Si l’origine de la compliance est bien anglo-saxonne, cela ne veut pas pour autant dire qu’elle soit née d’une singularité du droit américain ou d’une culture managériale qui serait différente de nos pratiques européennes ou latines. Il faut plutôt chercher son essor dans les raisons qui ont poussé certains secteurs à promouvoir en priorité au sein de leur organisation la mise en place de ces politiques de compliance, comme les industries de l’énergie, les laboratoires pharmaceutiques et bien sûr les banques, les assurances et par extension les marchés financiers. Eviter qu’un accident industriel comme celui d’Union Carbide en 1984 ne se reproduise, prévenir des scandales médicaux comme le VIOXX aux Etats-Unis ou plus récemment le Mediator en France, sauvegarder la pérennité des marchés financiers face aux délits d’initiés et aux pratiques frauduleuses, qui, en 2008 rappelons-le, ont ébranlé l’ensemble de l’économie mondiale en malmenant son bien le plus précieux, la confiance.
La compliance ne se traduit pas en français par conformité car cela serait réducteur. Il ne s’agit pas simplement de respecter le droit et la réglementation qui s’appliquent aux entreprises mais plus encore de s’assurer que l’entreprise ait mis en place tous les moyens pour éviter toute effraction qui serait justement susceptible de créer un préjudice conséquent entraînant responsabilités juridiques, pénalités financières et détérioration de l’image de marque de l’entreprise. Le législateur ne se contentera pas de constater l’effraction mais il cherchera à vérifier si l’organisation a bien mis en œuvre toutes les mesures nécessaires pour éviter qu’une de ses filiales ou un quelconque de ses collaborateurs ne puissent commettre ces effractions. La compliance est à ce titre un outil obligatoire et nécessaire pour prévenir des risques bien réels, en particulier dans des industries où historiquement la mauvaise gestion de ces risques ont malheureusement engendré des dommages sociétaux concrets et parfois dramatiques. La contester sous couvert d’exception culturelle n’a donc aucun sens.
Une éthique forte
Pour autant, il faut faire attention que les politiques de compliance ne dénaturent pas les principes tout aussi importants d’éthique et de responsabilité qui guident nos décisions en tant que cadres et dirigeants. Il est établi que la compliance sera plus facile à mettre en place au sein d’organisations dont les collaborateurs sont dotés d’une éthique forte. Promouvoir un comportement éthique au sein de nos équipes est évidemment salutaire. Il ne faut pas néanmoins confondre un code de bonnes conduites avec un code éthique. Si les entreprises peuvent mettre en place des codes de bonnes conduites dans le cadre de leurs politiques de compliance, elles ne peuvent pas pour autant décider à la place de leurs collaborateurs de ce qui est éthique ou ne l’est pas, sauf à se prendre elles-mêmes pour le législateur ou pour une autorité morale ou religieuse, ce qu’elles ne sont pas dans les deux cas. Si par abus de langage, on parle de l’éthique de l’entreprise ou d’une marque, il est bon de rappeler que l’éthique s’exerce par un sujet doté de liberté, non par une personne morale ou par un logo.
Il n’en reste pas moins que la personnification d’une entreprise morale dans l’incarnation de ses dirigeants et de ses collaborateurs comme dans sa marque est une réalité qui s’impose à tous. Nous ne sommes plus alors dans la seule gestion des risques de la compliance mais plutôt dans la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), dans ses valeurs, ses finalités et dans son image auprès de ses clients et de ses collaborateurs actuels et futurs (la fameuse marque employeur). Si nous laissons cette marque être guidée par les seules politiques de compliance, nous avons le double risque de la fadeur d’un politiquement correct qui ne dit plus rien et plus encore d’être soumis à la manipulation perverse des réseaux sociaux. Il est de plus en plus dangereux de laisser son image et sa réputation être jugées au seul prisme de sa compliance tant celle-ci sera soumise aux différentes opinions des réseaux sociaux qui sont tout sauf homogènes dans leurs jugements. On assiste au contraire à une fragmentation de plus en plus antagoniste et inquiétante des dits réseaux.
L’innovation naît de la transgression des règles établies
Il est important de laisser la diversité s’exprimer au sein de nos entreprises. Si la gestion des risques et la nécessité de la compliance ne se discutent pas (les codes de bonnes conduites ne seront jamais à la carte…), la liberté de penser de nos collaborateurs non plus. Il va sans dire qu’une dérive de la compliance vers une police morale des comportements ou une dictature du politiquement correct est bien un dévoiement de sa mission initiale de prévention des risques. Il faut faire attention que les glissements sémantiques ne transforment pas l’éthique en principes de conformité de type qualité ISO 9001.
Un autre risque serait de pervertir le principe même de responsabilité en transformant faillibilité, propre à toute décision managériale, en faute en cas d’échec. Cet amalgame est courant dans les organisations où les risques de mauvaises décisions entraînent des conséquences importantes (transport de personnes, industrie chimique, santé publique…). Sont mis en place alors des process dont le strict respect garantira la sécurité de tous. Toute transgression du process est considérée à juste titre comme une faute. Si ces process de sécurisation sont nécessaires, ils ne peuvent pas s’appliquer à toutes les activités managériales en particulier quand l’innovation naît justement de la transgression des règles établies. Il est probable que les administrations publiques qui sont souvent soumises à des process plus normatifs que les entreprises privées soient ainsi plus enclines à être paralysées par cette confusion entre faillibilité et faute. Le mantra du dirigeant devient alors de faire comme il faut et non plus ce qu’il faut pour créer de la valeur, ce qui est particulièrement préjudiciable à une époque d’innovations et d’expérimentations.