Entreprise

Faut-il préférer la routine à l’agilité ?

Tribune. La routine est mal aimée. Mais comment apprendre un métier, des opérations complexes qui se succèdent sans se confier à l’automatisme, au réflexe sûr de la routine qui apporte la régularité et l’efficacité grâce à la répétition, le bon geste et les bonnes opérations ? Par Jean Grimaldi d’Esdra.

La routine. Oh le vilain mot. La personne qui en ferait un idéal serait d’emblée mis au ban de la société de vitesse et d’agilité… Bien sûr, notre titre joue d’un effet provocation  pour attirer l’œil d’un possible lecteur : hilare ou furieux.Le vocable et le comportement de routine font lever des soupirs et des ronflements réguliers. Les mots pourraient venir par dizaines pour imager, qualifier, dénoncer cette pratique. Seule une définition apaisée peut ramener le calme dans l’assemblée des lecteurs pour montrer la vertu de la routine bien orientée.

 

1- Les leçons quotidiennes

Routine organisationnelle. Prenons un DG, imprégné d’une philosophie d’agilité et de vitesse, qui fustige la routine, cancer de l’entreprise.
Il exige néanmoins que son chauffeur soit la ponctualité même, que celui-ci étudie chaque itinéraire, se gare aux places attribuées, fasse le point avec l’assistante pour anticiper les déplacements éventuels…

Routine familiale. Les  enfants n’attendent-ils pas des parents des routines très établies pour une intendance impeccable ? Tout en prônant le changement !

Routine militaire. Les militaires patrouillant tous les jours ne tablent-ils pas sur cette routine pour écarter les risques et résister à la pression du stress ou de la peur ?

Routine éducative. L’enseignant apprécié de ses élèves n’a-t-il pas une part de routine pour construire sa réussite ? Est-il présent ? À l’heure ? Des exercices sont-ils récurrents pour cadencer la progression de chacun ? Peut-on apprendre sans routine ?

Routine industrielle. La qualité des produits que nous affectionnons ne vient-elle pas, en partie, de cette satanée routine ? Des process sont suivis à la lettre, de manière organisée, universelle parfois.

Cherchez dans votre propre vie… les exemples sont multiples de cette pauvrette mal-aimée. Elle est bien là mais chut ! Elle doit rester discrète, presque inexistante. Tenir la maison certes mais sans jouer à une diva. Elle n’est jamais glamour. Mais austère et assoupie.

 

2- Les vertus d’une mal-aimée

Que veut donc dire ce mot ? D’où vient-il ? Aurait-t-il une origine maudite ? Le Robert nous donne une des définitions péjoratives. “C’est l’habitude d’agir et de penser toujours de la même manière avec quelque chose de mécanique et d’irréfléchi”.

Mais piste intéressante, c’est également “un savoir ou une habileté que l’on acquiert par la pratique plus que par l’étude”. Courant, habituel, encroûté, systématique, train-train, ronron… presque tout serait dit. Quant à son étymologie routine vient de route. Il est vrai que pour suivre sa route il faut bien cheminer sur un itinéraire des plus sûrs…

Il apparaît clairement que routine est mal-aimée car elle “fait tâche”, tristounette, peu romantique. Rien de rutilant et de brillant mais elle assure pourtant le fondamental. Faire et cheminer sans faiblir. C’est sans conteste sa première vertu.

Comment apprendre un métier, des opérations complexes qui se succèdent sans se confier à l’automatisme, au réflexe sûr de la routine qui apporte la régularité et l’efficacité grâce à la répétition, le bon geste et les bonnes opérations ? C’est sa deuxième vertu.

Avec nos possibilités limitées, la fatigue quotidienne, le stress et le souci qui nous perturbent, faire bien est compliqué. Le stress parfois tétanise. La routine est la corde de rappel que l’on tient pour ne pas tomber. Voilà une troisième vertu insoupçonnée et bienvenue.

Notre corps est un écosystème d’habitudes très récurrentes.  Nous lui sommes insupportables quand nous n’appliquons pas les routines simples qui lui permettent de vivre et de durer : se laver, se nourrir, se reposer …Difficile pour les uns et les autres d’oublier très longtemps cette quatrième vertu.

La tension permanente ne convient qu’à certains êtres qui se consument. L’individu normal a besoin d’alternances d’efforts et d’activités plus mesurées qui permettent à l’esprit, au mental, au corps de récupérer. Les routines contribuent ainsi à trouver un contentement pacifiant. Voilà la cinquième vertu indispensable dans la vie accélérée.

Si la routine permet de s’évader et de dissocier, ne serait-ce qu’un instant action et mental, ce regard quotidien sur les choses et les êtres, facilite le repérage des changements qui percutent le cycle routinier. On peut s’étonner, s’interroger, mais à tout le moins, on mémorise et on commence à intégrer le changement par une prise de conscience. C’est une sixième vertu inattendue qui ne sera pas inutile.

 

3- Les compagnons nécessaires

Halte là ! Vous mettez à mal tous les fondamentaux de notre société agile et empreinte de vitesse. Il y a erreur semble-t-il car notre société “procéssée” multiplie les routines.

Est-ce si clair dans nos têtes  ? La routine est honnie car elle conduirait à l’endormissement assuré.  Mais ne voit-on pas que c’est un comportement éternel qui doit avoir des alertes et des aiguillons ?

Des alertes. Évidemment que la routine ne peut aller sans le discernement qui prévient des changements survenus récemment ou des dangers qui guettent. Peut-elle fonctionner sans l’initiative juste nécessaire pour équilibrer les fonctionnements du quotidien? Restera-t-elle efficace sans une rigueur inflexible ?

Des aiguillons. À la personne elle-même de juger son action. À son responsable de savoir intervenir pour casser des risques de léthargie. Aux deux de redéfinir d’un commun accord, d’un commun effort, les procédures qui flèchent le quotidien. La routine bloquerait l’agilité car elle refuserait le changement. Ne faut-il pas inverser nos raisonnements et nos pratiques ?

La permanence d’une routine maîtrisée conduit à la performance exigée et à une stabilité indispensable à nos psychismes. Rassurez-vous, mêmes les machines fonctionnent grâce à cette routine décriée ! Pour changer, repérons ce qu’il ne faut pas changer et changeons seulement ce qui peut l’être et doit l’être. Avant la naissance inévitable et souhaitable de nouvelles routines…consécrations des changements réussis.

 

Qui est l’auteur ?

Jean Grimaldi d’Esdra est directeur associé de Formadi et directeur pédagogique à l’Edhec Executive Education.
Sites à visiter : www.jean-grimaldidesdra.com

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