Tout le monde rêverait d’avoir une répartie de killer. Celle qui permettrait de clouer instantanément le bec à son détracteur, et de sortir la tête haute d’une situation complexe. Mais, souvent, nous ne disons rien et nous ruminons jusqu’à ce que la phrase teintée de regret « Ah, j’aurais dû répondre ça ! » nous vienne à l’esprit.
Ce sens de la punchline bien placée est un exercice à travailler, mais « la répartie, ce n’est pas que la capacité à se défendre oralement face à une remarque désagréable, nuance Corentin Eveno, auteur de L’art d’avoir toujours réponse à tout (Éditions Eyrolles). La répartie, c’est aussi le caractère interactif et banal avec les autres dans le quotidien. C’est la capacité à réagir instantanément et justement. »
D’après l’enseignant en rhétorique à l’université Paris-Saclay, répondre « justement » à son interlocuteur signifie « obtenir l’effet recherché. Si l’objectif fixé était de le faire rire et que, finalement, je le blesse, alors ma répartie était peut-être rapide, mais n’était pas juste. » Cette arme oratoire est donc à manier avec précaution, notamment dans le contexte professionnel.
Corentin Eveno a identifié 4 situations plausibles, et explique comment les appréhender au mieux.
1. Rétorquer à une attaque professionnelle
En règle générale, lorsque nous recevons une attaque verbale, liée à notre travail, de la part d’un manager ou d’un collègue, « nous sommes énervés« , explique-t-il. Avant de détailler : « Nous avons une réaction émotionnelle, alors qu’il faudrait déconnecter les propos de soi-même. Il ne faut pas confondre ce qui relève de notre travail et de notre personnalité. Il faut chercher à comprendre calmement ce qui se cache derrière l’invective en sortant d’une logique de l’affrontement. Il s’agit de poser des questions claires pour obtenir des réponses objectives, et ainsi trouver avec son interlocuteur des solutions à un problème. »
2. Se défendre face à une attaque personnelle
Si l’attaque verbale est plus personnelle (sexiste, homophobe, ou encore raciste), il existe deux grands types de réactions afin de ne pas tomber dans l’agressivité. « L’auto-dérision est redoutable », selon l’auteur, qui donne un exemple : « Si un collègue-homme dit à la machine à café à sa collègue-femme « Ah ben dis donc, les femmes paient leur café maintenant », la victime de sexisme peut répondre « Eh oui, les femmes ont le droit d’avoir un compte bancaire depuis le mois dernier, tu n’étais pas au courant ? »« .
L’autre possibilité est de feindre l’ignorance, l’incompréhension. « Là encore, l’idée est de demander à la personne de développer sa pensée, de manière subtilement ironique, afin que l’interlocuteur clarifie ses propos. Ce processus risque de le mettre mal à l’aise, et ainsi de lui faire prendre conscience par lui-même du caractère déplacé de sa remarque« , affirme Corentin Eveno. Dans l’exemple précédent, la victime peut rétorquer selon lui : « Qu’est-ce qui te surprend dans le fait que les femmes paient leur café ?«
3. Esquiver des sujets tabous
Dans des contextes inflammables, comme ces dernières semaines où les conversations politiques se sont immiscées dans la sphère professionnelle, la répartie est d’autant plus utile. Ces sujets d’actualité sont inévitables au travail, car ils constituent une partie de la vie quotidienne des travailleurs, qui sont aussi des citoyens en dehors de l’entreprise. Mais, ces sujets sont sensibles et ne doivent pas mettre en péril les relations de travail qui, elles, s’inscrivent dans le long-terme. « Si un salarié évoque ce sujet, surtout lors de temps informels, comme la pause café ou le déjeuner, c’est qu’il est préoccupé par ce sujet, qu’il a peut-être une crainte émotionnelle, qu’il a besoin d’en parler« , décrypte le formateur en rhétorique.
Aussi, l’une des solutions pour aborder ces sujets politiques – ainsi que tous ceux considérés comme « tabous » au travail – sans se mettre en danger quant à ses opinions personnelles, c’est « de faire parler l’autre pour connaître son positionnement ; de voir si on est d’accord ou pas d’accord ; de répondre à la question par une autre question ; de recourir à une phrase générale qui ne dit rien sur son ressenti profond ; ou de s’effacer derrière le groupe si cette conversation a lieu avec plusieurs personnes« , dit-il.
4. Convaincre de la pertinence d’un projet
Enfin, lorsqu’il s’agit en tant que salarié de défendre une idée, un projet qui tient à cœur devant ses collègues et/ou ses supérieurs hiérarchiques, « le niveau de stress peut être élevé, car l’enjeu est important« , rappelle l’auteur. Aussi, si des objections sont formulées, « l’important n’est pas d’apporter les réponses les plus solides intellectuellement, mais les plus impactantes émotionnellement sur la personne qu’on cherche à persuader. L’idéal est de connaître ses opinions, ses intérêts, ses sensibilités. La préparation de cette prise de parole est le nerf de la guerre, ainsi qu’un bon entraînement« , détaille-t-il, tout en admettant que ce n’est pas toujours possible de bien connaître son/ses interlocuteurs en amont.
C’est pourquoi, dans des contextes similaires, Corentin Eveno recommande la technique argumentative AEI (Affirmation, Explication, Illustration). C’est-à-dire, formuler une réponse en une phrase, avec un élément central à retenir et un exemple. Ou encore, la technique performative EAB (Evènement, Action, Bienfait). Soit, indiquer dans une réponse en une phrase, le moment opportun pour mener une action et les résultats escomptés. « Plus la réponse sera courte, plus elle sera efficace« , souligne-t-il.
Lorsqu’on est l’objet d’une attaque et/ou d’une situation embarrassante au travail, il s’agit toujours de se demander, « ce que nous avons à gagner et à perdre à répondre, notamment lorsque des personnes, où l’enjeu de légitimité est important, se trouvent à proximité. La répartie ne doit pas desservir la personne attaquée. Parfois, ne rien répondre revient à ne pas donner de crédit à une parole infondée. Maîtriser la répartie, c’est donc aussi maîtriser les contextes dans lesquels elle se manifeste. Cela oblige à écouter l’autre, à faire preuve d’empathie. Il ne s’agit pas seulement de juxtaposer des monologues, mais de créer de vraies relations avec ses collègues et ses managers« , termine l’auteur.