La seconde édition de l’ouvrage Moi, Manager, édité par le groupe Revue Fiduciaire, est désormais disponible. Un ouvrage destiné aux responsables d’équipes sur leurs droits, leurs devoirs et leurs obligations. Jean-Emmanuel Ray, Professeur à l’Université de Paris I – Sorbonne, Sciences Po et à l’Ecole des Mines, nous expose les différentes nouveautés.
Quelles sont les principales nouveautés de cette édition ?
Elle comprend une actualisation complète des différentes notions (clause de non concurrence, loyauté des preuves…) ainsi que l’ajout de thèmes : par exemple la loyauté. C’est un sujet central aujourd’hui. Sur les réseaux sociaux par exemple, si un salarié critique son entreprise sur Twitter, cela passe parfois pour une manœuvre déloyale. Les juges doivent alors séparer légitime liberté d’expression du citoyen et injure, diffamation ou dénigrement ; voire faute disciplinaire en cas de divulgation d’informations sensibles.
Cette nouvelle édition comprend une partie très étoffée sur le télétravail. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Après le méga-contre-exemple des télétravaux forcés confinés au domicile du printemps, de nombreux collaborateurs, y compris des cadres supérieurs ne souhaitent plus revenir tous les jours au bureau. Cela nous ramène à la notion de loyauté. Quand les collaborateurs travaillent de plus en plus chez eux, demeurent-ils aussi engagés, loyaux à une communauté de travail dont ils se sont éloignés ?
Cette question de loyauté est nouvelle en droit du travail français ?
Non, mais elle est appréciée de manière très différente selon les pays. Au Japon par exemple, critiquer son entreprise c’est un peu comme critiquer sa famille. Entendre des directeurs critiquer leur entreprise, cela passe très mal, y compris parmi les collègues.
La génération française des Trente Glorieuses était plutôt sur cette ligne : cela ne se faisait pas de critiquer publiquement son entreprise. Un arrêt de 1988 a créé un véritable basculement.
Un salarié d’une grande entreprise de pneumatiques qui avait donné une interview dans l’Humanité et fait des révélations sur les conditions de travail avait été licencié de ce fait. Son licenciement a été annulé.
A fortiori, à l’heure des réseaux sociaux et de l’e-réputation, ce type de révélations peut avoir des conséquences économiques importantes. Aujourd’hui, la Cour de cassation prend en compte la nature du poste du salarié qui a critiqué son entreprise, mais aussi sa position hiérarchique. Ce sont les deux éléments fondamentaux. Et un directeur financier qui tweete sur son compte personnel des informations sensibles peut alors commettre une faute grave.
Comment voyez-vous l’avenir du télétravail ?
Nous ne sommes qu’aux prémices de ce séisme. Comme nombre d’entreprises américaines aujourd’hui, un groupe comme PSA n’a pas hésité à affirmer que le travail à domicile pourrait devenir la norme.
Pour certaines entreprises, il s’agit d’un retournement complet, lié à la levée de blocages psychologiques et autres tabous suite à la très longue expérience de télétravail que nous connaissons depuis mars.
La crise du Covid-19 est un « fait social total » qui a des répercussions sur tout le monde : personne ne peut se soustraire à ses effets. Et aujourd’hui la situation professionnelle est directement impactée par la situation personnelle : chaque télétravailleur a ses propres contraintes d’appartement, de Wifi, de conjoint qui télétravaille, etc.
Cela peut aussi devenir la guerre des temps, et des coûts. Si le télétravail devient la norme, les grandes perdantes pourraient être les femmes, revenant les premières à la maison. Le travail à distance implique une redéfinition de notre petit éco-système familial : et à partir de trois jours par semaine, c’est un grand basculement, à la fois côté entreprise, et côté domicile.
Quels sont les premiers effets de cette situation de télétravail quasi-généralisée ?
Le télétravail génère une obligation de résultat, avec moins de contrôle… un séisme organisationnel dans nombre d’entreprises. Mais qui pourraient aussi demain délocaliser à l’étranger, ou externaliser certains postes : moins de salariés, plus d’auto-entrepreneurs.
Une autre question se pose, celle de la guerre des temps. L’hyper-connexion est mortifère pour tout le monde, entreprise comme famille. Il faut donc veiller à la déconnexion et au respect de l’amplitude maximum de travail (13h par jour), tout en favorisant la liberté dans l’organisation personnelle : une connexion librement choisie.
Avec l’élargissement du nombre de télétravailleurs et du nombre de jours télétravaillés, une guerre des coûts s’engage également : notamment autour de la prise en charge des frais de location, de chauffage ou de climatisation si le collaborateur n’a pas de bureau en entreprise.
Quoi qu’il arrive, la gestion au fil de l’eau de quelques télétravailleurs en forfait-jours, c’est fini : il faut établir des règles collectives.