Les DRH comme les managers et les salariés sont nombreux à considérer l’entretien annuel d’évaluation comme inefficace, voire inutile. Afin de passer d’un simple rituel bureaucratique à un échange constructif, la clé pourrait être pour les entreprises de multiplier les temps d’échange tout au long de l’année, et de miser sur le feedback continu.
L’entretien annuel est un rendez-vous incontournable pour les employés et les managers. Il permet de faire le bilan de l’année écoulée, de fixer de nouveaux objectifs pour l’année à venir, et de discuter des besoins et du bien-être des collaborateurs. Cependant, cet événement est bien souvent perçu comme vain et stressant. Selon une étude de Zestmeup, 70 % des DRH estiment qu’il est inefficace, et 65 % des employés le considèrent comme une perte de temps. D’après une autre enquête, menée par Elevo, 44 % des salariés français jugent vont jusqu’à le juger inutile.
« L’entretien annuel est un bon moyen de prendre du recul par rapport au quotidien, dans une période où les gens vont à 100 à l’heure. Pour le collaborateur, c’est l’occasion de se poser les bonnes questions : que s’est-il passé cette année, qu’a-t-il réalisé. Pris dans le flux du quotidien, il ne prend pas toujours conscience de ce qu’il fait. Pour le manager, c’est un rituel important pour appréhender la performance et la motivation du salarié, pour clarifier les problèmes et pour trouver des solutions. Mais encore faut-il que ce temps fort soit bien préparé, des deux côtés », explique Vincent Binetruy, Directeur France du Top Employers Institute. Pour l’expert, il s’agit aussi d’un temps d’échange précieux pour les managers car il est potentiellement vecteur d’engagement et de rétention, en pleine guerre des talents : « Les salariés, notamment ceux de la génération Z, souhaitent intégrer une organisation dans laquelle ils trouvent leur place, qui les accueille comme il se doit, et qui reconnaît leur singularité et leur apport de valeur. Ils aspirent à un travail qui a du sens et qui leur permet de se développer ; ainsi qu’à une plus grande participation dans les décisions de l’entreprise. »
Pour qu’un entretien annuel soit impactant dans ce sens, il doit toutefois être suivi d’un véritable accompagnement post-entretien (coaching, feedbacks réguliers, entretiens intermédiaires), et d’actions concrètes. En amont comme en aval. « Les entreprises concentrent beaucoup de temps à préparer les managers à la conduite de ces entretiens ; mais l’essentiel se passe avant et après. En amont, car si l’on ne se parle jamais et que l’on se rencontre une fois par an, ce temps prend vite la forme d’une évaluation de la performance, au lieu de porter aussi sur la carrière. En aval, car si rien ne se passe après, si le processus de gestion ne conduit pas à des prises de décisions effectives concernant l’individu et son évolution, les collaborateurs sont vite désabusés et se désengagent », constate Patrick Gilbert, professeur de gestion et de management à l’IAE de Paris. « Si l’on se dit des choses pendant l’entretien qui ont trait, par exemple, à la façon dont va se dérouler la suite de la vie professionnelle dans l’entreprise, que ce soit en termes de mobilité, de formation ou de promotions, mais qu’il s’il ne se passe rien ensuite, l’impression qui se dégage, c’est qu’il ne s’agit que d’un rituel, de process que l’on suit, de documents que l’on remplit, sans aucune utilité. C’est malheureusement le cas dans beaucoup d’entreprises », ajoute-t-il.
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Des entretiens plus réguliers, toute l’année
De son côté, Vincent Binetruy estime que l’entretien annuel « peut être un moment propice pour renouer du lien, prendre du recul et se poser de vraies questions, à condition qu’il soit bien préparé. Sans quoi il risque d’être subi, par le manager comme par le managé, qui le feront parce qu’il faut le faire ». Selon l’expert RH, les entreprises gagneraient ainsi à « sonder » régulièrement les salariés, notamment sur leurs besoins en matière d’organisation du travail, de QVT, et sur leurs difficultés.
Pour « sonder » les collaborateurs, les entreprises peuvent avoir recours à des questionnaires et des « pulse survey », des enquêtes courtes portant sur des thématiques ciblées. « L’objectif est de recueillir le ressenti des salariés, de prendre le pouls des équipes, afin de permettre aux managers d’améliorer leurs pratiques », souligne Vincent Binetruy. Pour accompagner davantage chaque salarié d’une façon personnalisée, des entreprises adoptent de nouvelles pratiques, qui mêlent des entretiens individuels formels réguliers, et des pratiques de « feedback continu », entre le salarié et son manager, mais aussi entre le salarié et ses collègues. Objectif : faire en sorte que l’entretien annuel devienne, finalement, « la synthèse de tout ce qui s’est déjà dit dans l’année ».
« Plutôt qu’un seul entretien individuel une fois dans l’année, il est possible de réaliser des points réguliers, de proximité ; tous les 3 mois, voire tous les mois ou toutes les deux semaines, selon la culture de l’entreprise. L’idée est de faire le point, régulièrement, sur les objectifs, mais aussi sur l’évolution professionnelle, la carrière, les besoins de développement du salarié. Il s’agit d’un temps d’écoute, où l’on encourage le collaborateur à s’exprimer sur son bien-être, ses problématiques, ses succès, ses doutes, sa charge de travail… Afin de pouvoir trouver des solutions sans attendre un an », insiste Patrick Gilbert.
Dans un webinar récent organisé par Simundia, la DRH de Comet Meetings, Julie Gamundi, décrit comment son entreprise a mis en place un suivi des salariés « toute l’année », avec des « performance review » – des entretiens individuels réguliers. « L’objectif est de mettre l’entretien annuel de côté, pour évaluer régulièrement la performance du salarié. S’il n’atteint pas ses objectifs, c’est qu’il y a des raisons : peut-être que son niveau de compétences n’est pas bon et qu’il a besoin de suivre une formation ; peut-être qu’il manque de ressources, ou que sa charge de travail est trop importante. Un tel suivi permet, toute l’année durant, de corriger au quotidien, sans attendre l’entretien annuel. Ce qui permet d’alimenter cet entretien, in fine », estime-t-elle. Il s’agit aussi d’un acte managérial important, qui nourrit le lien entre le manager et le managé : « C’est l’occasion de parler de ce qui anime le salarié dans ses missions, de ses relations sociales, des irritants qu’il repère, de ses difficultés au quotidien », complète la DRH.
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« L’évaluation est évacuée »
Une fois réalisées ces « performance review » (4 fois dans l’année, minimum), vient le moment de l’entretien annuel. Un événement dont le contenu a changé selon Julie Gamundi : « Il ne s’agit plus d’une évaluation de la performance. L’évaluation est évacuée, et 70 % du temps de l’entretien porte sur les solutions à apporter aux problèmes soulevés pendant toute l’année. Le salarié s’exprime sur les moments les plus marquants pour lui, sur ce dont il est le plus fier, sur les difficultés qu’il a rencontrées, et sur ce dont il aurait besoin pour s’améliorer et développer ses compétences ». Après l’entretien, des actions individuelles sont alors enclenchées, entre coaching, parrainage, formations (internes, externes), plans de mobilité et projets transverses. « Cet entretien nouvelle formule doit conduire à un meilleur développement du collaborateur, et pas seulement à une augmentation salariale », ajoute la DRH de Comet Meetings.
Selon Vincent Binetruy, l’entretien annuel de demain donnera aussi une plus grande place aux collaborateurs dans la détermination de leurs objectifs. « La tendance actuelle, c’est la co-construction d’objectifs annuels, qui ne sont pas imposés par le manager, et la capacité à faire évoluer ces objectifs en cours d’année, pour tenir compte de l’évolution du contexte », indique le Directeur France du Top Employers Institute. « Pour que l’entretien annuel ne soit plus subi et perçu comme une perte de temps, il faut que le collaborateur soit actif et que ce moment ne soit plus porté que par le management », précise-t-il.
« Si le manager prend l’habitude de s’entretenir avec son collaborateur, s’il n’attend pas le fameux rituel de l’entretien annuel pour échanger avec lui, s’il est près de ses troupes ; et si en face, le salarié a des feedback réguliers sur ce qu’il fait et sur ce qu’en pensent son manager et ses collègues, l’entretien annuel perd un peu de son côté solennel, et est moins vécu comme une menace ou un moment inutile par le salarié », résume Patrick Gilbert. Le chercheur incite finalement les professionnels RH et les managers à « se poser la question de ce qu’ils souhaitent faire de ce temps d’échange : un rituel bureaucratique, ou un entretien utile qui s’inscrit dans un fonctionnement normal d’activité », ajoute-t-il. Selon lui, il pourrait être utile, finalement, de se pencher sur le propre accompagnement des chefs d’équipe « pour qu’ils incitent les collaborateurs à s’exprimer et fassent peuvent d’une écoute plus active lors de ces entretiens (annuels et réguliers), les managers ont aussi besoin d’être formés ».