Souvent lié à la question des troubles musculo-squelettiques, le travail sur la posture a des vertus bien plus larges. Vincent Estignard, kinésithérapeute, ostéopathe et posturologue, nous explique de quelle façon, en étant plus à l’écoute de son corps, il est possible de mieux performer. Et ce même dans des professions intellectuelles. Propos recueillis par Aline Gérard. Entretien réalisé en collaboration avec Jérôme Adam, conférencier-entrepreneur.
En quoi consiste le métier de posturologue ?
La posturologie, c’est l’étude de la posture et de tous les éléments qui influencent cette posture. J’ai une base de formation médicale et paramédicale, je suis kiné et ostéopathe. C’est une branche de la médecine qui revient à la clinique (observation du patient, ndlr).
Elle analyse les différents déséquilibres que le corps peut avoir et qui vont l’empêcher de fonctionner correctement. Ces déséquilibres vont favoriser notamment les pathologies musculo-squelettiques.
En sachant que j’ai parmi mes patients des personnes qui n’ont pas de pathologie ou pas de traumatisme. Et dans ces cas-là ce n’est pas normal d’avoir des douleurs.
Nous essayons donc, par le biais de la posturologie, de retrouver les causes de ces douleurs. Elles sont souvent liées à des contraintes plus ou moins permanentes, qui proviennent d’un déséquilibre postural de base. Une voiture qui aurait un problème de parallélisme et qui par conséquent ne roulerait pas droit, on l’emmènerait tout de suite chez le garagiste. Nous, nous ne savons pas toujours que nous avons des déséquilibres. C’est le posturologue qui permettra de les corriger et de les visualiser.
Si vous avez un caillou dans votre chaussure qui vous gêne , vous allez modifier votre façon de marcher, déséquilibrer votre bassin, et au bout d’un moment vous aurez mal au dos. Mais vous n’allez pas attendre d’avoir mal au dos pour sentir qu’il y a un problème et enlever le caillou. Le posturologue cherche le caillou. Sauf que c’est un caillou que vous ne sentez pas. C’est là qu’est l’intérêt.
Nous sommes amenés à travailler avec beaucoup de professionnels. Les yeux impactent la posture, donc nous collaborons avec des orthoptistes et des ophtalmologues. Pour la mâchoire, avec des dentistes et des orthodontistes et pour les pieds, avec des podologues. Il y a aussi certains blocages, certaines problématiques tissulaires qui peuvent influencer la posture, donc nous travaillons avec des ostéopathes et des kinés. C’est vraiment pluridisciplinaire.
Le mal du dos est l’un des maux du siècle, certains s’y sont presque habitués. Pour vous, il n’y a donc aucune fatalité ?
Comme je le disais, ce n’est pas normal d’avoir mal au dos s’il n’y a pas de pathologie, de traumatisme ou d’antécédents génétiques. Le corps humain est une formidable machine qui compense très bien, qui s’adapte très bien et tout le temps. Mais s’il s’adapte toujours de la même façon, il va rester fixé ainsi. Et cette adaptation va finir par créer des zones de perturbation. Le corps s’adapte mais est incapable de se corriger tout seul. C’est là que le posturologue intervient.
La posture c’est la station debout, c’est ce sur quoi le mouvement va se greffer. Et plus elle sera équilibrée et plus le mouvement sera efficace, efficient, endurant et fluide. Des gens qui souffrent quand ils font des mouvements répétés ou qu’ils ont de mauvaises positions, c’est souvent qu’à la base ils ont un trouble postural. Quand ils auront fini leur mouvement, ils ne vont pas avoir une position neutre qui leur permettra de récupérer. Les zones vont rester en contrainte.
J’ai pour patients des enfants de 12 ans qui n’ont pas de pathologie mais on mal au dos alors qu’à part aller à l’école, ils ne font pas grand chose.
Prenons l’exemple d’une Formule 1 : Le pilote va aller à 300 km/h, rétrograder, piler à fond, prendre un virage en épingle à 50 km/h… et à la fin la Formule 1 ne va pas forcément exploser de tous les côtés. Parce qu’elle est équilibrée et qu’il y a des gens qui s’en occupent
Nous sommes faits pour bouger. S’il y a des personnes qui arrivent à faire X activités sans avoir mal, alors que d’autres n’y parviennent pas, c’est qu’il y a une dysfonction qui fait qu’on supporte moins bien les contraintes de la vie active ou sportive.
Si l’on imagine bien l’utilité pour des sportifs qui veulent être plus performants tout en “usant moins la machine”, quels sont les bénéfices moins attendus que l’on peut tirer de la posturologie ?
Bien sûr, nous avons un grand rôle pour tout ce qui touche aux problèmes et troubles musculo-squelettiques. C’est la première chose pour laquelle les patients consultent.
Mais parce que nous travaillons sur le capteur oculaire, nous avons aussi un impact sur beaucoup de choses au niveau cognitif, notamment sur tout ce qui est concentration, retard scolaire et toutes les pathologies dys (dyslexie, dyspraxie, dysorthographie).
Quand le capteur oculaire ne fonctionne pas bien au niveau visuel, mais aussi, au niveau musculaire, que les deux yeux ne travaillent pas bien ensemble, ils ne donnent pas une bonne information, une bonne image. Et quand on est étudiant, qu’on lit, qu’on écrit, qu’ensuite on regarde le tableau puis à nouveau sa feuille… le cerveau reçoit des informations incohérentes. Soit on n’a plus envie de travailler, soit on est perturbé et on confond les O, les U, etc. Et pour écrire, c’est difficile aussi. La main ne recevant pas de l’œil des informations suffisamment fines.
En sachant que si vous avez un déséquilibre postural au niveau des pieds, de la mâchoire, c’est très compliqué également pour l’œil d’être performant car il s’appuie sur le système musculaire. Il faut vraiment rééquilibrer l’ensemble pour qu’il puisse s’exprimer.
Comment ce travail sur la posture peut-il nous aider à être plus performant mentalement ? Et plus réactif ou lucide dans nos prises de décision ?
Plus on va être équilibré, plus cela va être facile de gérer les émotions. Ensuite, plus les informations vont être cohérentes, directes et neutres, et plus il sera aisé de les analyser et de prendre une décision. Je le vois avec les sportifs, quand vous avez un œil qui est asymétrique, vous êtes perturbé dans votre environnement, les distances sont faussées, donc la position du corps dans l’espace, y compris pendant le geste sportif, va être impactée. Cela demande une augmentation des adaptations et du travail musculaire. C’est donc de la fatigue qui se répercute sur la concentration et après sur la performance. Si tout ça est équilibré, il y aura moins de dépense d’énergie.
Côté performance, plus l’œil va donner des informations rapides, plus le cerveau va les traiter vite, le corps réagir vite à son tour et plus la prise de décision sera rapide. C’est la même logique pour les signaux envoyés par le pied.
L’aspect physique est souvent négligé dans les professions intellectuelles. Un cadre en entreprise qui prendrait tout cela en compte pourrait-il avoir une meilleure interprétation des événements ?
Oui, car ça crée des interférences. Et les interférences sont tant physiques que psychiques, émotionnelles, mentales et cognitives. Si vous ne voyez pas bien vos tableaux de bord, vous ne les analysez pas bien…
J’avais un enfant qui avait fait des tests orthoptiques et qui était à 12 de convergence, alors que la norme pour cet âge est de la pousser jusqu’à 70. Pour travailler à l’école, ce n’était pas facile. Il était avant-dernier de sa classe. On disait il n’était pas fait pour ça.
Nous avons constaté qu’en lui stimulant le pied, il passait instantanément à 45. Lorsqu’on lui enlevait la simulation podale, il repassait à 12.
Au bout de 6 mois, il était 2e de sa classe, il a changé de façon d’écrire et ça a joué sur sa façon d’analyser les choses et donc de prendre des décisions.
Quand vous avez un problème à résoudre, si les informations ne sont pas bonnes, c’est difficile de prendre la bonne décision.