Beaucoup d’entreprises affichent le droit à l’échec comme une valeur fondamentale. Mais, concrètement, comment l’incarner au quotidien et passer d’une culture de la sanction à une culture de l’apprentissage ? Vincent Giolito, enseignant chercheur à EMLyon Business School, et Sébastien Joarlette, consultant en management et transformation au cabinet Oresys, partagent leurs points de vue sur les bonnes pratiques managériales à développer pour que le droit à l’erreur soit vraiment autorisé et bénéfique pour tous.
Selon Sébastien Joarlette, consultant au sein du cabinet Oresys, l’une des premières questions clés à se poser lorsqu’on parle du droit à l’erreur est celle de ses limites. « Lorsqu’un manager encourage son collaborateur à prendre des risques, à innover et à oser, cette invitation est-elle sans limites ou existe-t-il un cadre à respecter? », interroge-t-il. Sa réponse est nuancée : tout dépend de la culture de l’entreprise et de l’orientation que peut donner le manager. Si un chef d’équipe dit à un salarié de « se lancer », ce dernier pourrait se retrouver perdu, se demandant par où commencer et ce qui est attendu de lui. « Si la demande est trop vaste, le collaborateur peut hésiter. Par conséquent, lorsqu’un manager encourage un collaborateur à ne pas avoir peur de prendre des risques, il pourrait lui donner une direction en précisant, par exemple, que l’innovation pourrait concerner la méthode de travail, sans pour autant changer le produit final », explique le consultant.
Libérer la parole pour innover davantage
Sébastien Joarlette souligne aussi l’importance pour le manager de partager ses propres expériences d’erreurs, afin d’aider le salarié à éviter certains écueils : « Un manager n’est pas là pour laisser ses collaborateurs se heurter à des obstacles sans aide, mais pour les aider à grandir et à apprendre de leurs erreurs ». Cette dynamique de partage d’expériences, adaptée à chaque contexte d’entreprise, permet à la fois au manager de déléguer plus de responsabilités et donc de consacrer plus de temps à d’autres tâches, et au collaborateur de développer ses compétences, d’innover et d’être reconnu par ses pairs et sa hiérarchie.
Ainsi, Sébastien Joarlette recommande aux managers de partager leurs propres échecs ou tentatives infructueuses. « Cette approche encourage une culture d’ouverture, où les erreurs ne sont pas seulement tolérées, mais aussi considérées comme des opportunités d’apprentissage. Cela démontre qu’il ne s’agit pas d’un sujet tabou et encourage une atmosphère d’ouverture et d’acceptation », estime-t-il. Selon lui, il s’agit d’un changement culturel important qui doit être initié au niveau supérieur de l’entreprise : « Les collaborateurs ne peuvent pas simplement décider qu’ils ont désormais le droit d’expérimenter sans l’acceptation de la hiérarchie. Il faut une réelle volonté pour ce changement. »
Selon le consultant, pour que ce changement soit efficace, il doit donc être réellement appliqué par le top management, puis être « relayé par les managers de proximité qui doivent partager leurs propres expériences », réussites comme échecs. « Enfin, il faut donner aux collaborateurs des marges d’initiative, qui varieront en fonction des contextes, et tirer des enseignements individuels et collectifs de ces expériences », note-t-il.
« Le droit à l’erreur n’est donc pas une invitation à l’anarchie, à la prise de risques inconsidérée ou à la négligence. Il s’agit plutôt d’un appel à l’innovation et à l’expérimentation, mais dans un cadre bien défini et sous la direction d’un manager attentif ». Le droit à l’erreur, poursuit Sébastien Joarlette, doit être « équilibré et bien géré » pour être vraiment bénéfique : « Il est important de favoriser l’innovation et la croissance personnelle, à condition que cela soit fait de manière structurée et encadrée », note-t-il. « Le droit à l’erreur, s’il est bien compris et bien appliqué, est un puissant levier de développement pour l’individu et pour l’entreprise. Il est le signe d’une culture d’entreprise mûre et confiante, capable de transformer ses erreurs en opportunités de progrès et d’apprentissage. »
Bien manager les erreurs
Comment, finalement, poser les bases d’un environnement de travail où les erreurs sont reconnues et utilisées comme des opportunités d’apprentissage ? Pour Vincent Giolito, les managers ont un rôle clé à jouer dans la transformation de la « culture de l’erreur ». « La gestion, le management des erreurs, implique une prise de conscience individuelle que les erreurs sont possibles et qu’il est donc préférable de vérifier son travail avant de le finaliser, de corriger au fur et à mesure, de s’habituer à rectifier ses propres erreurs. Cela demande aux managers de faire preuve de discernement. En tant que chef d’équipe, il est crucial de savoir distinguer deux types d’erreurs : celles commises individuellement et celles qui surviennent dans un contexte collectif. Mais dans les deux cas, le manager doit reconnaître l’existence de ces erreurs et tenter de les dépersonnaliser », estime le chercheur.
La communication joue également un rôle crucial dans cette transformation. Vincent Giolito recommande de « reconnaître l’aspect collectif » des erreurs : « au lieu d’accuser une personne en particulier (en disant ‘tu as fait une erreur’, par exemple), ce qui pourrait provoquer des tensions, il est préférable de s’exprimer de manière plus neutre. On peut dire, par exemple, ‘nous avons fait une erreur’ ou ‘il y a eu une erreur’. Cela souligne la responsabilité collective de l’équipe, y compris celle du manager, face à l’erreur. »
« En tant que manager, le but est donc de limiter les dégâts causés par l’erreur, mais aussi et surtout d’apprendre de celle-ci », explique Vincent Giolito. « Il est essentiel de comprendre qu’il est impossible d’éliminer totalement les erreurs. C’est ainsi, en créant un environnement sûr et ouvert, où les erreurs sont perçues comme des occasions d’apprentissage, on favorise un climat de travail où les employés se sentent à l’aise pour admettre leurs erreurs et en tirer des leçons. »
Mieux former les managers
Enfi, selon Vincent Giolito, un obstacle majeur à la mise en place d’un véritable droit à l’erreur est le manque de formation des managers pour gérer efficacement les erreurs. « Actuellement, les managers ne sont généralement pas formés à gérer efficacement les erreurs. En effet, le paradigme dominant dans notre société tend à assimiler l’erreur à la faute, et la faute à la sanction, » insiste-t-il. Pour lui, le défi est de changer ce paradigme, et de passer d’une mentalité de sanction à une mentalité d’apprentissage : « Il serait préférable de se concentrer sur la minimisation des conséquences des erreurs, c’est-à-dire gérer les erreurs et en tirer des leçons, plutôt que de chercher à désigner un coupable. »
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