“Elle réussit parce qu’elle est jolie”, “Les femmes ne sont bonnes que pour faire le ménage”… Que ces propos soient sincères ou se veuillent humoristiques, ils n’en sont pas moins le quotidien de nombreuses femmes en entreprise, qui subissent ces comportements et finissent par en souffrir.
La robe à fleurs bleues de Cécile Duflot, ministre de l’Égalité des territoires et du Logement, a fait “sensation” auprès de certains députés “mâles” de l’Assemblée nationale en juillet dernier. Une réaction puérile pour les uns, machiste pour les autres, mais qui souligne en tout cas une chose : le regard porté sur les femmes, même dans les plus hautes sphères du pays, est encore bien souvent tourné vers l’apparence physique.
Dans le monde de l’entreprise, de telles réactions sont légions. Et si la question du machisme au travail ou dans la vie de tous les jours vous intéresse, commencez par faire un tour sur le blog Viedemeuf* : les témoignages sont éloquents. Les préjugés anodins, les petites blagues pour femmes qui n’ont pas d’humour… : dans le monde de l’entreprise, vous avez l’embarras du choix ! “Sous prétexte que la voisine aime téléphoner dans des poses lascives, mes collègues masculins ont installé une webcam en direction de sa fenêtre, peut-on lire sur le portail Web. La direction a bien rigolé. Normal, il n’y a que des hommes aux postes de direction… Bonne ambiance de travail !” Des exemples de ce style, il y en a pléthore. Citons également : “Ma patronne auditionne des candidats pour un poste d’ingénieur. Le DRH de la boîte lui conseille de privilégier un homme, car ‘une femme, ça part en congé maternité’. Je comprends mieux pourquoi il était contre mon embauche.” Ou encore : “Vendredi, déjeuner entre collègues. La conversation tourne autour du congé maternité de la comptable et de ses ‘conséquences sur l’entreprise’. Tout à coup, l’un des cadres présents a une illumination : ‘Vous devriez toutes vous faire ligaturer les trompes, on serait tranquilles!’ Il y a quelques mois, le même avait suggéré l’instauration de tests sanguins mensuels pour le personnel féminin…”
Remise en cause des compétences
Des phrases de ce type, supposées être drôles ou réellement pensées par leurs auteurs, les femmes en entendent au quotidien dans l’univers de l’entreprise. Marie**, 33 ans, créatrice d’entreprise et ancienne cadre commerciale, a travaillé sept ans dans une société de transports. Partie du bas de l’échelle, elle a peu à peu monté les échelons. “J’étais coquette, je faisais attention à ce que je portais, d’autant plus face à la clientèle. Et il était fréquent que j’entende, dès que je réussissais à décrocher un client, des remarques sur mon joli sourire, mon décolleté, mes fesses…” Lorsqu’elle réussissait, ce n’était jamais grâce à ses compétences… Elle affirme néanmoins avoir dû faire deux fois plus d’efforts, beaucoup plus preuve de capacités, pour les mêmes risques… et un salaire moindre.
En outre, “les collègues vous collent toutes les relations possibles : la Terre entière vous est forcément passée dessus pour que vous ayez réussi”. Marie précise que les sources de telles rumeurs ne se cachaient même pas pour parler. “On les mouche, on arrive toujours à se défendre, mais c’est un combat permanent. Mais au début, on le prend mal. Il m’est arrivé plein de fois de rentrer à la maison effondrée.”
Attention au retour de bâton
Heureusement, son conjoint est compréhensif et la soutient. Il lui conseille même de dénoncer cette attitude “plus haut” dans l’entreprise… ce qu’elle ne fait toutefois pas. “Je trouvais que cela faisait un peu cour d’école.” Et lorsque l’on a un salaire assuré tous les mois et que l’on ne connaît pas la position de la direction sur ce sujet, il est parfois difficile de franchir le pas… Marie préfère donc aller au front.
Toutefois, son caractère de feu lui vaut parfois quelques soucis. “C’est le risque : la victime devient coupable de semer la pagaille. On est seule contre tous. J’ai finalement pris le parti de laisser ‘braire les ânes’.” Elle parvient à faire la part des choses en se disant que si sa hiérarchie lui a donné l’opportunité d’évoluer, c’est que celle-ci croit en ses capacités. “J’ai eu la chance d’avoir des supérieurs qui m’ont fait confiance à une époque. Et ce qui était important, c’est ce que pensaient mes clients.” Et là, ses compétences sont reconnues, chiffres à l’appui puisqu’elle affiche d’excellents résultats.
Victoire personnelle
Marie a néanmoins songé à quitter l’entreprise, à repartir de zéro, là où personne n’aurait de préjugés et ne la cataloguerait pas sur la base de bruits de couloirs. Mais elle a été promue et a décidé de saisir l’opportunité qui récompensait ses efforts au travail. Par ailleurs, elle devenait ce faisant la supérieure des personnes qui portaient des jugements sur elle. Elle n’a bien sûr pas profité de sa position pour se “venger”. Mais “c’était ma victoire personnelle”, lance-t-elle.
Toutefois, le secteur des transports a beau compter dans ses rangs beaucoup plus d’hommes que de femmes, cela n’explique pas tout. Mélanie, 34 ans, est responsable administrative et financière dans un milieu “pas spécialement masculin”. Et pourtant, le machisme sévit aussi. L’heure du déjeuner est d’ailleurs propice à ces petits dérapages, ces phrases déplacées qui se veulent amusantes mais qui ne font pas rire tout le monde…
“Cependant, la situation la plus ‘drôle’, raconte-t-elle, s’est déroulée dans ma précédente entreprise. J’étais responsable du contrôle de gestion. J’étais en réunion avec le directeur financier et le chef comptable, des messieurs tous deux, et ils discutaient ensemble. La réunion ne démarrant pas, je me suis lancée et j’ai dit : ‘Il y a du travail, commençons : qu’est-ce que je peux faire pour vous faire plaisir ?’ Le directeur financier a tapé du point sur le bureau et a scandé : ‘À poil ! À poil !’” Mélanie n’avait pas de relations intimes ni même suffisamment proches avec ce directeur pour s’attendre à de tels propos.
Difficile de savoir bien réagir
Le chef comptable présent, gêné de la scène, n’a eu aucune réaction : “Il s’est figé, a regardé le bureau.” Quant à Mélanie, elle estime avoir réagi “d’une façon stupide. Dans ces moments-là, vous ne savez jamais s’il faut passer pour celle qui n’a pas d’humour… J’ai simplement repris en disant : ‘Très sérieusement, est-ce que l’on peut revenir au travail ?’ J’ai eu une réaction timorée”.
Le plus difficile à accepter pour elle a été le message caché derrière ce type de propos. “Je me donne un mal de chien pour montrer que je suis une professionnelle, mais une telle personne me renvoie à l’image de la pin-up.”
Et des épisodes de ce genre, elle en a beaucoup d’autres en tête. “Dans le comité de direction aussi, c’était assez ‘fleuri’ !, indique-t-elle. Le directeur de l’industrie, au sein de la direction commerciale, avait des propos et des relations plus que déplacés avec moi. Je n’ai pas été très bonne dans ma réaction non plus.” Cet homme tenait des propos machistes envers beaucoup de femmes. Il avait d’ailleurs obtenu le numéro de portable personnel de Mélanie et lui envoyait des textos suggestifs. “J’étais furieuse, mais je n’étais pas sûre du comportement à adopter par rapport à cela. J’aurais dû monter aux ressources humaines, montrer les textos à un délégué syndical, contacter le directeur de l’industrie directement…”
Lâchées par leur hiérarchie
Et cette mésaventure ne s’est pas arrêtée là. “Cette personne étant membre du comité de direction, je lui devais un certain nombre d’analyses, de reportings. J’avais des réunions mensuelles avec mon équipe et lui. En réunion, j’étais à côté du vidéo-projecteur, il est arrivé dans la salle et s’est installé près de moi en disant : ‘Je vais m’asseoir à côté de Mélanie parce qu’elle est chaude’.”
Impossible de continuer à travailler dans ce contexte. La jeune femme décide de démissionner, malgré un métier qu’elle aime, une équipe qu’elle apprécie… “Je ne me sentais pas en sécurité face à de telles personnes. Le top management ne vous soutient pas et ne protège pas ses salariés face à ce genre d’énergumènes.”
Le plus frappant dans ce type de situation, c’est le manque total de recours. Difficile en effet de rechercher du soutien auprès des RH quand le directeur du service lui-même adopte une attitude similaire. En allant rendre son ordinateur aux ressources humaines après sa démission, le DRH lui a dit, tous sourire et dents blanches dehors : “‘Vous aviez deux défauts : vous êtes jeune, et vous êtes une femme’. Si j’avais regretté ma démission, cette fois, je n’avais plus de doutes.”
Mélanie travaille aujourd’hui pour une autre société. Mais si la vie y est beaucoup plus simple, elle rencontre parfois encore ce genre de réaction. “C’est très insidieux. Un de mes homologues, directeur du contrôle de gestion, ne peut pas me parler sans me faire une réflexion sur ma tenue vestimentaire, m’appeler ‘jolie Mélanie’, me demander : ‘Qu’est-ce que tu fais ce soir ?’…”
“Cela m’a coûté mon poste”
D’ailleurs, dans le cas de Marie non plus, la hiérarchie n’est jamais intervenue pour stopper les bruits de couloir. “Une entreprise, je pense que cela ne l’intéresse pas du tout, estime-t-elle. Moins elle en entend, mieux elle se porte. La gestion des conflits en interne entre collègues, de manière générale, les employeurs n’aiment pas trop y mettre le nez…” Marie aurait pourtant apprécié une intervention de la part de sa hiérarchie, par respect pour ses compétences et le travail effectué, bien qu’elle trouve aussi cela gênant.
D’autant que le machisme du quotidien, elle l’a finalement aussi rencontré au niveau de sa direction. “Mon directeur commercial a sous-entendu que s’il y avait moyen de faire quelque chose de plus (entendez : ‘avoir des relations sexuelles’, ndlr), mes objectifs pourraient être révisés… Mais ‘si tu ne changes pas ton comportement, des objectifs, je vais t’en mettre pour que tu n’y arrives pas !’”
Une situation d’autant plus difficile à gérer qu’elle avait cette fois-ci affaire à un cadre dirigeant. “De toute façon, cela m’a coûté mon poste”, souligne-t-elle. En effet, après avoir subi, lors d’une réunion, des propos particulièrement obscènes de la part de cette même personne, elle a tout bonnement été renvoyée. Elle gagnera son procès aux Prud’hommes, mais le mal est fait…
Cette expérience, Marie a néanmoins su la transformer positivement en créant sa propre entreprise. “Je me fais un point d’honneur : mes commerciaux sont des hommes et des femmes, tous payés de la même manière, et je ne veux entendre aucune critique de Pierre, Paul ou Jacques. Les collègues n’ont pas à juger la vie privée des autres.”
*http://viedemeuf.blogspot.fr, blog de l’association “Osez le féminisme !”.
**Le prénom a été changé.