Selon une enquête menée par l’organisme CSA pour la mutuelle Malakoff Humanis, seulement 36 % des managers ont revu leur façon de manager leur équipe depuis qu’elle travaille en mode hybride. Le temps et le lieu de travail ont indéniablement évolué avec une normalisation du télétravail et des logiques de flex office. Mais le management ne semble pas suivre la même allure. Alors, à quoi ressemblera le leader de demain ?
« Les problématiques auxquelles font face les organisations sont aussi complexes que variées, soulignent Carole de Crozet et Laure Girardot. Or, les transformations nécessaires pour y faire face ne se trouvent pas dans le « solutionnisme managérial », encore moins en faisant appel à des rustines RH sur étagère ou à des recettes magiques toutes prêtes. Le leadership crafting offre une voie pour embrasser les changements, sans y apposer de doctrine : il se décline en fonction des cultures d’entreprises, des enjeux collectifs ou encore du contexte socio-économique. Les leaders qui s’y aventurent ont néanmoins un dénominateur commun, l’envie d’essayer des pratiques différentes, plus proches des attentes des collaborateurs, tout en gardant à l’esprit le trésor qu’est le collectif. Une valeur aussi fragile qu’indispensable en temps d’incertitudes et de grandes métamorphoses. »
Pour traverser cette tumultueuse – mais passionnante – période, le rôle du leader designer est, selon elles, « de sécuriser les collaborateurs, de réinventer les manières de collaborer et de créer du lien ». Agile, il est aussi doté d’une vision prospective et parvient à dessiner avec son équipe l’organisation de demain. Avec en prérequis une bonne connaissance de soi. Ce type de leader prend déjà ses marques dans certaines entreprises qui osent et expérimentent des formes d’innovations managériales.
Devenir leader designer : 4 pratiques concrètes pour faire bouger les lignes
« Pour secouer l’ordre établi, il est indispensable de réinventer le management mais, surtout, d’outiller les managers pour qu’ils deviennent des leaders, insistent-elles. Ils doivent être enclins à créer de nouveaux schémas de collaboration : la performance repose sur la capacité des individus à être suffisamment en confiance pour développer de nouvelles idées, prendre des initiatives, s’engager personnellement et prendre des risques. D’où la nécessité de savoir se remettre en question et d’accepter de faire évoluer ses pratiques managériales. » Comment concrètement incarner ce leadership plus démocratique et agile ? Carole de Crozet et Laure Girardot sont partis à la rencontre de managers et dirigeants pouvant inspirer d’autres organisations grâce à des exemples très concrets :
1° Encourager de nouveaux usages grâce aux espaces de travail
« Nous avons fait le choix de valoriser et de renforcer le volet expertise métier des managers à la demande des salariés. Leur rôle est davantage celui d’animateur de communautés », explique Stéphane Feriaut, DRH de eSNCF. Cette transformation vers un rôle de leader fédérateur a été facilitée par la mise en place de nouveaux espaces en flex office, en lien avec leur politique de travail hybride. « Les espaces ne sont pas suffisants pour porter le changement managérial. Néanmoins, c’est un levier : nous n’avons plus de bureaux individuels avec une logique de territoire d’équipe, donc le manager est au cœur des équipes. De plus, nous avons créé un panel d’espaces collectifs : une grande cafétéria, des espaces pour se retrouver à 3 ou 4, des salles de créativité qui facilitent l’intelligence collective. » L’objectif est d’encourager l’interpersonnel et les rencontres sur place. L’enjeu majeur reste l’adoption de nouveaux usages managériaux selon Stéphane Feriaut : « Un leader ne se rend pas au bureau pour faire des réunions Team’s ! Pour cela, il dispose d’un bureau individuel : en télétravail, chez lui. Sur site, son rôle est de provoquer les interactions. Personnellement, je libère des plages horaires dans mon agenda quand je suis sur place afin de laisser la place aux échanges physiques, à la rencontre fortuite et aux points individuels avec mes collaborateurs. »
2° Aligner la culture managériale et les missions de l’entreprise
« Au sein de GE Healthcare, nous parlons davantage de leader que de manager », souligne Laurence Comte-Arassus, General Manager chez GE Healthcare France, Belgique, Luxembourg et Afrique Francophone. « Le leader porte une vision, croit en ses équipes et les guide vers une direction. Pour cela, nous avons besoin de personnes bien dans leur corps et dans leur tête pour accompagner leurs collaborateurs. » Pour adopter cette posture de leader tourné vers l’écoute et « l’empowerment », des points d’échange entre managers des différents services ont lieu tous les quinze jours au sein de GE Healthcare. Ce canal d’échange favorise la transversalité et le partage de bonnes pratiques : « Notre enjeu en tant que leader est aussi de remettre de la confiance et du fun au sein des équipes. Chez nous, ça passe par l’innovation qui est dans notre ADN », souligne Laurence Comte-Arassus. Dans cette optique, le « Mois de l’innovation » a été organisé afin de rassembler toutes les parties prenantes de l’entreprise pour débattre du sujet sous toutes ses formes : « Notre stratégie d’entreprise est de créer un monde où la santé n’a 1 pas de limite : cet événement incarne cette mission. Les clients ont été conviés pour échanger sur l’innovation avec nos équipes. » Afin d’apporter une réflexion à 360°, les managers et les collaborateurs ont été acteurs de l’événement via l’animation d’ateliers ou de sessions de réflexion sur le futur de la santé, mais également sur les innovations organisationnelles en cours chez GE Healthcare. Cela a donné lieu à une véritable réflexion globale qui a nourri l’écosystème de l’entreprise.
3° Créer un modèle managérial sécurisant pour maintenir le collectif
« Le grand défi de nos sociétés est le maintien du collectif face à la montée des individualités, un phénomène qui est accentué par la mise en place du télétravail », souligne Hélène Gerbet, directrice de l’établissement Angers-Paris chez Caisse des dépôts et consignations. Si le sens du collectif s’étiole, il reste un élément constitutif pour bâtir un projet commun : « Cela passe par une stratégie claire et partagée auprès de tous ». Au sein de l’établissement public, les axes stratégiques sont donc explicités et relayés à tous les niveaux, notamment auprès des managers, qui ont un rôle pivot : donner envie aux équipes de contribuer à la mission générale. « Afin d’aider les managers dans leurs prérogatives, un modèle managérial a été élaboré par le COMEX, “Grandissons Ensemble”, qui découle de notre stratégie », explique Hélène Gerbet. Ce cadre de leadership se décline en cinq comportements prioritaires : être orienté client final et résultat, savoir dire les choses pour rester ensemble, assumer le juste risque et jouer collectif et coopérer. Ils sont couplés à trois rôles managériaux attendus : décliner la stratégie, développer le transversal et valoriser la performance et le développement des collaborateurs. « Ces directives permettent de guider les managers pour mieux piloter, décider et collaborer. Dans des organisations hybrides, plus matricielles et complexes, nous avons besoin de personnes qui endossent les responsabilités afin de décharger les collaborateurs. C’est dans ce périmètre sécurisé que ces derniers s’épanouissent et deviennent plus autonomes. »
4° Garantir la cohérence sociale grâce à un management plus participatif
L’accélération du travail hybride suite à la crise sanitaire – normalisé par un accord d’entreprise accordant deux jours en moyenne par semaine de télétravail (sauf cas spécifiques) – a mis au défi les valeurs de l’entreprise familiale qui reposent sur l’humanisme, la convivialité et le partage. « L’un de nos enjeux est de rester fidèle à notre culture, un axe fort de différenciation, en réussissant à maintenir la cohérence sociale, particulièrement au siège », explique Anne Deneux, DRH chez Nature et Découvertes. L’évolution des pratiques et des postures managériales a donc été nécessaire : « La période Covid a confirmé la nécessité d’aller vers un management plus collaboratif et participatif. Nous avions déjà initié une redéfinition du référentiel managérial en ce sens. Nous sommes allés plus loin en nous intéressant au sujet de la résilience afin de comprendre, individuellement et collectivement, les enseignements de la période. »
Pour réengager les équipes dans un contexte économique tendu, les encadrants des magasins ont également été formés à la motivation intrinsèque (exercer une activité dans le but d’obtenir une satisfaction personnelle) une notion décortiquée dans le TED du célèbre auteur Dan Pink. L’objectif est de questionner les motivations profondes, managers comme collaborateurs, autour de 3 facteurs : l’autonomie (le désir de diriger nos propres vies), la maîtrise (l’aspiration de se surpasser) et la pertinence (l’envie de faire ce que nous faisons au service de quelque chose qui nous dépasse). Le rôle fédérateur du manager dans un contexte hybride a émergé : « Les attentes des collaborateurs, quand ils sont en distanciel et en présentiel, ne sont pas les mêmes. Il faut organiser le travail différemment. Chaque manager s’est accordé avec son équipe pour fixer une journée commune par semaine sur le site, où les temps collectifs et conviviaux sont privilégiés : café, réunion d’équipe, déjeuner… », souligne Anne Deneux. Les échanges fortuits qui font la force du présentiel ont été facilités par la configuration de nouveaux locaux (2019) : « Les différents services sont répartis en alcôves : ouvertes à tous, elles offrent une grande fluidité pour communiquer au sein des équipes. »
Envie de développer cette culture du leadership crafting dans votre entreprise ? « Vous pouvez mettre en place une cellule de veille, un lab interne, pour partager des lectures inspirantes, des études ou encore des podcasts utiles, conseille Laure Giradot. Il est clé que les managers développent une posture apprenante et contribuent à diffuser culture avec leur écosystème. »
* Projective est un collectif de travail qui explore et accompagne les transformations multiples du travail, culturelles, spatiales, organisationnelles, digitales et managériales. Face aux bouleversements géopolitiques, le travail hybride et les nouvelles attentes sociétales, Carole de Crozet et Laure Girardot questionnent les modèles managériaux établis.