Carrière

Déconfinement : comment organiser la reprise dans les clous

Les entreprises organisent la reprise de leur activité. Alors que les conditions du déconfinement restent à préciser, de nombreux points sont à prévoir par les employeurs. Notamment les mesures décrites dans le “protocole national” diffusé par le gouvernement. Laurent Guardelli, avocat en droit social, nous livre son analyse et ses conseils à destination des dirigeants.

Quelle est la valeur juridique du “protocole national de déconfinement pour les entreprises” ?

Les devoirs de l’employeur en matière de sécurité des salariés repose sur plusieurs textes. La première source juridique, c’est l’article 41-21-1 du Code du travail, qui explique que l’employeur doit faire le nécessaire pour assurer la sécurité des salariés, notamment via des mesures de prévention.

La jurisprudence a déduit de ce texte une obligation de sécurité de l’employeur, qui s’apprécie selon les actions mises en oeuvre. Elle a imposé aux entreprises une obligation de moyens renforcés. Lors du jugement d’une entreprise, le juge cherche à savoir si elle a pris toutes les mesures de prévention possibles pour préserver ses collaborateurs. Depuis le temps de travail jusqu’à des mesures précises comme celles déclinées dans le protocole sanitaire délivré par le gouvernement.

Nous sommes ici dans le cadre, tout comme les 48 guides de bonnes pratiques par métiers, de préconisations émises par le ministère du Travail pendant une situation d’urgence sanitaire. Étant donné qu’il ne s’agit pas d’un texte de loi, ce document n’a  pas de valeur juridique. Mais il pourra servir de grille de lecture aux entreprises pour mettre en place leurs plans de reprise d’activité et consulter le CSE. Il servira ainsi de canevas à toutes les mesures qui seront prises par les organisations. Par la force des choses, il finira par acquérir une valeur juridique.

Le document précise ce que doit faire l’employeur pour garantir la sécurité des salariés, ce qui correspond à l’obligation inscrite dans le Code du travail. Si l’employeur respecte toutes ces règles, il sera dès lors difficilement condamnable si un salarié venait à contracter le coronavirus. En revanche, l’employeur qui aura ignoré les préconisations du protocole pourrait se trouver en difficulté et engager sa responsabilité civile et pénale. Il serait alors facilement condamnable, risquant de voir reconnue sa “faute inexcusable”. Mais ce sera bien sûr au juge de trancher.

Il est donc plus que conseillé aux employeurs de se saisir de ce protocole, et d’orienter leurs actions à l’aune de ce texte ; ainsi que des guides métiers.

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Quelles sont les particularités de la question de la prise de température sur le lieu de travail ?

Il n’y a pas de difficultés à demander au salarié à prendre sa température chez lui, et à rester à son domicile en cas de symptômes ; sachant que s’il venait, il commettrait une faute disciplinaire car il mettrait en danger ses collègues. Mais l’employeur pourrait-il décider de prendre leur température sur le lieu de travail ? La Cnil est extrêmement réticente face à cela, et le gouvernement aussi : il déconseille la prise de température à l’entrée des locaux, mais préconise une auto-surveillance de la part du salarié.

Pour autant, cette mesure n’est pas interdite en tant que telle aux entreprises, moyennant quoi il est tout à fait possible pour elles de prendre la température des salariés à l’entrée des locaux ; ce que plusieurs organisations ont déjà fait. La difficulté qui se posera ici sera le fait que la température sera prise à un temps T, et qu’il y a interdiction de conserver les données. Certains guides métiers préconisent cette prise de température ; c’est le cas notamment du transport routier de marchandises, auquel le ministère du Travail a donné sa bénédiction, car le guide de cette profession recommande que cela soit sans contact, et que le consentement du salarié est indispensable.

En l’état du droit, le salarié est en droit de refuser que sa température soit prise, sans que cela soit sanctionné. La préconisation, dans ce cas, est de se tourner vers le médecin du travail. Si l’employeur, devant ce refus, ne laisse pas le salarié accéder à son poste, il peut être tenu de lui verser le salaire correspondant à la journée de travail perdue.

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Le gouvernement se montre aussi hostile aux tests sérologiques de dépistage du Covid-19, qui ont conditionné le retour des salariés dans les locaux de certaines entreprises, comme Veolia ou PSA…

Ces pratiques ne dureront pas, car le protocole précise qu’elles sont strictement interdites. Concrètement, il faudrait disposer d’un laboratoire derrière et d’un personnel de santé qualifié. En outre, les questions de la dignité de la personne et de son consentement se posent : toute atteinte à une liberté publique ou individuelle fondamentale doit être strictement proportionnée et justifiée au regard du but à atteindre, et l’accord du salarié reste indispensable pour un tel test.

 

Quid, dans tout cela, de la responsabilité individuelle des salariés ?

Si l’employeur est responsable de la sécurité des salariés qui travaillent sous sa subordination, ces derniers sont responsables de leur propre sécurité et de celle de leurs collègues. L’article 41-22-1 du Code du travail stipule qu’il “incombe à chaque travailleur de prendre soin de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail.” Cela supposera que le plan de reprise d’activité de l’entreprise soit écrit de façon extrêmement claire notamment par rapport au protocole de circulation des salariés dans les locaux.

Ces mesures de prévention ont pour but, à la fois pour l’employeur de respecter ses obligations et de faire en sorte que personne ne soit en danger au sein de l’entreprise, mais aussi de poser un cadre pour les salariés. Ainsi, si un collaborateur venait à s’écarter de toutes ces règles, il risquerait des sanctions disciplinaires. D’où la nécessité, le cas échéant, de faire figurer ces mesures en annexe du règlement intérieur, car il a aussi vocation à traiter des sanctions possibles.

Finalement, il restera fondamental pour l’employeur de bien communiquer, au préalable, auprès de ses salariés à propos de son plan de reprise d’activité ; en les informant clairement et précisément sur les règles qui auront court à partir du 11 mai. Avant même que les collaborateurs se rendent à leur poste de travail, il sera primordial de les former aux gestes indispensables, et de leur expliquer, pourquoi pas individuellement, de quoi il retourne exactement. Sans quoi il ne pourra pas se prévaloir du non respect de telle ou telle consigne.

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