Après le réchauffement des relations avec les États-Unis, tous les regards du monde économique (ou presque) se tournent vers Cuba. Si un frémissement se fait sentir, les démarches sont encore lentes et obtenir un poste sur place ne sera pas si simple. À défaut d’être impossible.
Depuis le 20 juillet dernier, Cuba et les États-Unis ont relancé leurs relations diplomatiques après 54 ans de blocus. Leurs ambassades respectives ont réouvert dans les deux pays. L’appel d’air économique créé par ce changement historique est imminent. “C’est un pays qui va grandir !”, assure Pierre Hervé, le dirigeant de l’industrie Stratégie bois*. Sa PME est installée dans le pays depuis 6 ans. Il y a développé un bureau d’études pour répondre à des appels d’offres liés à la construction. “Nous fabriquons pour le pays des charpentes produites en France que nous livrons en Kit prêt à monter. Elles sont à destination des hôtels de bord de mer.” À ce titre, Pierre Hervé a fait partie du voyage présidentiel à Cuba organisé en mai 2015. “Le marché principal sera dans un premier temps celui des Cubains eux-mêmes. Mais il faudra faire attention, quand il sera réellement ouvert aux États-Unis, cela risque de devenir compliqué pour les Français car l’euro coûte plus cher que le dollar. Nous allons disparaître ! Les Canadiens sont aussi déjà présents sur place, même s’ils étaient jusque-là un peu bloqués du fait de leurs accords bilatéraux.” André Leymat, directeur industriel d’Havana Club, qui vit à Cuba depuis 12 ans, reste aussi mitigé fasse à l’engouement qui entoure l’île. “Je trouve qu’il y a des frémissements d’ouverture qui s’annoncent, mais la réalité quotidienne est plus compliquée. Quand on veut faire de l’investissement, il y a beaucoup d’inertie. Même notre partenaire cubain est confronté à ce problème. Il est aussi pressé que nous d’un point de vue de la logique industrielle, mais au niveau des autorisations, cela peut traîner plus qu’avant. J’ai l’impression qu’il y a plus de contrôle, comme si les gens étaient plus frileux, même si cela s’ouvre des deux côtés.”
Néanmoins, le pays reste prometteur. Il est le premier d’Amérique latine et des Caraïbes pour son niveau d’éducation et Cuba est aussi réputé pour la qualité de la formation des médecins et infirmières, ce qui lui offre des atouts non négligeables. Malgré la concurrence américaine, les Français pourront valoriser leur savoir-faire dans le luxe et le haut de gamme. “Il est aussi intéressant d’investir dans le locatif à destination des étrangers”, précise Pierre Hervé.
Système enclavé
Mais pour se lancer, il faudra s’adapter au fonctionnement du pays qui exige des investissements de fonctionnement très lourds, selon Pierre Hervé. “L’État cubain nous demande des droits d’entrées, il faut aussi financer le déplacement des équipes et prendre en compte la rémunération des gens sur place. En étant fournisseur étranger, au bout de trois ans une affaire peut vous coûter entre 50 000 et 80 000 euros. Et pour développer une succursale dans le pays, les frais se multiplient et on peut nous faire payer en euros et non plus en pesos. Il faut donc obtenir un chiffre d’affaires conséquent.” Pour monter un bureau sur place, Pierre Hervé a dû attendre trois ans et faire une demande auprès de la chambre de commerce locale. Le système reste selon lui encore enclavé. Pour Olivier Perpoint, chargé d’un projet culturel pour la Fondation Malongo, faire des affaires à Cuba peut devenir un parcours du combattant. “Il faut être accepté par les Cubains.”
Quant aux cadres français, Cuba serait-il la destination d’expatriation de demain ? Le ministère des Affaires étrangères a pu observer une hausse de 21 % des personnes inscrites au registre des Français de l’étranger entre 2014 et 2015. Cela ne porte ce nombre qu’à 764, mais le chiffre dénote néanmoins une petite accélération. Il doit par ailleurs être nuancé par le fait que tous ceux qui s’installent hors de France ne s’inscrivent pas forcément. Pour l’instant, la seule façon de venir travailler dans le pays pour un Français est de partir avec une entreprise française. Comme sociétés nationales sur place, on compte Bouygues, Vinci, Pernod Ricard, Orange, Accor ou encore Vinci. Néanmoins, le niveau d’éducation de la population locale étant élevé, les entreprises auront d’abord recours au recrutement local. Quand à l’adaptation au pays, les interrogés pour cet article semblent d’accord sur un point : pour vivre sur place, il faut apprécier le pays, et ce pas seulement pour la carte postale. “Il faut aimer les Cubains, avec ce qu’ils sont, c’est-à-dire avec la Révolution, et une certaine âme socialiste”, avance Pierre Hervé. Selon Olivier Perpoint, il faut aussi se débarrasser de ses idées préconçues. Cuba est loin d’être un territoire conquis.