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Heures supplémentaires : plus besoin de l’accord de l’employeur ?

L’employeur doit-il payer des heures supplémentaires alors qu’il s’est opposé à leur exécution ? Selon deux arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation le 14 novembre 2018, oui. Désormais, un salarié peut ainsi prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies sans l’accord de l’employeur, s’il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées. L’analyse de Bénédicte Querenet-Hahn, avocate au Barreau de Paris, associée du cabinet GGV.

 

Que dit la Cour ? Cela va-t-il changer la donne ?

Jusqu’à présent, les heures supplémentaires ne pouvaient être réclamées que si elles avaient été effectuées à la demande de l’employeur – que cette demande soit expresse ou tacite. En principe, un salarié ne peut pas, de sa propre initiative, effectuer des heures supplémentaires et en réclamer ensuite le paiement. Mais le 14 novembre, la Cour de cassation a jugé que même si l’employeur n’est pas d’accord, à partir du moment où il donne une charge de travail trop importante au salarié, celui-ci est légitime à solliciter les heures sup qu’il a été contraint de faire. Autrement dit, l’employeur doit rémunérer les heures supplémentaires lorsqu’elles sont nécessaires à la réalisation des tâches confiées au salarié.

Dans l’une des deux affaires (arrêt n° 17-16959), l’interdiction de réaliser des heures supplémentaires sans autorisation préalable avait fait l’objet d’un avenant au contrat de travail. Malgré cette interdiction, le salarié avait effectué des heures supplémentaires et ce manquement lui avait valu une mise en demeure et un avertissement. Dans l’autre affaire (arrêt n° 17-20659), l’employeur avait attiré l’attention du salarié par plusieurs lettres et courriels sur la nécessité d’une autorisation de son supérieur hiérarchique, préalablement à l’accomplissement d’heures supplémentaires. Dans ces deux cas, les salariés avaient effectué des heures supplémentaires sans autorisation de leur employeur et l’avaient mis devant le fait accompli.

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Comment le salarié peut-il apporter la preuve que ses heures de travail supplémentaires sont justifiées, dès lors que l’employeur les a refusées ?

La difficulté de ces arrêts, c’est effectivement la question de la preuve : comment déterminer que la charge de travail est trop importante par rapport au temps de travail convenu dans le contrat de travail, et que la charge est telle qu’elle rend nécessaire l’exécution d’heures supplémentaires ? En cas de litige, il incombe au salarié de prouver que l’accomplissement des heures supplémentaires litigieuses était réellement nécessaire. Dans un des arrêts, le n°17-16959, il est intéressant de constater que le salarié avait fait des heures supplémentaires en raison de sa charge de travail, que pendant une période de 7 mois, l’employeur lui avait payé les heures sup en question ; et qu’ensuite, il lui avait demandé d’arrêter d’en faire, mais sans adapter sa charge de travail, et au contraire, en l’augmentant. C’est cet élément là qui a été retenu pour considérer qu’il y avait une charge de travail excessive, qui faisait que le salarié ne pouvait pas faire autrement que de faire des heures supplémentaires, même si son employeur s’y était opposé.

Ces arrêts feront donc jurisprudence en ce qui concerne l’accord de l’employeur dans le cas d’heures supplémentaires non payées, au regard de la charge de travail. L’arrêt de la Cour de cassation n°17-16959, en particulier, est important, car il montre que si l’employeur ne tient pas compte de la charge de travail du salarié, le fait de s’opposer aux heures supplémentaires ne suffit pas ; et qu’il doit donc vérifier que ce qu’il confie à ses employés est réalisable dans les temps.

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Que risque un employeur qui ne paierait pas des heures supplémentaires ?

Il risque une réclamation de la part du salarié, qui dispose d’un délai de 3 ans pour intenter une action en paiement d’un rappel de salaires devant le conseil de Prud’hommes. En plus du paiement d’un rappel de salaires des heures supplémentaires, d’éventuelles majorations et dommages-intérêts, l’employeur s’expose à des sanctions pénales, pour délit de travail dissimulé et au paiement d’une indemnité au salarié, égale à 6 mois de salaire. Le risque financier est donc élevé.

 

Dans quelle mesure ce nouveau cadre qui entoure les heures sup est-il un défi pour l’employeur ?

L’employeur ne peut pas se contenter de mettre en place une procédure d’autorisation préalable des heures supplémentaires et de veiller à son respect. Il est contraint d’organiser l’entreprise et/ou le service de façon à éviter une charge de travail trop importante par rapport au temps de travail du salarié, s’il souhaite s’éviter les coûts et inconvénients liés à la réalisation d’heures supplémentaires.

Il doit se préoccuper des heures supplémentaires, notamment celles effectuées du propre chef des salariés, alors qu’il ne leur a pas expressément demandé. Si des salariés accomplissent des heures sup sans son accord, il doit chercher à en comprendre la raison, s’il veut les limiter. Est-ce parce qu’ils sont désorganisés, parce qu’ils travaillent plus lentement que d’autres, ou réellement parce qu’ils ont une charge de travail trop importante ? Dans cette dernière hypothèse, l’employeur doit faire un choix, accepter de payer des heures sup ou organiser différemment le travail et sa répartition.

L’employeur qui tolère que le salarié fasse régulièrement des heures supplémentaires est supposé les avoir sollicitées. Par conséquent, s’il demande au salarié de cesser d’en faire, mais que ce dernier continue malgré tout à en faire, il se mettra en risque, à défaut de réagir.

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Pour obtenir le paiement des heures supplémentaires qu’il a accomplies, le salarié doit produire des éléments suffisamment concordants quant aux horaires de travail qu’il a réalisés, en raison d’une charge de travail trop importante, et c’est à l’employeur de démontrer que le salarié n’a pas accompli les heures réclamées (en apportant la preuve des horaires effectivement réalisés par le salarié). C’est ensuite le juge qui décide.

La charge de la preuve est partagée entre les deux – c’est la raison pour laquelle l’employeur a intérêt à contrôler le temps de travail des salariés, afin de pouvoir démontrer qu’ils n’ont pas accompli d’heures supplémentaires. Un salarié peut très bien avancer qu’il avait des temps de présence importants dans l’entreprise et qu’il faisait régulièrement des heures sup, alors qu’il s’absentait plusieurs heures pour déjeuner. Il existe de nombreux outils de contrôle, de la badgeuse au relevé auto-déclaratif, en passant par des logiciels de comptabilisation du temps de travail effectif.

Finalement, d’un point de vue purement RH, l’employeur a intérêt à s’interroger sur la bonne organisation du travail du salarié qui réalise des heures sup, afin de l’aider, lorsque c’est possible, à mieux s’organiser, à travailler avec plus d’efficacité et à réduire ses heures supplémentaires.

 
 

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