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Général Goujon : « Il n’y a rien de pire qu’un chef injuste »

Pour répondre à ses nombreux défis, notamment technologiques, l'armée de Terre doit convaincre des milliers de jeunes de rejoindre ses rangs chaque année. Alors, comment s'y prend-t-elle ? Et surtout, parvient-elle à faire accepter son système de management pyramidal où la figure d'autorité est centrale ? Immersion dans les coulisses de l'univers militaire avec le Général Arnaud Goujon, sous-directeur du pôle recrutement jeunesse.

À quels défis l’armée de Terre est-elle confrontée actuellement ? Et en quoi ce contexte militaire impacte vos recrutements ?

Général Arnaud Goujon – L’armée de Terre a beaucoup changé depuis notre dernière campagne de recrutement il y a 4 ans. Nous étions très présents au Sahel, désormais nous sommes davantage en Europe. Après le début de la guerre en Ukraine, nous avons eu un pic de recrutements. La jeunesse s’est manifestée d’elle-même pour nous rejoindre. C’est souvent le cas lorsque des évènements géopolitiques majeurs éclatent dans le monde. De nouveaux métiers ont aussi émergé en lien avec les drones, la cybersécurité, l’intelligence artificielle. L’armée est plus technologique et les combats de plus haute intensité. Si cela peut paraître paradoxal, la recherche d’aptitudes humaines n’en est que renforcée. Nos recrutements représentent une double difficulté : nous recrutons à grande échelle (16 000 en moyenne chaque année) et recherchons des spécialités pointues très demandées. Nous sommes en concurrence avec les entreprises privées sur un marché économique en tension. Il faut arriver à se démarquer…

Alors, comment rendez-vous l’armée attractive auprès des jeunes ?

Nous devons nous faire connaître et être nous-mêmes. Nous ne devons pas mentir sur ce que nous sommes et sur ce qui attend celles et ceux qui nous rejoignent. Nous faisons un métier particulier : nous portons les armes de la République et nous mettons nos vies en danger. Nous avons le devoir de nous assurer que nos soldats sont faits pour cette profession. Nos méthodes de sélection sont rigoureuses afin de déterminer les capacités physiques et psychiques des candidats. Ces derniers ne viennent pas chercher un métier, ils viennent chercher une vie d’aventures, une expérience hors du commun, une famille aussi, avec des valeurs fortes qui répondent à leurs aspirations : comme l’exigence, le dépassement de soi, le mérite, la fraternité. La plupart d’entre eux trouvent, chez nous, la vie qu’ils sont venus chercher.

La Gen Z ne serait donc pas une génération paresseuse ?

Nous ne devons pas parler de la même jeunesse, en effet. Moi, j’observe une Gen Z bourrée de qualités : généreuse et volontaire. Elle n’a pas peur de rejoindre les régiments les plus combattants et exigeants. Cette génération, comme les précédentes, a besoin de défis, d’audace et de donner du sens à son quotidien. C’est la raison pour laquelle, dans notre nouvelle campagne, nous les interpellons avec le slogan : « Peux-tu le faire ? ». Ensuite, au cours de la première année, nous faisons tout pour les accompagner au mieux afin d’atténuer le « choc de militarité ». Il peut être difficile de changer de milieu et d’adopter les codes de l’armée : l’uniforme, la vie en collectivité, une hiérarchie visible… Nous faisons preuve de discernement, car nous savons qu’un temps d’adaptation est nécessaire. En règle générale, les jeunes s’intègrent très bien et comprennent rapidement leur nouvel environnement. Si nous les recrutons au départ, c’est parce que nous sommes persuadés de leur potentiel. Notre taux d’attrition la première année (30 %) est au-dessous de la moyenne nationale, tous secteurs confondus (40 %).

Vous parlez de hiérarchie visible… Ce système très pyramidal n’est-il pas problématique en 2024 ?

Non, au contraire ! C’est un formidable espace de liberté justement. Car, en étant plus visible, le système est plus facile à appréhender. Chacun sait quelle place il occupe dans l’institution, et quelles sont ses missions. Cela permet à chacun de prendre ses responsabilités et de développer des relations de confiance à tous les niveaux. Chacun peut réaliser sa tâche, en ayant la certitude que son camarade aura réalisé la sienne juste avant. Le travail est interdépendant et le sens de l’équipe indispensable. Cela offre aussi de la considération à chacun, ainsi qu’un sentiment de force, de puissance. Dans l’armée de Terre, ce mode de fonctionnement est une nécessité, sinon les situations deviendraient ingérables, surtout lorsque les soldats font face à des moments critiques. L’autre avantage de ce système hiérarchique visible, c’est qu’à la différence de nombreuses entreprises, nous ne recrutons presque pas à l’extérieur sur des postes d’encadrement. Nous recrutons et formons aux premiers niveaux pour fabriquer les compétences dont nous avons besoin en interne. Cela permet de progresser tout au long de sa carrière, et de favoriser les évolutions internes. La prise en responsabilités se fait de manière progressive et méritocratique.

Et la figure d’autorité, elle, est-elle acceptée ?

Oui ! Nous avons besoin de bons chefs. Ils doivent être cohérents entre nos valeurs et leurs pratiques avec les troupes. Nous avons déployé des dispositifs de concertation afin de prendre la température à tous les niveaux et ainsi s’assurer du bon fonctionnement de l’armée de Terre. Il n’est pas acceptable de trahir nos valeurs. Ces comportements déviants, c’est du poison. Nous faisons la chasse aux chefs toxiques. Nos chefs doivent être justes. Car il n’y a rien de pire qu’un chef injuste…

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