[Témoignage] Alexandre Woog, CEO d’Alliance Autocar, nous raconte son expérience en matière de gestion de crise et d’agilité, durant cette période compliquée pendant laquelle l’économie fonctionne au ralenti. Il partage aussi avec nous quelques conseils pour tous les managers, afin de savoir prendre les bonnes décisions malgré le stress de la situation.
Je dirige Alliance Autocar, leader du transport de groupes en France. La société existe depuis 2010. Notre cœur de métier est le transport occasionnel en van, minibus ou autocar sur des cibles variées telles que : transfert aéroport, visite, circuit, séminaire, voyage associatif, week-end étudiant, vacances au ski, etc.
Lorsque la crise du coronavirus est apparue, le premier secteur touché a été le tourisme. Cela a résulté de la baisse drastique et soudaine du tourisme en France, notamment des touristes asiatiques dans un premier temps. On a ensuite dû faire face aux annulations de sorties scolaires, puis aux annulations de tous les événements suite aux mesures de confinement mises en place par le gouvernement. Les autocaristes sont entrés en crise parmi les premiers. Alliance Autocar ne possède pas de cars en propre, c’est une plate-forme de mise en relation. L’équivalent de “l’Uber des autocars”.
Début février, lorsque le Covid-19 a commencé à être dépisté en France, j’ai remarqué que beaucoup de personnes souhaitaient continuer à voyager, mais en évitant les aéroports/gares, la foule, le manque de contrôle… j’ai donc décidé de me focaliser uniquement sur cette cible de voyageurs pour sauver l’activité. Sauf que petit à petit la situation a continué à se détériorer, la psychose a, à juste titre, gagné la population avant que les pouvoirs publics ne limitent tout déplacement.
Les autocaristes, qui sont nos fournisseurs, nos partenaires, ne survivaient à ce moment-là que par leurs contrats de ramassage scolaire, et leurs contrats de transport avec la région. Suite au gel de ces contrats, les autocaristes ont été véritablement sinistrés. Désormais c’est de toute façon quasiment toute l’économie qui est à l’arrêt, mais nous l’auront été malheureusement en premier, et donc plus durablement.
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Un manager doit savoir prendre de la hauteur face au stress
Contrairement à beaucoup de grosses entreprises qui n’ont pas de grandes marges de manœuvre d’adaptation rapides, comme par exemple Transdev ou encore Keolis… je n’ai eu avec mes managers d’autres choix que de m’ajuster rapidement aux évolutions du marché du transport et aux besoins des clients car une start-up est fragile et sa survie est en jeu. Une start-up ne dispose pas de la même trésorerie et solidité financière qu’un grand groupe.
La pression qui repose sur les managers de Alliance Autocar est dont très importante depuis le début de cette crise. Néanmoins tous les managers de Alliance Autocar ont très vite compris l’obligation d’être agiles pour survivre et d’avoir donc des prises de décisions rapides. Il faut donc surmonter ses émotions qui ont tendance à vouloir nous faire rester passifs et statiques. Bien entendu agir provoque une prise de risque, et donc sans aucun doute parfois des erreurs, des échecs. Mais la plus grosse erreur pour les managers de Alliance Autocar serait de ne rien faire face à cette crise, et de se mettre ainsi à l’arrêt comme l’ont fait la très grande majorité des autocaristes.
Dans un premier temps des sociétés du Cac 40 m’ont sollicité pour assurer le transport de leurs top managers de manière sécurisée d’un point de vue sanitaire en évitant tout risque de contamination potentielle qui est accru avec les transports en commun, les taxis classiques, etc. J’ai alors eu l’idée de lancer le concept de navettes « stérilisées ». Le concept est de stériliser nos véhicules après chaque trajet : nettoyage à la vapeur sèche, désinfection, protège siège jetables, condamnation de la porte avant et des sièges proches du conducteur, pulvérisation de spray assainissant, etc.
Plusieurs beaux contrats ont été conclus mais l’actualité évoluant sans cesse, le télétravail a été imposé, limitant ainsi les besoins des entreprises. J’ai alors proposé ce service de navettes stérilisées aux hôpitaux, cliniques, supermarchés, administrations, etc. pour leur personnel. Et désormais depuis cette semaine, au personnel des Ephad, vu l’aggravation de la situation dans ces établissements et les risques encourus par le personnel. De nombreux Ephad ont signé des contrats de transport pour leur personnel avec Alliance Autocar cette semaine. J’ai pris la décision de pratiquer le tarif minimum pour ces prestations. L’objectif, dans ce contexte particulier et inédit n’étant pas le profit économique mais l’entraide, se sentir utile tout en sauvant l’entreprise et celles de nos fournisseurs.
En tant que dirigeant, évidemment on a conscience de la pression et de la fragilité, et donc actuellement la possibilité de chômage partiel pour les employés de l’entreprise. De même si la reprise est compliquée, des licenciements économiques pourront être envisagés.
Mais pour autant un manager doit savoir prendre de la hauteur face à ce stress car :
1) Il existe de nombreuses aides financières pour surmonter cette crise
2) Prendre de la hauteur et de bonnes décisions offre justement l’opportunité de s’en sortir, même jusqu’au dernier moment
3) Il ne s’agit que de business. Même si le business, l’économie, sont des enjeux primordiaux, la santé reste le plus important, ce que cette crise nous rappelle
4) Il faut réussir à garder une vision moyen terme et non pas que court terme. Forcément il y aura une reprise
5) Une crise peut aussi être génératrice d’opportunités.
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Les start-up et leurs managers restent agiles
L’une des missions du management de crise est de faire comprendre à tout le personnel que les méthodes de travail, les outils doivent changer, et même les missions puisque notre agilité nous a amenés à modifier notre offre de service et notre typologie de clients toutes les semaines. Aussi le mode de management lui-même a été totalement modifié pendant cette crise, avec la mise en place du télétravail pour tous.
Bien sûr ce témoignage montre notre agilité, notre situation évoluant chaque semaine. La semaine prochaine elle aura encore changé sans aucun doute. Peut-être nous transporterons des malades ? Peut-être que nos bus deviendront des unités médicales mobiles ou serviront pour le transport de marchandise ?
Donc oui les start-up (et leurs managers) sont agiles, c’est une des forces de notre pays. Mais n’oublions pas qu’elles le sont aussi et surtout en ce moment parce qu’elles sont fragiles, et qu’une fois la crise sanitaire passée, la fragilité des start-up et de leurs managers seront certainement davantage mises en avant que leur agilité.