La majorité des dirigeants aspirent à bien faire. Ils ont de bonnes intentions à l’égard de leur entreprise et des équipes qui la constitue. Alors, pourquoi finissent-ils par se sentir si seuls ?
Surcharge de travail
Tout d’abord, les dirigeants travaillent davantage que les autres. D’après Eurostat, ils passeraient 52 heures en moyenne par semaine (soit plus de 10 heures par jour du lundi au vendredi) au travail, contre 35,8 heures pour le reste des actifs. Ils sont également plus nombreux à travailler le week-end : 62 %, contre 27 % pour les salariés. Conséquence ? « Cette surcharge de travail les prive de moments en famille ou festifs avec des amis. Le travail atrophie leur vie sociale. Ce qui exacerbe leur sentiment d’isolement. Pourtant, lorsqu’on ne va pas bien, il faut faire autre chose, en parler autour de soi. Cela permet de relativiser ce qui est en train d’arriver. Le soutien social est très protecteur », affirme Olivier Torres.
En d’autres termes, il est indispensable de mettre en place des stratégies de récupération en se détachant momentanément de son activité professionnelle. « Le plus difficile pour les dirigeants, c’est d’arrêter de penser à leur travail, car ils ont un rapport existentiel à leur activité, développe l’expert en santé mentale. S’ils ont créé leur propre entreprise, c’est encore plus fort. Ils pensent que c’est en faisant ce qu’ils font qu’ils deviennent ce qu’ils sont. Cette appropriation psychologique peut conduire à un vrai deuil, voire au suicide dans les cas les plus dramatiques, en cas de difficultés ou d’échec du projet. »
Outre l’entourage proche, il est aussi « très efficace de se retrouver régulièrement entre pairs, car ce que vivent certains dirigeants, d’autres l’ont vécu avant eux. Ils peuvent alors partager leurs expériences, se donner des conseils pour dépasser les inquiétudes, les crises qu’ils traversent », poursuit le professeur.
Poids des responsabilités
Dans un second temps, c’est le dirigeant qui prend les décisions stratégiques et qui doit en assumer les conséquences. « C’est pesant, car, selon André Malraux, un homme est la somme de ses actes. Les dirigeants doivent donc vivre avec les décisions qu’ils prennent et les répercussions qu’elles ont sur l’entreprise, sur la carrière et la vie personnelle des individus. Certaines situations conflictuelles les exposent davantage sur le plan émotionnel », explique Olivier Torres. En effet, « ces décisions peuvent mettre à mal un collectif qui n’a pas participé à ces décisions. Cela suscite de l’aversion de la part des équipes à l’égard de leur responsable », complète Steven Poinot, directeur général à Cahra.
Dans les grandes entreprises, il y a une « polarisation des décisions », ajoute-t-il. En revanche, dans les plus petites structures, la proximité entre le dirigeant et ses équipes est plus importante. En cas de décision difficile, comme un licenciement, « le face-à-face est plus coûteux, fâcheux. Nous parlons beaucoup du traumatisme du licencié, mais peu du traumatisme du licencieur. Cela génère souvent beaucoup de culpabilité chez le dirigeant. C’est un crève-cœur de se séparer d’un collaborateur », indique le professeur.
De plus, les décisions les plus difficiles se prennent lors de ralentissements économiques, donc « les décisions sont prises rapidement. Cette rapidité entraîne une grande violence pour celui qui la subit », regrette le patron du cabinet en management de transition. Ces lourdes responsabilités contribuent ainsi à accroître l’isolement des dirigeants, car « ce sont des décisions qu’ils ne peuvent, bien évidemment, pas partager avec le reste de l’équipe », appuie le professeur-chercheur.
Technostress
Enfin, bien souvent, les dirigeants sont ultra-connectés : « Ils ont un usage intensif des outils digitaux à des fins professionnelles, y compris le soir et pendant leurs vacances. Ces sollicitations constantes sont de grands facteurs pathogènes. Ils entraînent de l’anxiété qui les fragilise », déplore Olivier Torres. Dans l’étude de Square et Ipsos, 88 % des dirigeants indiquent, en effet, être stressés. « Heureusement une fois identifiés, et bien entourés, les patrons peuvent y remédier », positive le spécialiste en santé mentale.
*Cette étude a été réalisée auprès d’un échantillon de 600 auto-entrepreneurs et gestionnaires d’entreprises de moins de 250 salariés âgés de 18-65 ans. Cet échantillon a été constitué selon la méthode des quotas, au regard des critères de sexe, d’âge et de région. Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne via la plateforme Ipsos Digital du 6 au 9 mars 2024.