Tribune – Mais, que s’est-il passé pour que le concept de QVT (Qualité de Vie au Travail) fasse son apparition dans l’entreprise à une vitesse aussi rapide ces dernières années ? Plusieurs éléments peuvent expliquer cette nouveauté. Par Jean-Luc Odeyer, président du Groupe JLO.
Tout démarre avec l’article L.4121-1 du code du travail qui stipule que l’employeur doit veiller à la sécurité et à la santé mentale et physique de ses collaborateur(trice)s en prenant les mesures nécessaires. La Cour de Cassation est venue rappeler à plusieurs reprises qu’il s’agit là d’une obligation de sécurité de résultat de l’employeur à l’égard de ses salariés, avec des évolutions récentes de la jurisprudence qui incitent l’employeur à agir en prenant des mesures opérationnelles. En 2010, le plan d’urgence de Xavier Darcos, fixant pour l’employeur l’obligation de travailler sur le champ des risques psychosociaux, a conduit les entreprises à réaliser les premières évaluations des risques psychosociaux et à structurer des plans d’actions correctifs (prévention primaire) portant principalement sur la formation aux RPS (prévention secondaire) et la prise en charge des situations de souffrance (prévention tertiaire). Pour autant le prisme d’entrée utilisé, à savoir les RPS, a conduit à diffuser des messages orientés négativement en entreprise, peu porteurs de sens et de valeurs au final.
L’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 19 juin 2013, vers une politique d’amélioration de la Qualité de Vie au Travail et de l’Egalité Professionnelle, a renversé le concept de QVT. Celui- ci évolue des RPS et de leur orientation négative, vers une dynamique plus positive ; en se centrant non pas sur la diminution des RPS, mais en agissant pour la promotion de la QVT et de l’Egalité Professionnelle dans une dynamique constructive.
Une évolution sociétale
L’évolution juridique est étroitement liée à l’évolution sociétale, et notamment aux évolutions des attentes des salariés vis-à-vis de leur emploi, de leur employeur et de leur relation au travail. Aujourd’hui, le travail est attendu comme un lieu de valorisation, d’épanouissement et de réalisation de soi, tout en respectant les équilibres vie privée – vie professionnelle.
La notion de préservation de la santé physique et mentale des salariés vient éclairer le concept de Qualité de Vie au Travail. C’est bien le travail qui est au centre de l’action pour l’individu et le collectif de travail.
Trois concepts utilisés mais n’ayant pas le même sens : Qualité de Vie au travail – Bien-être – Bonheur
Quelle distinction faire entre Qualité de Vie au travail, Bien-être et Bonheur, trois concepts fondamentalement différents pour l’individu, le collectif de travail et l’employeur ?
Le Dictionnaire Larousse donne les définitions suivantes :
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Bien-être = le fait d’être bien, satisfait dans ses besoins, ou exempt de besoins, d’inquiétudes ; le sentiment agréable qui en résulte
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Bonheur = l’état de complète satisfaction, de plénitude
Dans ces deux définitions, le lien avec le travail n’est pas établi. Le bien-être et le bonheur sont des états émotionnels personnels sur lesquels l’employeur ne peut agir dans l’absolu. Certes, le travail peut être une des contributions à ces états émotionnels, mais la situation personnelle et les aspirations individuelles en sont les principales composantes.
L’accord national interprofessionnel de 2013 sur la QVT pose le bien-être au travail comme une des résultantes de la Qualité de Vie au Travail. Un employeur ne peut promettre le bonheur et le bien-être à ses collaborateur(trice)s. C’est en cela que ces deux notions se distinguent très fortement du concept de Qualité de Vie au Travail pour lequel l’employeur a une responsabilité morale, sociale et juridique.
Qualité de Vie, Bonheur et Bien-être au Travail ne peuvent être mis au même niveau. En s’engageant dans les actions d’amélioration de la Qualité de Vie au Travail, l’employeur répond à sa responsabilité morale, sociale et juridique.
Une nouvelle obligation juridique : la négociation annuelle obligatoire sur l’égalité professionnelle homme-femme et la qualité de vie au travail
En 2016, la loi Rebsamen a introduit une nouvelle obligation annuelle de négocier, dite négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail. Celle-ci regroupe différentes thématiques :
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articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle pour les salariés
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objectifs et mesures permettant d’atteindre l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (accès à l’emploi et à la formation professionnelle, écarts de rémunérations…)
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mesures permettant de lutter contre toute discrimination en matière de recrutement, d’emploi et d’accès à la formation professionnelle
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mesures relatives à l’insertion professionnelle et au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés
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modalités de définition d’un régime de prévoyance et d’un régime de remboursements complémentaires de frais de santé (mutuelle d’entreprise)
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exercice du droit d’expression directe et collective des salariés
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modalités d’exercice du droit à la déconnexion des salariés et la régulation de l’utilisation des outils numériques, pour assurer le respect des temps de repos et de congé
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cette négociation annuelle peut aussi porter sur la prévention de la pénibilité.
A savoir : si l’entreprise est déjà couverte au 1er janvier 2017 par un accord portant sur les thèmes suivants :
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conciliation de la vie personnelle et de la vie professionnelle
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égalité professionnelle entre les hommes et les femmes
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lutte contre les discriminations
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emploi des travailleurs handicapés,
elle est dispensée de négocier sur ces thèmes selon les nouvelles modalités de la loi Rebsamen tant qu’elle est couverte par cet accord, et ceci au plus tard jusqu’au 31 décembre 2018.
À cette date, même si son accord est encore en vigueur, elle devra alors négocier un accord global suivant les nouvelles modalités.
L’accord Egalité Professionnelle et Qualité de Vie au Travail : une multitude de thématiques dont le lien unique est le travail
Mais dans cette variété de thèmes, quel est le tronc commun ? Effectivement, en tant que Directeur(trice) des Ressources Humaines ou Représentant(e) du Personnel, on peut se demander, comment négocier un accord sur autant de thématiques ? Quel lien faire émerger entre ces différents sujets ? C’est en pensant le travail et les relations au travail que l’on peut créer du lien :
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le travail comme lieu de préservation de la santé mentale et physique
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le travail comme lieu d’égalité des chances
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le travail comme lieu privilégié d’évaluation de l’individu sur ses seules compétences et performances
le travail comme lieu de réalisation et d’épanouissement personnel prenant en compte les équilibres de vie (vie professionnelle et vie personnelle)
Le travail redevient donc un centre d’intérêt essentiel de la fonction RH
La négociation annuelle sur l’Egalité Professionnelle et la Qualité de Vie au Travail vient donc repositionner le sujet du travail comme un axe principal de la réflexion RH pour les prochaines années.
Il s’agit là d’une vraie évolution de la fonction, dans laquelle l’Homme (hommes et femmes) au travail devient un sujet d’analyse, de réflexion, de questionnement et de plans d’actions.
Le directeur Qualité de Vie au Travail est le DRH d’aujourd’hui et de demain.