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Emploi des seniors : « Il faut un choc de prévention pour faire face à ce défi collectif »

Des entreprises, comme L'Oréal, prennent à bras-le corps les enjeux liés à l'employabilité des seniors. Elles sont aujourd'hui 136 à avoir signé la "Charte en faveur de l'emploi des plus de 50 ans". Retour avec Sibylle Le Maire, fondatrice du collectif Le Club Landoy, et Hervé Navellou, président de L'Oréal France, sur un défi qui aura des répercutions bien au-delà des murs des organisations s'il n'est pas pris au sérieux à temps.

Allongement de l’espérance de vie, vieillissement de la population, baisse de la natalité… Les nouvelles dynamiques démographiques à l’œuvre entraînent des bouleversements sociétaux et économiques majeurs en France. Si nous n’en observons encore que les balbutiements – le report de l’âge de départ à la retraite en est un exemple -, une poignée d’entreprises pionnières, signataires de la Charte* en faveur de l’emploi des plus de 50 ans, entend anticiper ces changements afin d’en limiter les probables conséquences négatives. « Il faut un choc de prévention en entreprise autour des enjeux démographiques, et des mutations sociales et sociétales peu visibles. C’est aux entreprises de montrer la voie, de rendre le travail attractif. Ce n’est pas un luxe ou un supplément d’âme, c’est ce qui nous permettra collectivement de répondre aux défis de demain », affirme Sibylle Le Maire, fondatrice du collectif Le Club Landoy.

Ce dernier a, d’ailleurs, dévoilé le premier index senior en France sur l’emploi des 50+ ans, ce mercredi 29 mai 2024. Résultats clés ? En 2023, un salarié sur trois (32 %) avait plus de 50 ans ; 28 % des heures de formation sont suivies par ces salariés ; un sur cinq (22 %) a été mobile professionnellement ; et enfin, ils représentent seulement 11 % des recrutements. « Ce dernier chiffre illustre que si les séniors sortent du marché du travail, c’est eux qui auront le plus de mal à y revenir », regrette-t-elle. Pourtant, « en 2030, 50 % des Français auront plus de 50 ans », rappelle Hervé Navellou, président de L’Oréal France. Aussi, « il est fondamental de valoriser ce capital humain. C’est une richesse pour l’entreprise. Il s’agit ainsi d’intensifier les dispositifs existants et d’en inventer de nouveaux », ajoute-t-il. En interne, le géant de la cosmétique a récemment lancé « L’Oréal for All Generations » qui s’articule autour de plusieurs actions, alignées avec les 10 engagements de la Charte en faveur de l’emploi des plus de 50 ans (détaillé plus bas).

Relation gagnant-gagnant

Du côté des petites entreprises, la relation avec les salariés seniors peut également s’avérer gagnante. Si elles ont tendance, notamment dans la tech, à être lancées par de jeunes dirigeants, qui eux-mêmes recrutent de jeunes collaborateurs, pour s’adresser à de jeunes clients, elles embauchent plus de profils séniors. « Les plus de 50 ans s’imposent à nous, remarque Vincent Huguet, à la tête de Malt. Ce sont des personnes qui ont fait carrière, ont de l’expérience, du réseau et une connaissance très pointue sur certains sujets. Nous avons besoin d’eux pour nous développer. Quant aux séniors, ils intègrent nos entreprises pour gagner en agilité, trouver du sens à leur travail, et avoir de l’impact sur la société. »

Vers des conflits intergénérationnels ?

Cependant, il ne faut pas sous-estimer certaines conséquences de tels dispositifs. D’un point de vue managérial, par exemple, le défi est double : apaiser de possibles tensions intergénérationnelles, et faire accepter un manager plus jeune auprès du reste de l’équipe. Concernant ce premier point, « il est vrai qu’il est délicat pour un manager de superviser des équipes où les salariés sont confrontés à des étapes de vie très différentes. Leurs priorités ne sont pas les mêmes. En revanche, je suis persuadée que plus une équipe est composée de profils variés, plus elle est performante. Les salariés expérimentés peuvent transmettre leurs connaissances aux plus jeunes membres du groupe, et les juniors, eux, peuvent partager leurs compétences, notamment technologiques, avec leurs aînés », avance Sibylle Le Maire.

Concernant le deuxième challenge à relever, Hervé Navellou estime que si « un système méritocratique efficace est mis en place en entreprise, et que les managers les plus compétents sont choisis pour occuper un poste à responsabilités, alors la décision sera objective, transparente, et donc indiscutable. Et ce, peu importe l’âge du manager. Tout le monde doit avoir la possibilité de se développer et de gravir les échelons. » Cela nécessite, par ailleurs, de la part de ces différents profils, « d’adopter une posture humble au sein des organisations », complète Alexandra André, directrice générale de la French Tech Grand Paris.

Les femmes, en première ligne

A noter que la « séniorisation des entreprises » est un enjeu crucial pour les femmes. « Elles sont en première ligne de ce bouleversement », affirme Sibylle Le Maire. Et ce, pour quatre raisons majeures : Premièrement, elles sont plus fragiles économiquement que les hommes en raison d’une carrière moins linéaire et de salaires moins élevés. Deuxièmement, leur santé est impactée prématurément avec l’arrivée de la ménopause. Troisièmement, elles se retrouvent davantage en situation de famille monoparentale, avec des enfants à charge, « et dans 73 % des cas, ce sont elles qui deviennent proches aidantes, en s’occupant de parents vieillissants. Enfin, parce qu’elles vivent en moyenne plus longtemps que les hommes. Et 30 % d’entre elles doivent vivre à la retraite avec un revenu inférieur à 890 euros par mois. »

« Nous ne pouvons pas nous contenter de cet avenir sombre, incompatible avec les valeurs d’une société moderne, qui abimerait un projet de société plus large, allant au-delà des portes de l’entreprise. Si le sujet prend de l’ampleur, la prise de conscience autour de ces enjeux doit s’accélérer », estime Sibylle Le Maire. Dans les prochaines années, l’objectif est donc que « le plus d’entreprises possibles rejoignent le collectif en signant la Charte en faveur de l’emploi des plus de 50 ans », conclue Hervé Navellou.

*Pour rappel, la Charte en faveur de l’emploi des plus de 50 ans – co-initiée par le groupe L’Oréal, sous le haut patronage du Ministère de Catherine Vautrin – a été signée par 36 entreprises en mars 2022. Puis, elles étaient 47 en 2023. Et sont désormais 136 entreprises engagées sur ce sujet (soit plus de 2 millions d’actifs français), construit autour de 10 grands piliers (communiquer ; agir en toute bienveillance et respect ; accompagner le développement des compétences ; recruter des personnes à toutes les étapes de leur carrière ; favoriser la transmission des savoirs et le partage d’expériences ; valoriser les profils expérimentés ; proposer un accompagnement individualisé sur les aspects de santé et de bien-être ; accompagner les salariés aidants ; accompagner le départ à la retraite ; et conserver le lien avec les anciens salariés).

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