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En cas de litiges au travail, les enregistrements clandestins sont-ils désormais autorisés comme preuves ?

En décembre dernier, le droit à la preuve a légèrement évolué en faveur des preuves jugées illicites ou déloyales jusqu'alors. Aussi, peut-on désormais filmer ou enregistrer clandestinement ses collègues, ou son supérieur hiérarchique, pour s'en servir comme preuve ? La réponse n'est pas si simple... Explications d'Eric Rocheblave, avocat spécialisé en Droit du travail.

C’est inédit. En décembre 2023, l’enregistrement clandestin d’un employeur – à l’insu d’un salarié, licencié pour faute grave – lui a permis d’obtenir gain de cause. Cette décision rendue par la plus haute formation de la Cour, l’Assemblée Plénière, a provoqué une déflagration dans le monde judiciaire, tant les avocats craignent des dérives en matière d’obtention de preuves illicites ou déloyales dans un procès. Ce cas d’école constitue-t-il un précédent ? Eclairage d’Eric Rocheblave, avocat spécialisé en Droit du travail.

Que disait la loi en matière de preuve avant décembre 2023 ?

Eric Rocheblave (ER) – Lors d’un procès aux Prud’hommes entre un salarié et son entreprise, la preuve est fondamentale. Elle permet de gagner ou de perdre le procès. Mais bien souvent, notamment dans des cas de harcèlement moral ou sexuel au travail, il est difficile pour la victime présumée de prouver ce qu’elle dénonce. Les éléments de faits présumés, autrement dit les affirmations de cette dernière, ne constituent pas une preuve en elle-même. Les témoins sont également difficiles à trouver, car peu d’individus veulent s’exposer, parler… Quant aux preuves illicites ou déloyales, autrement dit obtenues à l’insu de la partie adversaire (enregistrements vocaux clandestins, vidéos de surveillance sauvages, accès à des publications privées sur les réseaux sociaux, filatures, géolocalisation d’une personne ou d’un véhicule, etc.), elles sont considérées comme un délit pénal, car portant atteinte à la vie privée, et étaient donc – de facto – rejetées. Face à une défaillance de preuves, de nombreux individus renonçaient ou perdaient le procès.

Désormais, les individus peuvent-ils recourir librement à des preuves déloyales ?

ER – Depuis le 22 décembre 2023, le droit à la preuve a légèrement évolué. L’Assemblée Plénière de la Cour de cassation, dans l’arrêt n°20-20.648, paragraphe 12, a décidé que les preuve illicites ou déloyales n’étaient plus systématiquement exclues des débats. Si en théorie, elles constituent toujours un délit pénal, elles sont – dans le même temps – indispensables à certaines libertés fondamentales, comme avoir droit à un procès équitable et droit à la défense. L’avocat doit ainsi prouver que recourir à un moyen plus vertueux n’était pas possible. Le juge, lui, devra mettre tout cela en balance et décider de la recevabilité de cette preuve. Mais, attention, il ne s’agit pas pour autant d’enregistrer ses collègues ou son supérieur hiérarchique n’importe comment ! La violation de la loi doit être proportionnée au but poursuivi. En d’autres termes, cette décision facilite l’accès à la preuve, mais s’inscrit dans un cadre complexe.

Quels conseils donneriez-vous aujourd’hui à un salarié en difficultés avec son entreprise ?

ER – Je lui demanderai d’abord de m’apporter ce que l’on appelle des preuves « royales », autrement dit incontestables (réception de mails déplacés, appels téléphoniques abusifs, etc.), mais elles sont rares, voire inexistantes, comme je le disais précédemment. Donc, je lui demanderai aussi de me transmettre toutes les preuves dont il ou elle dispose, même illicites et illégales, pour optimiser les chances de remporter le procès. Il faut savoir toutefois que la preuve, loyale ou déloyale, peut toujours être ambivalente : des phrases peuvent paraître plus harcelantes en fonction des uns et des autres, des extraits sonores de conversations peuvent être suspectés de n’être que partiels. Les antécédents entre deux personnes – la nature de leur relation antérieure – va également être étudiée. Une preuve peut aussi être recevable aux yeux du juge, mais insuffisante pour condamner un employeur. La partie adversaire cherchera toujours à décrédibiliser la preuve apportée par la victime présumée. Chaque cas est unique, et là encore, c’est au juge de trancher. Pour résumer, cette décision récente n’interdit rien, mais n’autorise pas tout !

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