On ne résume pas la cuisine italienne à la pizza, Paris à la Tour Eiffel ou la BD belge à Tintin. De même, il n’y a pas que le recrutement dans la fonction RH ! La persistance de ce cliché coûte cher à celle-ci, à un moment où tant de défis l’attendent. Aujourd’hui, plus que jamais, il est urgent pour la fonction RH de faire connaître toute sa richesse, et de repartir à la conquête de son vrai client : le salarié. Par Thomas Chardin, Directeur conseil, Parlons RH.
Le recrutement : l’arbre qui cache la forêt RH
Le recrutement représente aujourd’hui 8 % de l’effectif de la fonction RH et 11 % de ses coûts. Autrement dit, plus de 90 % de la fonction RH traite d’autres sujets, comme la paie et l’administration du personnel, qui comptent pour 36 % de son effectif et 32 % de ses coûts ; mais aussi le management des talents, la formation, la GPEC [Gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences, Ndlr], les carrières, les relations sociales, etc. Même l’effectif dédié à “l’hygiène, la sécurité et aux conditions de travail”, activité RH ne jouissant pas d’une forte notoriété, représente plus de collaborateurs RH que le recrutement : 8,5 % de l’effectif de la fonction RH pour 9 % de ses coûts. Et pourtant, dans le langage courant, les dîners en ville ou les échanges professionnels, nous avons plutôt l’impression que l’activité de recrutement occupe l’essentiel de l’espace médiatique. Quand on parle de “marque employeur”, on pense le plus souvent “attractivité employeur” ; de fait, dans un tel contexte, ne devrait-on pas l’appeler plutôt “marque recruteur” ? Quand on parle de “communication RH”, c’est invariablement de communication autour du recrutement dont il s’agit. Les richesses humaines de l’entreprise, les compétences de ses collaborateurs, son offre interne “formation et parcours”, ses processus de dialogue social, etc., ont pourtant, eux aussi, bien besoin de communication. Quand un billet de blog RH liste les 50 comptes Twitter RH à suivre, il y a fort à parier que l’écrasante majorité d’entre eux émanent d’acteurs du recrutement. Il y a donc indubitablement un amalgame terminologique entre “RH” et “recrutement”. Et cette confusion n’est pas anodine : elle a des conséquences concrètes sur la fonction RH. Or, pour réussir, pour mener à bien ses missions et atteindre ses objectifs, celle-ci a besoin d’être connue, comprise et reconnue.
Fonction RH et salariés, un couple en crise
Aujourd’hui, la fonction RH souffre d’un déficit d’image : souvent mal connue des salariés, elle est incomprise, mal aimée, pour ne pas dire décriée. Le RH bashing est à la mode. Quelques chiffres permettent de mesurer l’ampleur du problème. Lorsqu’on leur demande les missions principales de la DRH, près du tiers des salariés ne sont pas en mesure d’en citer une seule, et plus de la moitié n’en mentionnent qu’une. 29 % évoquent le recrutement. Seul 1 salarié sur 10 pense à la gestion des carrières. Aucune des autres missions RH n’atteint les 10 % : 8 % pour l’accompagnement des salariés, 5 % pour la gestion de la formation… La fonction RH demeure donc largement inconnue de ses clients internes. Et les salariés qui la connaissent en ont une compréhension très partielle et partiale. “Le DRH de demain sera ‘médiatique’” : ainsi l’ANDRH, consciente de ce déficit d’image, a très significativement intitulé l’une de ses dernières études de la sorte. Une autre étude, intitulée “Disconnect” et réalisée par ADP, nous apprend que moins du quart des salariés se disent satisfaits ou très satisfaits de leur fonction RH. Un peu plus des trois quarts s’abstiennent ou portent un regard négatif. L’étude établit que les collaborateurs jugent avec sévérité la qualité et la pertinence des services rendus par la fonction RH dans leur entreprise. Un vrai travail de reconquête s’impose donc pour reconnecter la DRH avec les collaborateurs et les managers. C’est la condition nécessaire du succès de la fonction RH.
Le recrutement, un processus cadré et rassurant
La DRH souffre donc à la fois d’être ignorée et, quand elle est connue, d’être réduite au seul recrutement. Celui-ci n’en reste pas moins une mission essentielle à la fonction RH et à la bonne marche de l’entreprise. Avant d’aller plus loin, il est permis de s’interroger sur l’efficacité de cette activité – le recrutement- et sur sa performance RH. Le recrutement donne souvent l’impression d’être une activité maîtrisée, exécutée dans un timing relativement court, avec un budget bien identifié et des processus cadrés. Au milieu de l’instabilité socio-juridico-économique de notre environnement, il nous apparaît, dans le cadre de l’entreprise, comme une activité prévisible et presque rassurante. Si on s’arrête au simple acte de recruter, la performance de la fonction peut d’ailleurs paraître facile à mesurer et à évaluer. Les services utilisent souvent des indicateurs et des processus très formalisés, de type “une demande” = “une réponse”, avec une fin déterminée (pas forcément une finalité) : un CV, un talent, une ressource. Tout le monde est content… ou semble l’être, le DRH compris. Mais mesure-t-on vraiment la qualité d’un recrutement ?
Le recrutement en panne de performance
Le Boston Consulting Group s’est intéressé à 20 000 recrutements sur une période de 18 mois. Sur l’ensemble de ces embauches, 9 200 ont été considérées comme des échecs, soit 46 %. Vue sous cet angle, difficile de dire que l’activité de recrutement soit très performante. En s’intéressant plus spécifiquement au marché français, on constate que ce résultat n’est pas loin de ceux d’une étude de la Dares de janvier 2015, conduite auprès de 50 000 établissements français. Il en ressort que 36,1% des CDI ont été rompus avant leur premier anniversaire. Soit plus du tiers. Et chez les salariés de moins de 24 ans, cette probabilité monte à 45,6 %. Bienvenue à la Génération Y ! Que dirait-on d’une activité RH, par exemple le développement des compétences, dans laquelle la moitié des formations seraient des échecs ?
Un prérequis : la proximité
Le recrutement cristallise peut-être une partie des défauts de la DRH, en même temps que ses axes d’amélioration. Pour rester en prise avec le cœur de l’activité de l’entreprise, tant les acteurs des RH que ceux du recrutement doivent impérativement s’imprégner en continu du business, s’immerger dans les opérations, dans le métier de l’entreprise, au plus près des managers. Le DRH devrait peut-être oublier d’être Business Partner, pour être Business Player. L’exemple du recrutement nous l’enseigne : en matière de RH, la proximité est un prérequis du succès. Cela n’implique pas forcément une fonction RH qui se mêle de toutes les problématiques RH des différents services ; pour que cette proximité fonctionne, il est essentiel de respecter une claire répartition des rôles. La fonction RH est transitive par nature. Elle n’opère pas directement la gestion des ressources humaines : celle-ci relève des managers eux-mêmes. Ceux-ci sont, de fait, les managers RH de leurs équipes. C’est à eux que revient le soin d’évaluer, de sanctionner, de communiquer, de rémunérer, de former. À chacun sa place. À l’inverse, il faut éviter de tomber dans une démarche “en mode guichet”, reposant sur des processus trop formels. Pour reprendre l’exemple du recrutement, imposer une industrialisation de celui-ci aux managers présente le risque de standardiser excessivement la démarche et d’uniformiser les profils. Recruter n’est pas cloner.
DRH : les trois lettres comptent
Le “R” de DRH peut nous renvoyer au Recrutement, à la Richesse ou, plus généralement, à la Ressource, dimensions que nous avons essayées d’évoquer dans cet article. Mais il ne faudrait pas occulter l’importance du “H” : le DRH doit être le Human Partner de proximité, le “champion des salariés” qui sont ses clients. Il doit développer une écoute active de ceux-ci dans une approche de marketing RH. Par ailleurs, nous devons accorder de l’importance au “D” de DRH. C’est le “D” de la Direction, c’est-à-dire du sens, et celui de la Dynamique RH, qui renvoie à l’accompagnement et à la transformation de l’organisation. Il faut aborder chaque activité RH en cinétique, en projectif. La fonction RH, et notamment l’activité de recrutement, doit renforcer leur approche systémique, et même écologique de l’entreprise, dans le sens d’une appréhension globale de son environnement.
Cela revient à changer de posture pour s’ancrer davantage dans les impératifs de l’activité de l’entreprise, en accompagnant les managers, en écoutant mieux les salariés, en passant du lien de subordination au lien social, de la gestion du risque humain à l’investissement de la relation humaine, en challengeant les membres du Codir, arguments financiers à l’appui, en étant force de proposition et d’accompagnement.
Peut-être alors ne fera-t-on plus d’études sur l’image de la fonction RH, car elles deviendront inutiles. Tout le monde aura compris qu’elle ne se limite pas à cette activité qu’est le recrutement, aussi essentielle soit-elle. Et, qui sait, le salarié-client satisfait se fera peut-être lui-même l’ambassadeur de la fonction ?