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« Il y a toujours une certaine inertie des cultures sexistes au travail »

Seulement 20 % de la population estime que les femmes et les hommes sont égaux en pratique dans le monde du travail, un score en baisse de 3 points par rapport à 2022*. À l’occasion de la journée nationale de lutte contre le sexisme, le 25 janvier, découvrez l’éclairage de Marie Donzel, Directrice associée chez AlterNego, autrice du livre « 7 icônes de la culture pop pour comprendre le sexisme » (Fil rouge).

Quelle est la définition du sexisme, et notamment du sexisme ordinaire ?

Le sexisme se définit comme une asymétrie de traitement en fonction du genre. Concrètement, cela peut être de la misogynie par exemple. Le sexisme ordinaire repose quant à lui sur des stéréotypes de genre : on n’attribue pas les mêmes qualités ou les mêmes compétences aux hommes et aux femmes. Ces remarques et comportements sont parfois faits de manière inconsciente, la personne ne s’en rend pas forcément compte. Le sexisme ordinaire est souvent invisible, difficile à cerner et à objectiver surtout dans un environnement normé par le masculin. Quand il est dénoncé, cela peut rapidement devenir conflictuel.

Comment a évolué cette question du sexisme au travail ces dernières années ?

Il y a 10/15 ans, il y avait un vrai déni. On disait que les remarques sexistes étaient juste des blagues, qu’il fallait avoir de l’humour ! On ne voyait pas où était le problème. Aujourd’hui, la conscience du sexisme au travail est réelle. Il n’est plus acceptable de faire des remarques à une femme sur sa tenue, de critiquer la tonalité de sa voix ou encore de la traiter d’hystérique, tout cela n’est plus perçu comme normal. Cette conscience est particulièrement aigüe chez les jeunes générations. Il est aussi intéressant de noter que des expressions venues à l’origine du féminisme radical sont aujourd’hui des termes couramment utilisés : charge mentale, mansplaining… Cette lucidité nouvelle entraîne parfois un écart douloureux entre ce que les femmes savent et ce qu’elles vivent au quotidien. La réalité est souvent brutale.

Les chiffres mis en avant dans le rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France* ne sont pas encourageants. Ils donnent l’impression que, malgré les discours des entreprises et les obligations légales, la réalité du quotidien au travail, elle, ne change pas vraiment…

Il y a toujours une certaine inertie des cultures sexistes au travail. Beaucoup d’entreprises ne vont pas au bon rythme et ne mettent pas les bons moyens en œuvre (et souvent ne mettent tout simplement pas assez de moyens !). Proposer une formation d’une ou plusieurs journées pour sensibiliser au sexisme est ainsi une bonne chose. Mais c’est clairement insuffisant pour véritablement changer la culture d’entreprise. Il y a encore un hiatus entre les attentes élevées vis-à-vis de ces questions et la réalité des actions mises en place. Cela peut être très déceptif quand le discours affiché prône zéro tolérance au sexisme. Chez AlterNego, nous préconisons des audits systématiques, par exemple de réunions. Cela permet de voir concrètement comment elles se déroulent, si les femmes se font couper la parole, les remarques et comportements des uns et des autres, etc. Et ce entité par entité. Une fois ces diagnostics réalisés, il y a une granularité d’actions possibles.

Y a-t-il des tendances fortes dans les demandes des entreprises ?

Depuis le mouvement #metoo, il y a une hausse des formations au harcèlement. On explique alors les bases : qu’est-ce qu’est le harcèlement ? Que disent les textes légaux ? Dans les entreprises plus matures sur ces sujets, on observe une forte demande post-Covid pour recomposer des collectifs de travail plus inclusifs. Cela pose des questions très concrètes : peut-on encore faire des blagues au bureau ? Peut-on encore draguer sur son lieu de travail ? Dernière tendance : le leadership. Là encore, le discours a changé. Il y a une dizaine d’années, on demandait aux femmes de se faire plus confiance et de faire preuve d’audace. Aujourd’hui, les entreprises se demandent ce qu’elles peuvent faire, au niveau de l’organisation, pour leur donner confiance et lever les freins

« Il faut garder en tête que nous sommes toutes et tous fondés à intervenir. C’est ce que l’on appelle la co-vigilance. »

Quels seraient vos conseils pour les dirigeants souhaitant lutter efficacement contre le sexisme dans leur entreprise ?

Je les encouragerais, tout d’abord, à ne pas partir dans tous les sens. Au risque, sinon, de diluer leurs actions. Il est primordial de se concentrer sur les aspects prioritaires selon les enjeux de l’entreprise : il peut s’agir de problématiques RH techniques liées au recrutement pour attirer les talents, de risques psychosociaux (RPS) pour le harcèlement, de culture d’entreprise et de management pour le sexisme ordinaire… Il ne faut pas tout mettre dans le même lot ! Cela demande de cartographier au préalable les urgences et les problématiques clés : où doivent porter vos efforts ? Où y a-t-il le plus de risques ? Ce n’est pas grave de ne pas tout traiter. Mieux vaut mettre les moyens sur un ou deux enjeux clés plutôt que de vouloir tout adresser en même temps.

Pouvez-vous enfin nous rappeler quels sont les bons réflexes à adopter si on est victime ou témoin de sexisme au travail ?

Il faut garder en tête que nous sommes toutes et tous fondés à intervenir. C’est ce que l’on appelle la co-vigilance. Il n’y pas besoin de se sentir blessé(e) pour dénoncer des propos sexistes. Si ces propos vous ont dérangé(e), il est nécessaire d’agir. Pour Brigitte Grésy, il y a un sexisme passif, comme il y a un tabagisme passif. C’est une pollution de l’atmosphère sociale, de l’environnement de travail. Mais attention, je n’ai pas dit que dénoncer le sexisme au travail est facile, surtout dans un rapport de pouvoir. La première chose à faire est d’alerter le management en discutant de vos conditions de travail. Ensuite, vous pouvez vous tourner vers différentes instances : les référents CSE, les déontologues (il y en a de plus en plus en entreprise), le Défenseur des droits, le médecin du travail, l’inspection du travail, votre médecin traitant, des associations (certaines sont sectorielles)…

* Rapport 2023 sur l’état du sexisme en France du HCE : www.haut-conseil-egalite.gouv.fr

L’info en plus…

En 2018, Accor, EY et L’Oréal ont lancé, aux côtés de trente entreprises et organisations, #StOpE, Stop au Sexisme Ordinaire en Entreprise, la première initiative interentreprises ayant pour objectif de lutter contre le sexisme dit « ordinaire » au travail. En 2023, ce sont 199 organisations – grands groupes, PME, grandes écoles, organisations publiques et associations – qui sont signataires de l’acte d’engagement fondateur. Cet acte comprend huit engagements clefs :

1. Afficher et appliquer le principe de tolérance zéro
2. Informer pour faire prendre conscience des comportements sexistes (actes, propos, attitudes) et de leurs impacts
3. Former de façon ciblée sur les obligations et les bonnes pratiques de lutte contre le sexisme ordinaire
4. Diffuser des outils pédagogiques aux salarié·es pour faire face aux agissements sexistes en entreprise
5. Inciter l’ensemble des salarié·es à contribuer, à prévenir, à identifier les comportements sexistes et à réagir face au sexisme ordinaire
6. Prévenir les situations de sexisme et accompagner de manière personnalisée les victimes, témoins et décideurs dans la remontée et la prise en charge des agissements sexistes
7. Sanctionner les comportements répréhensibles et communiquer sur les sanctions associées
8. Mesurer et mettre en place des indicateurs de suivi pour adapter la politique de lutte contre le sexisme ordinaire.

À lire aussi : Harcèlement sexuel au travail, comment réagir en tant que manager ou DRH ?

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