Entreprise Management

Face au stress, “le manager doit créer un climat de sécurité psychologique”

Dans un contexte professionnel où le stress est omniprésent, Adrien Chignard, psychologue du travail, nous livre son analyse et ses conseils pour aider les managers et leurs équipes à mieux le gérer.

Comment le stress affecte-t-il la performance et le bien-être des collaborateurs ? En quoi est-ce un enjeu important ?

Adrien Chignard : Le stress a des origines diverses, car tous les individus éprouvent du stress lorsqu’il y a un écart entre ce qu’on leur demande de faire et ce qu’ils pensent pouvoir accomplir. En 2023, dans les entreprises, nous constatons plusieurs facteurs de stress, tels que la pression temporelle forte, la charge de travail croissante et la fatigue informationnelle, exacerbée par le télétravail. Selon une étude de la Fondation Jean Jaurès en 2022, un Français sur deux ressent une fatigue informationnelle importante. Le travail est devenu plus interdépendant, mental et complexe qu’auparavant, ce qui engendre une charge mentale élevée.

Le stress affecte la santé physique, mentale et sociale des employés. Il peut entraîner de la fatigue, de l’anxiété, une dévalorisation de soi et une multiplication des erreurs, ce qui nuit à la confiance en soi. Sur le plan social, le stress et la pression rendent les équipes plus conflictuelles et augmentent les cas d’hyperconflits et de harcèlement. La santé sociale, notre capacité à interagir correctement, dépend également de notre niveau de patience, qui est affecté par le stress.

Finalement, cela a un impact majeur sur la performance de l’entreprise. La qualité de vie au travail doit être liée à la performance commerciale de l’entreprise. Prendre soin des employés, c’est prendre soin de la raison d’être de l’entreprise, qui est de créer de la valeur. Le stress détruit de la valeur. À une époque où le « quiet quitting » est important, où il y a une pénurie de cadres en France et des difficultés de recrutement, les conditions de travail sont cruciales pour attirer et retenir les talents. Les entreprises offrant des conditions de travail favorables à la santé et à la performance attirent davantage de cadres. Ainsi, pour assurer la continuité des affaires et conserver ses meilleurs éléments, il est essentiel pour un manager d’apprendre à gérer son propre stress et celui de son équipe.

 

Comment un manager peut-il identifier les signes de stress chez lui comme chez ses collaborateurs ?

AC : Pour identifier les signes de stress chez les collaborateurs, les managers peuvent utiliser la règle des 3 I :

  • Isolement : L’isolement est un signe de souffrance. Les collaborateurs isolés participent moins aux activités sociales, déjeunent seuls et peuvent sembler absents même lorsqu’ils sont présents. Cet isolement physique et psychologique les prive paradoxalement du soutien de leurs pairs, qui est essentiel pour lutter contre la détresse psychologique au travail.
  • Irritabilité : Les personnes irritables ont perdu leur sens de l’humour, sont devenues susceptibles et se mettent en colère facilement. Elles peuvent être désagréables ou insultantes envers les autres, et perdre leur sang-froid rapidement. La perte du sens de l’humour est souvent le plus fort signe, précurseur, d’une irritabilité croissante.
  • Instabilité : L’instabilité émotionnelle se manifeste par des hauts et des bas fréquents dans l’humeur d’un individu. Bien que des fluctuations émotionnelles soient normales, une instabilité marquée, avec des hauts très hauts et des bas très bas sur une période de plus de 15 jours, doit être source de préoccupation.

Si un manager observe l’isolement, l’irritabilité et l’instabilité émotionnelle chez un collaborateur pendant plus de 15 jours, il faut absolument agir pour le soutenir.

 

Comment un manager peut-il instaurer un environnement de travail propice à la réduction du stress pour ses collaborateurs ?

AC : Tout d’abord, le manager doit être conscient de son propre stress et être capable de l’évaluer en se basant sur des critères tels que l’isolement, l’irritabilité et l’instabilité. Il peut réaliser un « check-up » personnel et demander l’avis des autres tout en écoutant leurs remarques. Il est important de ne pas voir le stress comme uniquement négatif, car il a une utilité et une fonction adaptative. Ce qui est préoccupant, c’est l’excès de stress, en termes de fréquence et d’intensité.

Pour instaurer un environnement de travail propice à la réduction du stress chez ses collaborateurs, le manager doit créer un climat de sécurité psychologique. Cela signifie permettre aux membres de l’équipe d’exprimer leurs vulnérabilités, difficultés et émotions pénibles sans craindre d’être jugés ou blâmés. Un climat de sécurité psychologique implique également de ne pas survaloriser uniquement les émotions positives et d’accepter l’expression des doutes, critiques, craintes, peurs, hontes, embarras, colères, frustrations et désaccords. Le manager doit montrer sa considération envers ses collaborateurs, saisir leur émotion, les laisser s’exprimer et les aider à dérouler le cours de leur pensée. Écouter activement et attentivement est primordial, plutôt que de chercher à donner des conseils ou convaincre l’autre qu’il a tort.

 

Quels outils ou méthodes un manager peut-il utiliser pour aider ses équipes à gérer leur stress au quotidien ?

AC : Pour aider ses équipes à gérer leur stress au quotidien, un manager peut adopter plusieurs approches :

  • Organiser des réunions d’équipe axées non seulement sur les objectifs et les tâches à accomplir, mais également sur le « comment » travailler ensemble. Il est important de créer un environnement où le collectif travaille en harmonie et où les membres coopèrent efficacement. Ces réunions permettent de réfléchir ensemble aux moyens d’améliorer la collaboration et l’efficacité.
  • Accepter et intégrer les aléas comme une partie normale du travail. Les imprévus, les retards et les obstacles sont inévitables et consomment du temps et des ressources. Le manager doit alors planifier des périodes régulières sans réunions ni appels téléphoniques pour permettre à l’équipe de gérer ces situations sans empiéter sur leur temps personnel.
  • Encourager un bon équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle en insistant sur l’importance de la récupération et de la connexion à sa vie personnelle. Planifier des temps sanctuaires dans l’agenda de chaque membre de l’équipe pour absorber les débordements et se ressourcer. Inciter les collaborateurs à pratiquer des activités qui leur procurent du bien-être en dehors du travail.
  • Mettre en place un management basé sur la confiance, en favorisant l’autonomie, l’écoute et la reconnaissance des membres de l’équipe. Créer un climat de sécurité psychologique permettant à chacun de s’exprimer et de travailler de manière sereine et productive.

En résumé, il s’agit d’instaurer une organisation du travail favorable à la santé et au bien-être des collaborateurs, qui aura pour effet d’améliorer la performance globale de l’équipe.

Le rôle du manager est-il également d’être exemplaire ?

AC : Oui, en plus d’être ouvert aux problèmes et à l’écoute de ses collaborateurs, le manager doit également être exemplaire dans sa gestion du stress et de son équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Il doit donc instaurer un climat de sécurité psychologique en étant ouvert aux problèmes qui se présentent et en encourageant l’expression des émotions et des difficultés ; être à l’écoute et détecter les signes de stress chez ses collaborateurs ; mais aussi prendre soin de soi et montrer l’exemple. il ne peut pas dire à son équipe « prenez soin de vous », s’il travaille de 7h à 23h, ne mange pas à midi, et envoie des mails le soir et le week-end… Le manager a une autorité hiérarchique qu’il le veuille ou non, qui est productrice de normes. Il doit donc commencer par prendre soin de lui, et faire en sorte d’avoir une vie saine pour montrer une forme d’exemplarité, qui se répercutera ensuite dans son équipe.

 

Comment les DRH peuvent-ils soutenir les managers et les collaborateurs dans la prévention et la gestion du stress au travail ?

AC : Le DRH joue un rôle essentiel dans la prévention et la gestion du stress au travail. Pour soutenir les managers et les collaborateurs, il peut d’abord faire de la prévention primaire : il s’agit de réaliser un diagnostic de l’organisation pour identifier les dysfonctionnements et les irritants, et déterminer les changements nécessaires pour améliorer les conditions de travail. Il peut ensuite faire de la prévention secondaire ; c’est-à-dire former et développer les compétences des managers et des collaborateurs, en particulier en ce qui concerne la détection des signaux faibles de stress, l’adaptation aux situations stressantes et l’importance de prendre soin de soi. Enfin, son rôle sera de réaliser une prévention tertiaire ; ce qui signifie apporter de l’aide et du soutien aux personnes qui souffrent de stress au travail malgré les mesures préventives mises en place. Cela peut inclure l’orientation vers des professionnels de la santé mentale ou des programmes de soutien adaptés. En résumé, le DRH est un acteur clé dans la prévention et la gestion du stress au travail, en mettant en place des mesures pour identifier les problèmes, former les managers et les collaborateurs, et soutenir ceux qui sont touchés par le stress.

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