Management

Managers, faites-vous l’une de ces erreurs sans le savoir ?

Les managers, souvent perçus comme les garants de la réussite collective, ne sont pas à l’abri des faux pas. Qu’il s’agisse d’encourager des pratiques contre-productives, d’imposer une vision idéologique inadaptée ou de manquer de cohérence entre discours et actions, ces erreurs, parfois bien intentionnées, peuvent fragiliser les équipes. Comment les éviter ?

Le rôle du manager, à la conjonction du leadership et de la coordination, exige des décisions stratégiques et opérationnelles. Pourtant, même avec les meilleures intentions, certaines décisions peuvent entraîner des erreurs aux conséquences délétères sur les collaborateurs ou l’entreprise. Ces erreurs ne sont pas simplement le fruit de maladresses, mais davantage le résultat d’un manque de perspective ou d’un cadre mal défini. Les reconnaître et les analyser permet de mieux les prévenir et d’en réduire les effets.

Voici les 7 erreurs managériales typiques et quelques pistes pour les contourner : 

1) Manager dissonant : quand les discours s’opposent à la réalité

« On entend souvent dire qu’il faut travailler en collectif et en transversalité, mais au moment des évaluations, ce sont les performances individuelles qui sont mises en avant », observe Denis Monneuse, chercheur en RH et auteur du livre Errare managerium est, 30 erreurs à éviter pour devenir un meilleur manager  (éditions Dunod, 2021). Cette contradiction illustre une dichotomie entre les discours managériaux et ce qui est réellement valorisé, et engendre des effets pervers : le travail invisible, tel que l’entraide ou la coopération, passe souvent inaperçu. Par conséquent, les collaborateurs ont tendance à privilégier des tâches directement mesurables ou rémunératrices, au détriment de la performance collective.

Comment l’éviter ?

Pour réduire cette dissonance, il est essentiel d’intégrer des critères de coopération et de contribution collective dans les évaluations annuelles. « Valoriser l’entraide et les efforts transversaux nécessite une remise en question des pratiques où le court terme et le quantifiable dominent, au détriment d’apports moins explicites mais tout aussi essentiels », souligne Denis Monneuse. En révisant les grilles d’évaluation et en mettant en place des dispositifs encourageant la coopération, comme des primes collectives, les managers peuvent rétablir une cohérence entre leurs discours et la réalité.

2) Le manager passif : laisser son collaborateur recruter son remplaçant

Laisser un collaborateur qui quitte l’entreprise (pour un congé ou une rupture de contrat) recruter son propre successeur peut sembler, à première vue, une décision logique pour un manager. Après tout, qui mieux que cette personne connaît les spécificités du poste ? Or, cette pratique a démontré ses limites. « Lorsqu’un collaborateur est chargé de recruter son remplaçant, il arrive qu’il choisisse une personne moins performante que lui, souvent de manière inconsciente, pour qu’on regrette son départ », explique Denis Monneuse. Ce phénomène, observé lors de nombreuses interviews qualitatives menées par le chercheur, trouve souvent sa source dans un besoin de reconnaissance non comblé : « Si une personne n’a pas reçu la reconnaissance attendue lorsqu’elle était en poste, elle peut espérer l’obtenir en recrutant un successeur moins performant. »

Comment l’éviter ?

Denis Monneuse recommande d’impliquer une équipe mixte dans le processus de recrutement : les recruteurs (externe ou interne), les RH, des membres de l’équipe afin de garantir une évaluation objective des compétences requises. « Il faut aussi limiter l’influence de la personne partante dans la décision finale, tout en valorisant ses apports », précise-t-il. En adoptant une approche plus collaborative et structurée, l’entreprise assure que le successeur choisi répond réellement aux exigences du poste et aux besoins de l’équipe, tout en réduisant les biais liés aux enjeux personnels.

3) Le manager militant : quand l’idéologie l’emporte sur la réalité

Vouloir innover, c’est bien, voire essentiel en management. Mais l’aveuglement idéologique peut coûter très cher. Julien Le Corre, dirigeant de l’agence de communication YZ, en a fait les frais : sa volonté de tester la semaine de quatre jours a mené son entreprise à la liquidation judiciaire. Malgré son ambition sincère de transformer son agence en un « laboratoire d’innovation managériale », l’initiative a conduit l’agence à mettre la clé sous la porte.  

Dans son ouvrage Jour Off (VA Éditions, 2024), Julien Le Corre analyse les erreurs qui ont conduit à cet échec collectif. Parmi elles : un excès d’enthousiasme ou d’optimisme qui a altéré son objectivité, des décisions hâtives et un manque d’écoute des véritables motivations de ses salariés. « Je voulais tellement que mon entreprise soit pionnière que j’en ai oublié les fondamentaux d’une équipe : être ensemble, partager une vision et s’investir dans des projets porteurs de sens… », confie-t-il.

Comment l’éviter ?

La prudence est essentielle lorsqu’on initie un tel changement organisationnel, surtout s’il impacte directement les rythmes de travail. Julien Le Corre identifie plusieurs erreurs clés : « Limiter l’expérimentation à un mois a été une première faute majeure. Il aurait fallu au moins six mois pour évaluer les impacts réels », explique-t-il. En effet, les changements structurels nécessitent du temps pour ajuster les processus et analyser leurs effets à long terme. De plus, l’imposition d’un jour de repos commun à tous les collaborateurs, le vendredi, a perturbé la continuité des activités. « Une entreprise peut fonctionner avec des salariés en semaine de quatre jours… mais elle doit rester opérationnelle sur cinq jours », précise-t-il. 

4) Le manager sans boussole : de la carte blanche au carton rouge

Dans un souci de responsabilisation, certains managers déclarent parfois à leurs collaborateurs : « Je te donne carte blanche, je te fais confiance sur ce projet. » Si cette approche peut sembler valorisante, elle s’accompagne souvent d’un manque de directives claires. Résultat : « Sans objectifs précis ni attentes définies, le travail livré peut ne pas correspondre à ce qui était espéré. Résultat : le collaborateur est démotivé car son travail est critiqué (injustement) et c’est une perte de temps pour tous », souligne Denis Monneuse.

Comment l’éviter ?

« La créativité s’épanouit mieux dans un cadre structuré », rappelle Denis Monneuse. Travailler pour rien est l’un des plus grands facteurs de démotivation : en balisant le chemin dès le départ, on préserve la motivation des collaborateurs tout en assurant la réussite du projet. Offrir de l’autonomie ne signifie donc pas abandonner le cadre : au contraire, il est indispensable de fixer des objectifs clairs, de préciser les attentes et de définir les ressources disponibles, comme le budget ou les délais.

5 ) Le manager contrôleur : piloter avec les mauvais indicateurs

Suivre des indicateurs trop orientés « productivité » peut nuire à la performance globale d’une équipe. Denis Monneuse met en garde : « Par exemple, en se focalisant sur des objectifs chiffrés, on pousse les collaborateurs à contourner les règles ou à prioriser des tâches faciles et rapides pour atteindre les indicateurs cibles. » Or, ces pratiques ne valorisent pas la qualité et aboutissent à une contre-performance collective. L’autre problème majeur réside dans l’absence de transfert de compétences. « En suivant des indicateurs de performance individuels, on constate que les mêmes collaborateurs se chargent des tâches complexes, tandis que les autres restent cantonnés aux tâches basiques », observe Denis Monneuse.

Comment l’éviter ?

Pour éviter ces dérives, le chercheur recommande de privilégier des objectifs collectifs et des indicateurs qui favorisent l’entraide. « La coopération est un levier sous-exploité pour renforcer la performance globale et développer les compétences. » Mettre en place des binômes combinant collaborateurs expérimentés et débutants permet non seulement d’atteindre de meilleurs résultats, mais aussi de créer une dynamique d’apprentissage durable. 

6) Le manager affectif : laisser l’émotionnel prendre le dessus

« Un manager qui gère ses équipes avec une forte implication émotionnelle risque de créer de l’incertitude. Le jour où il ne peut pas accorder une prime ou doit annoncer une décision difficile, cela impacte fortement la relation et génère de l’inquiétude », alerte Denis Monneuse. Ce manque d’équanimité, où les émotions influencent les échanges professionnels, fragilise aussi la stabilité du collectif. « La frontière entre vie personnelle et vie professionnelle s’amenuise et, à terme, cela épuise autant le manager que ses équipes », insiste le chercheur.

Comment l’éviter ?

Pour éviter cet écueil, un travail sur soi s’impose : « Savoir faire tampon entre ses propres émotions et celles de l’équipe est une compétence clé », insiste Denis Monneuse. Il recommande d’instaurer des « sas émotionnels », c’est-à-dire des moments de recul pour analyser une situation avant de réagir. Par exemple, séparer les temps de réflexion des temps d’échange permet d’éviter les réactions impulsives et de maintenir un cadre professionnel. 

7 ) Le manager warrior : l’infaillibilité au détriment de l’équipe

Certains managers adoptent une posture de « warrior », refusant de montrer la moindre faiblesse pour donner l’exemple. Cela se traduit par des comportements tels que venir travailler malade ou glorifier une charge de travail excessive. « Ce type de management produit l’effet inverse : un fossé se creuse alors entre le manager et l’équipe », souligne Denis Monneuse.

Cette posture, loin d’inspirer, peut avoir des conséquences délétères sur le collectif. « Dans un service où ce comportement était valorisé, j’ai observé une augmentation des arrêts maladie, signe que la santé n’était pas suffisamment prise en compte », explique-t-il. La glorification de l’infaillibilité pousse non seulement les équipes à dépasser leurs limites, mais empêche également le manager de tisser des relations authentiques avec ses collaborateurs.

Comment l’éviter ?

Démontrer de la vulnérabilité est une qualité phare du leadership. « Le manager doit d’abord prendre soin de lui-même pour montrer l’exemple », recommande Denis Monneuse. Reconnaître ses limites ou partager des moments de faiblesse ne diminue pas son autorité, mais au contraire, humanise la relation avec l’équipe. En ce sens, favoriser des moments de proximité, comme des discussions informelles ou des échanges sur des sujets légers (cinéma, hobbies), permet de créer un lien plus fort entre le manager et les collaborateurs. 

En définitive, ces erreurs ne font-elles pas partie intégrante du parcours managérial ? C’est l’avis de Fabrice Cavarretta, enseignant à l’ESSEC et spécialiste des systèmes complexes. Selon lui, « c’est justement l’erreur qui ouvre la voie à l’expérimentation ». Il invite les managers à changer de perspective : au lieu de chercher à éliminer les faux pas, il s’agit de les intégrer dans une dynamique d’apprentissage. La capacité des organisations à transformer les écueils en sources d’innovation constitue un véritable avantage compétitif, à condition de surmonter l’angoisse collective de l’échec et d’instaurer une culture de la résilience.

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