Les motifs de prise de congés se multiplient en entreprise ces dernières années. Deux grands types ont le vent en poupe : ceux en faveur de la santé des femmes au travail (congés IVG, fausse couche, menstruation) ; et ceux reflétant les avancées sociétales (congés pour les proches aidants, pour s’occuper de son animal domestique, pour une transition de genre ou encore des trajets responsables). Leur point commun ? « Ces congés sont du ressort de la sphère privée. La frontière ne cesse de s’effacer entre la vie personnelle et la vie professionnelle des travailleurs », commente Jean-Etienne Joullié, professeur en management à l’EMLV à Paris.
Cette approche est relativement récente. « Au départ, les salariés étaient considérés comme du « personnel » avec qui l’entreprise négociait, puis ils sont devenus des « ressources » dont elle doit prendre soin. Ces congés sont une suite logique de l’évolution de la relation de travail. Une dynamique amorcée depuis plusieurs décennies déjà, que le télétravail est venu renforcer en 2020″, explique l’enseignant-chercheur. Cela est positif pour les salariés qui sont « soutenus face à des évènements involontaires de la vie et qui peuvent arriver à tout le monde », mais cela les placerait aussi, selon lui, comme des « consommateurs de services proposés par l’entreprise » et « dans un rapport patriarcal » avec cette dernière.
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Parmi les congés émergents, dont la plupart ne font pas encore l’unanimité dans le monde du travail, le congé menstruel est celui qui a suscité le plus de débats ces derniers mois. Après que l’Espagne ait adopté une loi en février 2023 pour l’instaurer – premier et unique pays européen à ce jour -, la France s’est interrogée à son tour sur cette nécessité. Des élus de gauche ont notamment suggéré d’octroyer deux jours de congés par mois aux femmes atteintes de dysménorrhée (règles douloureuses et invalidantes).
Mais cette proposition de loi a été rejetée par la majorité sénatoriale et le gouvernement fin mars 2024. L’opposition, ainsi que des associations féministes, redoutent une stigmatisation plus forte des femmes au moment de l’embauche ou au cours de leur carrière, ou encore une violation du secret médical. Jean-Etienne Joullié abonde en ce sens : « Nous franchissons certaines limites. L’entreprise n’est pas la famille. Elle n’en est pas non plus un substitut. Certains aspects de nos vies doivent rester confidentiels. De plus, ces initiatives nécessitent un contrat de confiance avec le manager, ce qui n’est pas toujours le cas. Quand les relations se passent mal, les salariés peuvent voir leur vie privée se retourner contre eux. »
C’est pourquoi, pour l’heure, seule une poignée d’entreprises et collectivités déploient ce genre de mesure sans attendre de modification de la législation. Que ce soit pour le congé menstruel à la Mairie de Saint-Ouen, le congé IVG à la Maif ou encore le congé endométriose à Carrefour.
Emergence du congé animal
Ces décisions se prennent dans des contextes précis, notamment lorsque l’organisation a une « identité forte sur un sujet donné », explique le professeur en management. Un exemple ? Le déploiement du congé animal. Tous les salariés de Wamiz, site Internet de référence sur les animaux domestiques, disposent depuis 2023 de trois journées d’absence offertes par leur employeur pour soigner leur compagnon. SantéVet, société d’assurance pour les animaux domestiques, propose un congé similaire depuis 2022, notamment en cas de perte. « La mort d’un animal de compagnie peut être un véritable choc », affirme Hugues Salord, son CEO. « C’est comme un membre de la famille avec qui nos salariés partagent des moments de vie importants. Les derniers instants vécus chez le vétérinaire peuvent être bouleversants. ?Nous sommes convaincus que c’est une bonne chose de leur accorder un jour de congé afin qu’ils fassent leur deuil. Cela nécessite, certes, un contrat de confiance. Mais pour le moment, tout s’est bien passé avec ceux qui en ont bénéficié. Nous comptons à ce jour 57 jours d’absence cumulés. » A noter que l’entreprise « pet-friendly », comme elle se qualifie, accueille aussi les animaux de ses salariés dans ses locaux.
Ces différents congés sont alors un moyen de se montrer exemplaire, d’ouvrir la voie à de nouvelles pratiques professionnelles. Mais, serait-ce judicieux de les imposer à grande échelle ? De l’étendre à toutes les organisations ? « Pas sûr ! », termine-t-il.