Platform.sh est une start-up fondée en France, mais qui compte 200 collaborateurs répartis partout dans le monde. Toutes ses équipes sont en télétravail à temps plein. Frédéric Plais, co-fondateur et CEO de cette entreprise “distribuée”, nous explique comment le “full remote” fonctionne. Un avis éclairant, tandis que certaines sociétés souhaitent tendre vers le “teleworking” à 100 %.
Comment Platform.sh est-elle devenue une organisation “distribuée” en “full remote” ?
Nous avons démarré notre business en 2014. Mais au bout d’une année dans un bureau à Paris, nous avons décidé d’être 100 % en télétravail. La nature de notre activité permet le full remote : nous sommes une plate-forme de services, dont les développeurs aident les entreprises à héberger leurs sites. Notre croissance a toujours été forte, et dès 2014, nous avons dû recruter des collaborateurs. Mais ce besoin a vite débouché sur la délocalisation : nous n’arrivions pas à recruter sur place, ni pour nos locaux de Paris, ni pour nos petites antennes de Londres et San Francisco ; car ce sont des “hubs” connus de la tech, et les ingénieurs dont nous avions besoin étaient les mêmes que ceux recherchés par Google, Blablacar, Deliveroo et Twitter.
C’est à ce moment là que nous avons décidé de recruter des collaborateurs partout dans le monde. Sans critères de géographie. Il est apparu que cela fonctionnait très bien, et nos pratiques, ainsi que notre culture, se sont construites en partie autour de cette expérience réussie. Aujourd’hui, nous avons 200 collaborateurs, dans 40 pays, en Europe (France, Allemagne et Royaume-Uni), mais aussi aux États-Unis, en Australie et à Hong Kong. Nous gardons un petit bureau à Paris, mais qui reste symbolique ; un endroit pour se retrouver ; où travaillent 5 à 10 personnes et quelques stagiaires.
Notre concept, c’est de pouvoir travailler d’où l’on veut, même à l’international. Aujourd’hui, les gens pensent surtout au télétravail comme un travail à la maison ; mais c’est beaucoup plus que cela. Le lieu d’où nous travaillons ne compte plus, et les collaborateurs sont complètement libres sur ce sujet.
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Quels avantages avez vous découvert avec ce système ?
Le premier avantage, pour nous, c’est de pouvoir recruter, sans limite, des talents et des ingénieurs de bon niveau. Cette année, nous avons embauché 80 personnes, à partir de 14 000 CV. Ce qui montre à quel point le remote est attractif. Ce point est très différenciant par rapport aux autres start-up parisiennes, qui se plaignent de leur difficulté à recruter : nous n’avons plus ce problème.
L’intérêt, toujours en matière de recrutement, c’est aussi de pouvoir garder nos collaborateurs plus longtemps. Nous leur permettrons de travailler d’où ils le souhaitent, à temps plein. Ils ne perdent plus leur temps dans les transports, optimisent leur temps. Ils ont très peu de raisons de nous quitter ensuite.
Le dernier avantage, la valeur ajoutée de notre modèle, c’est la diversité et le multiculturalisme des effectifs. Nos travailleurs ont 38 nationalités différentes, et autant d’idées variées et enrichissantes.
A l’inverse, quelles sont les limites du full remote ?
Le seul pendant à tout cela, c’est la nécessité d’organiser des temps de rencontre et de convivialité. Le remote ne signifie pas que l’on ne se voit pas : il est essentiel que nous puissions nous réunir. On nous parle souvent de l’économie que représente le fait de ne pas avoir de locaux. C’est certes un coût en moins, mais il est compensé par les déplacements qui permettent aux équipes de se retrouver. Les frais liés aux voyages et à l’hôtellerie sont très importants.
Pourquoi mettons-nous un point d’orgue à nous voir au maximum, quitte à beaucoup bouger ? Parce que c’est ainsi que nous contribuons à créer notre culture d’entreprise. Même si nos équipes sont ultra-connectées, les visioconférences ne sauraient remplacer le contact humain. Nous organisons souvent des meetings et des événements destinés à renforcer la cohésion des équipes. À Paris, mais aussi Barcelone ou à Londres, chaque année, tous nos salariés se rassemblent pendant une semaine pour apprendre à se connaître. Le reste du temps, les managers organisent des séminaires avec leurs équipes (4 personnes en moyenne), environ deux fois par an.
D’une manière générale, nos collaborateurs discutent tout le temps, en visioconférences (Google Hangouts) ou en calls, ainsi que sur notre tchat interne (via Slack), qui est un endroit où la culture de l’entreprise s’entretient. Ce qui nous manque, c’est bien sûr la machine à café. Certains de nos salariés organisent des pauses café informelles et virtuelles. Mais le côté convivial du bureau se perd tout de même. C’est pourquoi il est important pour nous de nous voir fréquemment.
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Le management est-il différent en remote ?
Les principes restent les mêmes que dans n’importe quelle entreprise, mais face à la distance, la communication écrite prend une plus grande place que la communication verbale. Afin d’avancer dans la même direction, il nous faut être clairs sur nos projets : c’est pourquoi il nous faut tout planifier et nous appuyer sur une documentation solide, que chacun alimente en permanence, sur Google Drive.
Nos managers instaurent aussi des rituels, une routine pour entretenir la cohésion et le partage des informations : des réunions d’équipe ou individuelles, virtuelles ou physiques. Le mot d’ordre reste enfin de ne pas contrôler les travailleurs : notre management est basé sur la confiance. Pas de flicage. Chacun est libre d’organiser ses journées comme il l’entend, du moment que le travail est fait.
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Quels conseils donneriez vous aux entreprises tentées par le full remote, en cette période post-confinement ?
Faites confiance à vos salariés ! Le remote est basé sur la confiance, et il ne convient pas aux maniaques du contrôle. Il faut inspirer ses équipes, savoir déléguer, et communiquer au maximum avec ses collaborateurs, sans abuser des visioconférences. L’enjeu sera de trouver le bon équilibre entre la communication synchrone (les calls et les visios) et asynchrone (tchat, e-mails). Avec l’idée que les gens doivent se parler, presque tout le temps.
Enfin, il faut absolument passer à l’écrit pour définir les process ; et fournir un accès à une information documentée. Il faut écrire plus qu’avant.