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Harcèlement sexuel au travail : “les DRH et les managers sont en première ligne”

À l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le Défenseur des droits (DDD) publie un livret à destination des employeurs souhaitant participer à la lutte contre le harcèlement sexuel au travail. Clémence Armand, chargée de mission à la direction de la promotion des droits de l’institution, revient avec nous sur ce sujet plus que jamais d’actualité.

Quelle est l’ampleur du phénomène en 2020 ? Les entreprises agissent-elles suffisamment face au harcèlement au travail ?

Le harcèlement sexuel est encore très présent au travail. Le Défenseur des droits a mené une enquête en 2014 sur le harcèlement sexuel au travail. Elle révèle notamment que 20 % des femmes actives disent avoir été confrontées à une situation de harcèlement sexuel au cours de leur vie professionnelle. Autrement dit, une femme sur cinq.

En outre, une étude de la Fondation Jean Jaurès menée en 2019, arrive à une conclusion similaire à la nôtre : selon elle, 30 % des Françaises ont déjà été harcelées ou agressées sexuellement sur leur lieu de travail. Cette proportion n’a pas diminué depuis 1991, date à laquelle on recensait 19 % de victimes de telles pratiques. Ainsi, malgré les évolutions du droit en matière de protection contre le harcèlement, les statistiques stagnent sévèrement.

En France, le législateur a quand même fait évoluer les choses ces dernières années en renforçant les obligations des employeurs, et ils sont de plus en plus nombreux à les mettre en œuvre. Ainsi, au titre de leur obligation de sécurité, ils sont chargés d’évaluer les risques en matière de harcèlement sexuel, et de mettre en place des actions de prévention et de sensibilisation à destination de leur personnel, notamment encadrant, sur le sujet. Ils ont aussi l’obligation de mettre un terme aux faits quand ils se produisent ; de protéger les victimes ; et de sanctionner les agresseurs. Les syndicats, notamment la CGT et la CFDT, ainsi que les organisations patronales, sont aussi davantage mobilisés, et ont produit de nombreux outils de sensibilisation.

À côté de ce mouvement législatif, on parle de plus en plus du sujet dans la société. Des mouvements récents, tels que #MeToo et sa déclinaison française #BalanceTonPorc, ont contribué depuis 2016 à libérer la parole des femmes et à mettre en lumière l’ampleur du phénomène. Ils ont déclenché une forte mobilisation de la société contre le harcèlement sexuel, notamment au travail. Mais l’on constate que subsiste malgré tout une grande tolérance aux blagues sexistes et une méconnaissance du harcèlement sexuel, qui reste encore trop banalisé.

L’enjeu majeur, aujourd’hui, sera pour l’employeur de sensibiliser l’ensemble des collectifs de travail quant à l’effet négatif du harcèlement sexuel sur les victimes ; en matière de santé psychique, de bien-être et même, puisque l’on se trouve dans le monde de l’entreprise, de productivité. Dans cette optique, la prévention est primordiale.

 

Concrètement, que peut faire l’employeur pour lutter contre le harcèlement sexuel ?

Beaucoup d’employeurs sont conscients de l’importance de lutter contre le harcèlement sexuel au travail. Mais ils ne savent pas, bien souvent, comment faire. C’est pourquoi le Défenseur des droits, de plus en plus sollicité sur le sujet, a lancé une campagne d’information en 2018, avant de publier ce 25 novembre 2020 un livret, dont l’objectif est de guider et d’outiller les employeurs qui cherchent à mettre en œuvre leurs obligations légales, ou à aller plus loin. Plus généralement, il est aussi destiné à toutes les personnes (dirigeants, managers, DRH, cadres, salariés…) qui souhaitent participer à la lutte contre le harcèlement sexuel, notamment en réalisant une session d’information, de sensibilisation ou de formation sur le sujet.

Énormément d’outils existent pour permettre aux DRH (ou au “référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel”) de sensibiliser et d’informer les collaborateurs et collaboratrices : des séances de formation, des ateliers de brainstorming ludiques (sous forme de jeux de rôle, de mises en situation ou de quiz), des vidéos de communication sur le sexisme et le harcèlement sexuel, des exercices d’audit collectifs, des serious games, des “cafés débats” le matin, ou encore des webinaires. L’idée est que l’employeur doit tout faire pour que l’on parle de ce sujet avec les collectifs de travail. Souvent, le simple fait de sensibiliser suffit à changer les choses au sein des équipes.

Quand il est averti d’une situation de harcèlement sexuel, l’employeur doit faire preuve d’une tolérance zéro. Il doit prendre les choses en main : protéger et accompagner la victime, diligenter une enquête interne, éventuellement prendre des mesures conservatoires, et sanctionner si les faits sont avérés. Ensuite, il lui incombe de communiquer auprès de ses collaborateurs et collaboratrices autour du fait que ces comportements ne sont pas acceptables.

 

Faut-il former, tout particulièrement, les managers ?

La formation du top management, des DRH et des représentants du personnel est très importante pour changer les mentalités face au harcèlement sexuel au travail. Mais celle des managers de proximité l’est tout autant. Ils sont ainsi en première ligne pour mettre fin à certains comportements (sexistes, racistes, de harcèlement moral), en lien avec les ressources humaines.

S’ils sont bien formés sur le sujet, les managers peuvent détecter et reconnaître, au sein de leurs équipes, des situations de harcèlement sexuel ou des agissements sexistes bien plus rapidement. Ils ont une fonction de repérage, d’alerte, d’écoute et de conseils. Ainsi qu’un rôle majeur en matière de sensibilisation des collaborateurs.

 

Ces changements d’attitude au travail qui doivent alerter les managers

• Des comportements de repli, de fuite de la personne concernée, de son environnement de travail, “de manière inhabituellement brutale”.

• une perte d’intérêt pour le travail demandé (retards répétés, absentéisme pour des raisons motivées ou non)

• une absence de concentration

• un isolement au sein de l’environnement de travail

• un surinvestissement dans le travail

• des réactions émotionnelles (colère), de l’agressivité à l’encontre des autres collègues

• des conduites addictives.

“Ces comportements pris isolément ne sont pas nécessairement le signe d’une situation de harcèlement ou de violence, mais plus le faisceau d’indices devient conséquent, plus la vigilance portée doit être importante”, indique le DDD dans son livret.

 

 

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