L’Apec a publié, fin février, une étude sur la conciliation entre sphères personnelle et professionnelle chez les cadres. C’est un des leviers pour faire progresser la parité entre les hommes et les femmes au travail et améliorer l’évolution de carrière de ces dernières. Mais l’équilibre de vie comme l’égalité des sexes sont encore loin d’être atteints, a fortiori pour les manageuses…
En décembre dernier, l’Apec a mené, auprès de 2 000 cadres, une enquête sur la conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle, « un enjeu pour réduire les inégalités femmes-hommes et encourager l’évolution professionnelle de tous les cadres ». Elle vient d’être publiée et elle s’avère riche d’enseignements.
Les leviers pour améliorer l’égalité professionnelle
L’Association pour l’emploi des cadres a demandé à son panel quels sont les axes prioritaires pour favoriser l’égalité femmes-hommes. Arrivent en tête les niveaux de rémunération, cités par la moitié des cadres mais davantage par les femmes (62 %) que par les hommes (46 %). « Il est frappant de voir que c’est le premier levier invoqué à la fois du point de vue masculin et féminin, souligne Anne-Cécile Sarfati, fondatrice de la société de conseil éditorial et événementiel Actually, experte en égalité professionnelle. Cependant, cela ne m’étonne pas car, dans 75 % des couples, ce sont les hommes qui gagnent plus que les femmes et donc ce sont elles qui sacrifient plus leur carrière. » L’Apec rappelle que « les femmes cadres gagnent 8 % de moins que les hommes cadres, à profil et poste équivalents. Ce taux ne se réduit pas, depuis la première mesure réalisée en 2014. »
Le 2e levier concerne les mentalités des managers et dirigeants, mentionnées par un tiers des cadres, plus souvent chez les femmes (40 %) que les hommes (31 %). « C’est certainement en rapport avec la confiance faites aux femmes de la part du management ou de la hiérarchie et qui pourrait être améliorée, » analyse Anne-Cécile Sarfati.
Le 3e enjeu porte sur la conciliation des vies professionnelle et personnelle, énoncée par un peu plus d’un quart des cadres (30 % chez les femmes). Si cette thématique arrive sur la dernière marche du podium, elle est tout de même jugée comme essentielle pour réduire les inégalités de carrière entre les sexes, selon 80 % des cadres interrogés, et même 85 % des femmes.
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Les concessions que doivent faire les femmes
L’Apec observe que « les temps de vie sont plus en concurrence chez les femmes cadres, entraînant des concessions sur le plan personnel mais aussi professionnel ». En effet, dans les couples, « la charge domestique est nettement plus élevée chez les femmes cadres que les hommes cadres. » Ainsi, 56 % des femmes répondent que les tâches domestiques reposent principalement sur elles-mêmes et 5 % principalement sur leurs conjoints. Pour la gestion des enfants et de leurs activités, les proportions sont proches. Anne-Cécile Sarfati abonde dans ce sens : « La charge mentale et opérationnelle de la famille est surtout portée par les femmes. Il y a encore dix heures d’écart par semaine dans les tâches ménagères entre hommes et femmes et cela n’évolue toujours pas en faveur des femmes… »
Conséquence, les sacrifices sur la vie personnelle sont plus importants chez les femmes, et encore plus chez les manageuses : « Six femmes cadres sur dix déplorent de ne pas consacrer suffisamment de temps à leurs proches [et même 68 % des manageuses], à leurs activités personnelles de sport et loisirs [68 % des manageuses] ou même à leur hygiène de vie [66 % des manageuses], en s’alimentant moins bien ou en ne dormant pas suffisamment. » Alors que ces trois problématiques touchent la moitié des cadres au masculin.
« Les femmes renoncent souvent à elles-mêmes, regrette Anne-Cécile Sarfati. Depuis des décennies, je ne cesse de répéter que la France n’est pas adaptée à la conciliation des vies personnelle et professionnelle, contrairement aux pays nordiques, par exemple. »
L’impact sur la vie au travail est également non négligeable puisque, selon l’Apec, plus d’un tiers des femmes cadres estiment parfois manquer de temps pour faire aboutir un dossier du fait de contraintes personnelles, soit cinq points de plus que les hommes.
À l’occasion de l’écriture de son livre sur les couples à double carrière, « Nous réussirons ensemble », paru fin 2021 chez Albin Michel, Anne-Cécile Sarfati a noté que « lors de la naissance des enfants, ce sont souvent les femmes qui se sacrifient, tandis que la carrière de leurs conjoints connaît une accélération, quand bien même le couple avait un niveau d’ambition comparable au départ. »
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Les conséquences du déséquilibre entre vie pro et vie perso
Pour l’Apec, tout cela a un impact plus fort sur la santé psychologique des femmes. En effet, un peu plus de la moitié des cadres femmes disent rencontrer des difficultés dans la conciliation entre sphères personnelle et professionnelle, contre 41 % pour les hommes. Une situation aggravée par le fait d’être mère d’enfants en bas âge ou d’être manageuse.
D’où des répercussions encore plus néfastes chez les cadres au féminin : pour 82 % des femmes, ces difficultés affectent leur santé psychologique, soit 9 points de plus que chez les hommes.
Dans une autre étude, de septembre dernier, l’Apec pointe « le sentiment de surinvestissement, plus marqué chez les femmes cadres : 66 % d’entre elles ont la sensation d’avoir une charge de travail insurmontable (contre 49% des hommes cadres) et 62 % ressentent un niveau de stress intense (contre 50 % des hommes cadres), voire un sentiment d’épuisement professionnel (pour 58 % des femmes cadres contre 51 % des hommes cadres). »
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Télétravail et autres avancées nécessaires
Pour les trois quarts des cadres interrogés par l’Apec, le télétravail facilite la conciliation entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle : « Les femmes cadres en sont encore davantage convaincues (79 %) et elles sont plus susceptibles que les hommes de profiter de tous les jours de télétravail auxquels elles ont droit (73 % contre 59 %). » Et ce dernier écart est même un peu plus marqué chez les managers, avec, respectivement, 63 % des femmes et 48 % des hommes.
Cependant, le télétravail peut s’avérer à double tranchant, comme le montre l’autre enquête, de l’Apec datée de septembre 2022 : « 45 % des femmes cadres, contre 34 % d’hommes, utilisent le télétravail pour travailler encore plus. » Et il peut parfois éloigner du bureau, c’est-à-dire du centre de décisions et de promotion des ressources humaines… Pour éviter que le distanciel n’affaiblisse la sociabilisation, Anne-Cécile Sarfati recommande d’instaurer « des cafés virtuels en équipe, des temps d’échanges individuels afin de pouvoir faire son auto-promotion. » Elle déplore qu’en la matière, l’organisation du travail, et même de la société en général (avec les modes de garde des enfants proposés), soit moins favorable aux femmes : « La tradition française du présentéisme les pénalise davantage, alors que ce n’est pas un bon critère pour juger de l’efficacité au travail. Elles n’ont pas le temps de réseauter pendant ou après le travail, de faire leur propre promotion en interne. » À l’inverse, cette ancienne rédactrice en chef du magazine Elle a bénéficié du télétravail avant même qu’il ne se développe avec la pandémie : « Comme il y avait beaucoup de femmes à la rédaction, le télétravail était très bien accepté et permettait de concilier plus facilement, et avec plus de souplesse, vies personnelle et professionnelle. J’ai connu cette situation pendant 25 ans, très différente de mon début de carrière comme avocate, avec des horaires à rallonge… »
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L’enquête de l’Apec révèle que d’autres avancées sont attendues par les cadres, au-delà du télétravail, pour améliorer la conciliation entre vies personnelle et professionnelle, avec dans l’ordre d’importance : davantage de flexibilité sur l’organisation ; une réduction des horaires de travail ; un encadrement des horaires de réunion ; des dispositifs de récupération en cas de surcharge trop fréquente ; un droit effectif à la déconnexion, etc. Anne-Cécile Sarfati en ajoute une, essentielle à ses yeux : « Ce qui pourrait faire beaucoup évoluer la situation, c’est l’allongement du congé paternité, pris, par exemple, après le congé maternité, pour que mères passent le relais aux pères. »