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Handicap : et si les grands groupes étaient les bons élèves ? 

Dix ans après l’adoption de la loi pour l’égalité des droits et des chances pour les pesonnes en situation de handicap, le recrutement reste toujour problématique. Les grands groupes semblent en revanche avoir développé des solutions à suivre. Par Lionel Larrieu, directeur handicap et diversité de JLO Conseil.

Inadéquation des compétences, des diplômes, marché de l’emploi à deux vitesses, dissonance au niveau des taux d’emplois, obligations de recrutement peu ou inadaptées aux personnes en situation de handicap, manque de moyens, d’outils, de soutiens, d’aides institutionnelles… Si 10 ans après la loi de 2005, les mentalités ont radicalement évolué sur la question, mieux pris en compte au cœur de l’entreprise, le recrutement des personnes en situation de handicap reste une réelle problématique. Si les entreprises disposent de leviers pour le maintien dans l’emploi, l’intégration de nouveaux collaborateurs qualifiés ayant un handicap (cadres, techniciens) reste un axe bloquant, les dysfonctionnements constatés sur le marché de l’emploi freinent leur intégration. En 10 ans, la loi n’est pas parvenue à améliorer cette problématique.
Formations alternées, écoles de formations internes aux entreprises, multi-entreprises… Et si les solutions alternatives déployées par de grands groupes aujourd’hui étaient la voie à suivre ?

Loi de 2005, objectifs atteints ?
L’idée de cette loi était d’établir un cadre en matière de handicap sur différents périmètres comme ceux de l’accessibilité, de la compensation du handicap, de l’éducation et de l’emploi des personnes en situation de handicap. Aujourd’hui, on constate de vraies avancées, la société, les mentalités, la culture même des entreprises ont évolué. Sur le plan éducatif, il y a 10 ans, nous avions encore de grandes difficultés à scolariser les enfants en situation de handicap, essentiellement pour raisons d’accès, d’accompagnement individuel. Aujourd’hui le handicap est mieux intégré, au moins jusqu’au Lycée, même si l’accessibilité aux études supérieures reste compliquée, notamment par faute d’équipements publics adaptés (à peine 16 000 jeunes avec un handicap poursuivent des études supérieures, en 2015 d’après l’Onisep alors qu’ils sont 210 400 scolarisés en milieu ordinaire jusqu’au secondaire).
Parallèlement à cela, la loi a permis de définir la situation même de handicap, ce qui n’avait jamais été fait en France et créé les MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées), avec désormais un guichet unique pour le handicap, pour chaque département.
Sur le volet emploi, la loi de 2005 n’a pas modifié le taux légal (6 %) d’obligation d’emplois de travailleurs en situation de handicap qui existait déjà, mais renforcé la contribution financière des entreprises. Pour beaucoup d’établissements verser sa contribution, c’est malheureusement encore aujourd’hui la seule action menée pour répondre à son obligation d’emploi !

Handicap, dix ans après la loi, l’emploi ne décolle pas ?
Si le taux d’emplois progresse (pour preuve les budgets de l’Agefiph et du FIPHFP* qui eux diminuent), nous sommes aujourd’hui sur une réelle problématique portée par un marché de l’emploi à double vitesse. Le taux de chômage des personnes handicapées est de 22 %, soit le double du taux moyen. En matière d’embauches, les entreprises peinent à trouver des candidats dont les compétences répondent à leurs besoins, elles sont confrontées à un obstacle de taille : le faible niveau de qualification 75 % des bénéficiaires de l’obligation d’emploi ont un niveau inférieur ou égal au baccalauréat (source Dares).
Or, si on regarde aujourd’hui les secteurs qui recrutent ce sont soit des secteurs où les besoins de qualifications sont importants (cadres, techniciens), comme l’ingénierie, consultants, le marketing, la finance, soit des secteurs qui ont des métiers à pénibilité, souvent incompatibles avec certains handicaps (services à la personne, restauration, …). Selon l’Adapt, “Les personnes handicapées sont surreprésentées parmi les non-diplômés” et ce faible niveau de formation ne favorise pas leur retour en emploi. L’obligation légale d’emploi de 6 % de bénéficiaires s’avère donc difficile à respecter pour les entreprises qui embauchent des cadres ou des techniciens.

Entre obligations légales et réalité du marché, des solutions émergent ?
Les grands groupes qui veulent être actifs sur ce sujet, et ne pas subir le marché pour recruter, montrent la voie. Ils s’organisent seuls ou en partenariat avec d’autres et développent leurs propres outils. Des systèmes d’inclusions spécifiques, basés sur des formations alternantes, certifiantes, qualifiantes ou diplômantes, déployées au sein d’écoles internes, spécialement organisées autour du handicap. Objectifs ? Combler l’écart entre le niveau de compétences requis par leur métier et les compétences des personnes en situation de handicap en recherche d’emploi, développer l’employabilité des personnes en situation de handicap et répondre ainsi, par des solutions alternatives efficientes, à leur obligation d’emploi et à leur besoin de main-d’œuvre. Plusieurs secteurs d’activités ont ainsi développé leur propre offre de formation, comme le secteur financier avec HandiFormaFinance. Elle débouche sur les métiers de chargé de middle office ou chargé de back office au niveau Licence. Dans l’industrie, 14 grands groupes (Schneider Electric, IBM, Assystem, Nexter, Safran, Schlumberger…) se sont associés à l’organisme de formation Cesi et à l’Agefiph pour faire connaître leurs métiers et proposer des formations en alternance, y compris sur des postes d’ingénieurs. Ces entreprises ont compris que face à des partenaires emploi (Pôle Emploi, Cap Emploi…) qui ont du mal à répondre à leurs attentes, avec les outils institutionnels existants, il est indispensable de créer leurs propres dispositifs. S’inspirer de ce que font aujourd’hui certains grands groupes, l’institutionnaliser et faire évoluer la loi de 2005, serait-ce la solution de demain ?
Les politiques publiques doivent s’emparer de cette problématique. Faire émerger des solutions s’inspirant des actions menées par ces grands groupes (en réponse à une absence d’outils adaptés), et les accompagner en aménageant le cadre de loi, les aides publiques ou en mobilisant les acteurs de l’emploi sur ce sujet.
En faisant de ces expériences une vraie politique gouvernementale, on pourrait effectivement reproduire, déployer ces schémas d’écoles de formations alternantes de façon plus globale, mieux soutenir les initiatives déjà mises en œuvre, en faire émerger de nouvelles.
On commence à percevoir une prise de conscience en France, sur le fait que l’alternance est peut-être la solution à une meilleure employabilité des personnes en situation de handicap. D’autres pays en Europe s'en sont rendu compte depuis longtemps.

Et si les grands groupes étaient les bons élèves ?
Pas tous, certainement, mais ceux qui ont compris que s’engager dans une politique d’emploi en faveur des personnes handicapées, c’est avant tout un engagement social plutôt qu’économique, sont plutôt en tête de classe.

* Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique.
 

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