“En parallèle à la crise du Covid-19 qui bouleverse nos organisations, nous sommes nombreux à annoncer les répercussions positives qu’elle pourrait avoir sur la démocratisation du télétravail à long terme”. Dans une tribune exclusive, Samuel Durand, auteur et consultant sur la transformation du travail et Mathieu Libessart, directeur chez Sthree, analysent pour nous la façon dont les mesures de télétravail que l’on teste actuellement auront des effets à long terme.
Si à court terme il est certain qu’il n’y a jamais eu autant de télétravailleurs, nous nous sommes interrogés sur la façon dont les pratiques que nous expérimentons actuellement vont se traduire en transformations durables pour les entreprises.
Les outils
Les outils collaboratifs à distance existaient et fonctionnaient déjà depuis plusieurs années : Slack, Zoom, Teams, Google Doc, Basecamp et les dizaines d’autres qui rythment notre quotidien n’ont pas été inventés le mois dernier. En revanche leur base d’utilisateurs a rapidement évolué avec la crise et le nombre de souscriptions payantes a très largement augmenté. Ces différents outils ne sont plus réservés aux start-up, ils sont devenus indispensables au fonctionnement des entreprises quelle que soit leur taille. Microsoft a ainsi annoncé une augmentation de +775% de ses services Cloud.
Si la prise en main peut être difficile lorsqu’elle n’est pas anticipée, les longues semaines de confinement nous donnent l’occasion de faire le tour des outils et de les intégrer dans notre fonctionnement au point de nous les rendre indispensables une fois la crise terminée.
Allons-nous tous résilier nos comptes dès la reprise ? Rien n’est moins sûr. Il y a fort à parier que les outils de collaboration à distance découverts pendant la crise continueront à être utilisés en temps normal. Dans le cas de grandes entreprises il s’agira d’adapter les processus établis, parfois contraignants, à un fonctionnement plus flexible permis par ces nouveaux outils. Le passage au mode projet, l’essor de la communication asynchrone et la suppression des niveaux de contrôles superflus sont autant de transformations qui risquent de découler de l’utilisation de ces outils pensés pour le télétravail.
Cette période de confinement demande de faire preuve de plus d’autonomie dans son travail, à la fois dans la prise de décision pour son activité et dans la gestion de son organisation et de sa santé mentale. Si l’autonomie n’est pas innée pour tous, au bout de plusieurs semaines elle se sera développée pour une majorité de collaborateurs qui souhaiteront certainement conserver la liberté qui accompagne cette autonomie.
A long terme, la clé pour intégrer ces revendications sera peut-être de réorganiser l’entreprise avec des équipes plus petites, de mieux responsabiliser les individus, de revoir le rôle du manager, de supprimer des niveaux de hiérarchie ou d’aller progressivement vers l’idéal d’une entreprise opale décrite par Frédéric Laloux.
Les trajets
La tendance à l’augmentation du télétravail était déjà portée par la critique des temps de trajets pour se rendre jusqu’au bureau. Aux Etats-Unis, le temps moyen passé quotidiennement dans les transports en 2018 est de 54 minutes ce qui représente 9 jours complets sur une année. C’est à la fois une perte de temps de travail, de temps de vie personnelle et une source majeure de stress.
Si nous serons certainement très heureux de retourner au bureau pour retrouver nos collègues dès la levée du confinement, il y a fort à parier que les personnes ayant expérimenté le télétravail n’auront pas envie de reprendre la routine des aller-retours chaque jour. Fortes de cette expérience, elles pourront mettre en avant le maintien, voire l’amélioration, de leurs performances individuelles durant le confinement. Des négociations sont à prévoir une fois la crise passée afin de faire évoluer les politiques en vigueur concernant le télétravail. A moyen terme, nous nous dirigeons vers un rythme plus flexible autorisant plusieurs jours de télétravail par semaine en fonction des envies de chacun.
Cette tendance est très largement accélérée par la flambée du prix de l’immobilier dans les centres qui pousse de nombreux travailleurs à s’installer toujours plus loin en périphérie ou en milieu rural. Ils seront les premiers à mettre en avant le succès de leur expérience de télétravail durant le confinement afin de limiter leurs déplacements au bureau.
De meilleurs recrutements
Si à court terme certaines entreprises ont pu faire le choix de geler les recrutements le temps de la crise, il n’y a pas de doute à avoir quant à la reprise de la guerre des talents dès que les activités redémarreront.
Les entreprises qui seront capables de faire évoluer rapidement leur organisation en intégrant le télétravail auront beaucoup moins de mal à recruter. Elles n’auront alors pas seulement accès aux profils dans un rayon de 50 kilomètres autour des bureaux, mais à des candidats qui peuvent se trouver n’importe où dans le pays et, pourquoi pas, à l’autre bout du monde.
En se donnant la possibilité de recruter des travailleurs sans limites géographiques, les entreprises vont naturellement accroître la qualité du recrutement, car elles auront accès à un vivier de talents bien plus large.
De la même façon, elles pourront certainement réduire le turn-over en s’adaptant mieux aux envies de liberté de la part de leurs collaborateurs souhaitant vivre loin des bureaux.
Les entreprises érigées en modèles de télétravail par leur absence de bureau comme Automattic, Gitlab ou encore Buffer devraient être bien plus nombreuses dans les prochaines années.
Une nouvelle définition des lieux de travail
Le confinement que nous vivons actuellement n’est pas représentatif du train de vie d’un télétravailleur en temps normal. Le domicile n’est qu’un des lieux de travail parmi une multitude d’options : espaces de coworking, cafés, maison d’un collègue, bureaux …
A moyen terme, le télétravail confiné chez soi devrait avoir plusieurs répercussions sur notre vision des lieux de travail :
-> Tout d’abord le domicile qui n’avait pas encore été envisagé comme un lieu de travail pour bon nombre d’entre-nous va le devenir. Peut-être faudra-t-il aménager certaines pièces pour créer un environnement de travail dédié, s’équiper avec une chaise confortable, un vrai bureau et une excellente connexion internet.
-> Les bureaux quant à eux, vont évoluer, tant dans leurs fonctions que par leurs tailles. Quel est l’intérêt d’avoir des espaces immenses s’ils ne sont plus occupés la totalité de la semaine ? Pour de nombreux travailleurs, le bureau deviendra de plus en plus un lieu de passage, un lieu de rencontres et de moins en moins un lieu de production, mettant fin une bonne fois pour toutes à la culture dépassée du présentéisme.
-> A l’arrêt pendant la crise, les espaces de coworking auront à nouveau le vent en poupe puisqu’ils permettent aux entreprises de disposer d’un juste milieu entre les bureaux traditionnels et l’absence de lieu de travail dédié. Le partage d’espaces de travail entre particuliers comme Cowop devrait aussi connaître une belle croissance pour pallier la solitude qu’ont pu ressentir les travailleurs durant le confinement.
Si les bouleversements sont importants à court terme, il y a de fortes chances qu’ils aient des répercussions de la même envergure à long terme tant ils contribuent à transformer l’organisation. La fin de la crise sera le moment idéal pour faire le bilan et intégrer nos pratiques actuelles de télétravail dans un fonctionnement pérenne.
Les auteurs
* Samuel Durand, auteur et consultant sur la transformation du travail. Il rédige chaque semaine la newsletter le Billet du futur
* Mathieu Libessart, directeur chez Sthree. Sthree est spécialisé dans la représentation de Freelances STEM (Scientifique, Technique, Engineering et Mathématique) en France depuis près de 20 ans. Sthree est présente via ses 4 marques commerciales: Real Staffing, Huxley, Computer Futures et Progressive Recruitment. En France, c’est 800 freelances sur projets et 11 000 dans le monde.