugée insuffisante pour compenser ces responsabilités accrues.
La perception d’un déséquilibre entre contribution et rétribution joue un rôle central dans le désintérêt des jeunes pour les fonctions managériales. Chaque collaborateur évalue intuitivement ce qu’il apporte à l’entreprise (temps, énergie, réflexion, créativité…) par rapport à ce qu’il reçoit en retour (rémunération, reconnaissance, équilibre de vie). Or, la perspective d’un rôle de manager semble déséquilibrer cette balance : les contraintes et la charge de travail liées à la fonction pèsent davantage que les avantages perçus.
Ce phénomène est amplifié par un tout autre rapport au travail : les jeunes privilégient l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle. Dès lors, un rôle perçu comme accaparant et intrusif sur le plan personnel entre difficilement en adéquation avec leurs attentes et aspirations.
L’expertise plutôt que l’autorité
Les jeunes remettent en cause l’autorité des anciens, en particulier leurs parents, l’école, au profit d’une autre source d’informations : Internet. L’autorité est en crise, mettant de côté une société hiérarchique, verticale au profit d’une société plus transversale, notamment grâce à Internet et aux réseaux sociaux numériques. Une nouvelle démocratie du savoir est en marche, et la seule autorité qui peut s’imposer est fondée sur la compétence.
Les jeunes cadres ne remettent pas en question l’existence même de la hiérarchie, mais plutôt sa forme traditionnelle au sein des entreprises. Ils privilégient une autorité basée sur la compétence plutôt que sur le simple statut. Il existe des différences dans le rapport à l’autorité selon la catégorie socioprofessionnelle. Selon le rapport Terra Nova de 2024, 40 % des jeunes âgés de 18 à 29 ans acceptent les décisions de leur hiérarchie par principe, tandis que 43 % d’entre eux les mettent en œuvre lorsqu’ils les comprennent, même s’ils ne sont pas nécessairement d’accord avec elles. Cette tendance est particulièrement marquée chez les jeunes cadres du secteur privé, dont 57 % expriment ce besoin de compréhension. En revanche, ce besoin est moins prononcé chez les jeunes ouvriers (37 %) qui sont plus enclins à accepter les décisions par principe.
Globalement, aux yeux des jeunes, le simple fait d’être un « chef » ne suffit plus : l’autorité doit être méritée à travers l’expérience et la démonstration de compétences. Dans cette culture « unbossed », le rôle du manager évolue pour passer d’un superviseur ou d’un chef autoritaire à un facilitateur et un coach. A ce titre, 72% des professionnels de la génération Z privilégient le développement de leur expertise individuelle pour faire avancer leur carrière, plutôt que de viser des postes impliquant la gestion d’équipe.
Un autre rapport à la hiérarchie : le management par le vide organisé !
Au-delà d’une tendance passagère, le concept de conscious unbossing illustre un véritable changement de paradigme dans la manière dont la génération Z perçoit la hiérarchie. Cette génération privilégie l’autonomie, la flexibilité et des réalisations concrètes, plutôt que de suivre le modèle traditionnel consistant à gravir les échelons hiérarchiques pour diriger des équipes et occuper des postes de cadres intermédiaires.
On distingue deux approches principales du management. D’une part, le « management du trop-plein », rigide et contraint, où les processus sont saturés par des procédures, des contrôles administratifs, et des plans dictés par la hiérarchie. D’autre part, le « management par le vide », qui mise sur une grande autonomie et accorde des marges de liberté sur le lieu de travail. Cependant, l’absence d’un cadre clair, de fiches de poste précises et de la présence rassurante d’un leader bienveillant peut générer de l’insécurité et un sentiment de désorientation.
Une solution pourrait résider dans un équilibre entre ces deux extrêmes, en combinant structure et flexibilité : c’est ce qu’on appelle le « management par le vide organisé ». La mise en place d’un management par le vide organisé repose sur la verbalisation des échecs, des problèmes et des difficultés rencontrés par l’organisation, pour transformer ces obstacles en leviers de progrès. Le management par le vide organisé est la nouvelle posture de réussite managériale, reposant sur la dualité des modèles hiérarchiques (règles) et des modèles agiles (autonomie), adaptée aux jeunes collaborateurs Z.
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