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IA : les cadres sont-ils menacés ?

Alors que l’automatisation du travail a commencé par des tâches peu qualifiées, l’intelligence artificielle va inévitablement toucher les métiers de cadres. Et le phénomène semble arriver assez vite. Les points de vue de Stéphane Clément, directeur exécutif de Jouve et ex-directeur du développement de Manpower Group France, et Lionel Prudhomme, directeur du LISPE (Laboratoire d’innovation sociale et de performance économique) de l’IGS-RH.

 

Interview réalisée en 2017 par Marie Roques.

 

La montée de l’intelligence artificielle représente-t-elle une menace pour l’emploi ?

 
Stéphane Clément : Je dirais plutôt que l’IA va transformer certains emplois, avec sûrement quelques pertes dans un premier temps. Sur les métiers de cadres, cela va plutôt changer la division du travail. Si on se réfère aux études qui sortent chaque année sur le sujet, on voit quand même que d’ici 2020-2025, environ 25  % des emplois cadres seront touchés. Forrester annonce que 140 millions de cadres devront être réorientés d’ici 2025. Ils ne réaliseront plus les mêmes tâches qu’aujourd’hui.

L’IA fait, par exemple, son entrée dans le métier d’avocat. Elle va être capable de réaliser les travaux de lecture de contrats et de back-office administratif. Les avocats pourront alors se concentrer sur leur cœur de métier comme la plaidoirie. L’intelligence artificielle va changer une partie du travail, le défi est de former les personnes sur d’autres tâches à valeur ajoutée. C’est un dispositif de transformation qui se fera sur le long terme.

 
Lionel Prudhomme : Selon France Stratégie, en 2020, 60 % des métiers auront disparu. Mais l’automatisation ne devrait toucher que 10 % des métiers, l’IA ne remplaçant que les tâches répétitives. Il faut essayer de ne pas se faire peur. Tout d’abord le robot n’existe pas en lui-même, il y a des hommes derrière. La question centrale se place au niveau de l’accompagnement des salariés et, de ce point de vue, les entreprises changent leur fusil d’épaule et mettent en place des dispositifs pour remédier à ces changements de compétences. Il s’agit d’une impulsion vers une plus grande qualification des personnes dans leur métier.

 
S.C. : Absolument, prenons par exemple l’industrie automobile allemande. C’est l’une des plus robotisées au monde. Aujourd’hui, entre 800 000 et 900 000 personnes y travaillent, c’est 100 000 de plus qu’il y a 20 ans. Les salariés qui étaient sur des postes à la chaîne ont été formés et travaillent désormais au département R&D, design ou encore à la vente. L’enjeu est de transformer rapidement les compétences et d’investir autant dans la transformation RH que dans les nouvelles technologies.

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Certaines études laissent apparaître la possibilité que les robots aient à l’avenir la capacité de manager et de prendre des décisions. Cela vous semble-t-il plausible ?

 
S.C. : Une chose est sûre, l’IA va libérer du temps, l’une des denrées les plus rares aujourd’hui. Une récente expérience du MIT (Massachusetts Institute of technology) a mis en rapport un groupe managé par un humain, un autre par l’IA et un dernier sur un modèle mixte. Le résultat montre que l’équipe du robot a accompli ses tâches le plus rapidement et les gens y étaient les plus heureux de travailler.

 
L.P. : Il faut rappeler que cette expérience a été menée dans un environnement simple et non durable. Beaucoup de facteurs ont été gelés. Concernant le management et la prise de décision nous sommes dans l’incertitude. On ne peut pas prévoir comment va se passer demain. Cela oblige les sociétés à repérer les macro-compétences qu’il est nécessaire de développer. Dans cette perspective, l’État doit mettre en place les dispositifs nécessaires en appui avec les opérateurs et proposer des moyens d’accompagnement adaptés.

 

Quel sera, selon vous, l’impact de l’intelligence artificielle sur le sens du travail ?

 
S.C. : Il faut faire comprendre aux gens qu’ils ont plus que jamais besoin de rester employables. Ils doivent mettre en avant leur capacité à se transformer par eux-mêmes et à vouloir le faire. Je pense que l’intelligence artificielle va supprimer bon nombre de tâches répétitives, non intéressantes, que l’on faisait parfois toute sa vie pour aller sur de nouvelles compétences et ainsi favoriser l’épanouissement au travail.

 
L.P. : En France, sur l’ensemble de la population active au travail, près de 7 millions de personnes ont connu une transition professionnelle sur les douze derniers mois. C’est énorme, le corps social bouge énormément. Il faut venir en appui pour rendre les dispositifs d’accompagnement plus efficaces et plus réguliers. Les gens ont besoin d’une boussole pour se positionner. On est en train de passer à une nouvelle ère technique derrière laquelle il y aura toujours des hommes. La question est d’accompagner les personnes qui pourraient rester sur le quai.

 
S.C. : Les métiers changent, se transforment, les jeunes reviennent vers l’entrepreneuriat. Nous sommes en face d’une mutation très grande. La seule difficulté est de gérer le timing pendant cette période de mutation.

 
 

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