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“L’APC n’est viable que dans une entreprise où le dialogue social est très équilibré”

Afin d’éviter les licenciements, des entreprises envisagent de signer un accord de performance collectif, qui permet de modifier les salaires, la mobilité ou le temps de travail. Pour Pascal Lokiec, professeur de droit social, et Laurent Termignon, directeur Talent & Rewards chez Willis Towers Watson, ce dispositif est à manier avec prudence ; sur le plan juridique et social.

Plusieurs entreprises, comme L’Équipe et Derichebourg Aeronautics, envisagent de signer un accord de performance collective. L’APC stipule ainsi qu’un employeur, en accord avec les syndicats, peut aménager le temps de travail, la mobilité des salariés, ou leur niveau de rémunération, dans l’objectif de “préserver” des emplois. En cas de refus, le salarié est licencié. Que penser d’un tel dispositif ? Pascal Lokiec, professeur de droit social à la Sorbonne, et Laurent Termignon, directeur Talent & Rewards chez Willis Towers Watson, nous livrent leur analyse juridique et RH.

 

Pensez-vous que ces APC sont une bonne alternative aux plans sociaux ?

 

Pascal Lokiec : En soi, l’APC n’a rien de négatif. Sa philosophie est plutôt vertueuse, puisque cela consiste à sauver des emplois, en échange d’une flexibilisation temporaire des conditions de travail. Mais le problème tient dans le fait que ce système fait reposer absolument tout sur l’équilibre des négociations dans l’entreprise. Il y a ainsi de vrais risques de voir des entreprises signer des accords déséquilibrés. Sur le principe, je n’ai donc rien à reprocher à ce dispositif, mais tel qu’il a été élaboré par les ordonnances de 2017, il est trop léger pour garantir un équilibre du dialogue social.

 

Laurent Termignon : Pour un dirigeant ou un DRH, ce type d’accord est un très bon outil, parmi d’autres, pour protéger les emplois à court terme. Cela dit, ses conséquences peuvent être lourdes, sur le plan social, mais aussi en matière d’engagement des collaborateurs. Même si cet accord doit être majoritaire, il n’en reste pas moins qu’à l’arrivée, chaque collaborateur doit se prononcer sur les mesures qui seront mises en place. S’il n’y a pas un accompagnement solide du côté du management, certains salariés peuvent très bien refuser l’APC, et se faire licencier. L’employeur encourt ainsi le risque de voir ses meilleurs éléments quitter l’entreprise.

 

Comment éviter que la signature d’un APC ne dégrade le climat social et se déroule dans de mauvaises conditions ?

 

PL : Pour sauver réellement des emplois et être équitable, l’accord doit être équilibré. Il doit d’abord y avoir un engagement de maintien de l’emploi de la part de l’entreprise, sur une durée fixée par l’accord. Ensuite, il faut une clause de retour à meilleure fortune ; c’est-à-dire le fait que si l’organisation se porte mieux, on remet les compteurs à zéro. Enfin, l’accord doit prévoir des efforts proportionnés des actionnaires et des dirigeants, par rapport à ce qui est imposé aux salariés.

L’enjeu posé par l’APC en matière de droit des relations individuelles de travail est considérable. Si un APC est conclu, le salarié qui refuse peut facilement être licencié. D’une part, parce qu’il ne peut pas faire contrôler le motif par le juge. D’autre part, parce que le droit du licenciement pour motif économique, qui protège les salariés en obligeant notamment à mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi, ne s’applique pas ici. Ce dispositif doit donc être manié avec une extrême prudence. Dès lors qu’il existe peu de garde-fous dans la loi, ce type d’accord n’est viable que dans une entreprise où le dialogue social est très équilibré.

 

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LT : Pour qu’un tel accord fonctionne, plusieurs facteurs doivent être réunis. D’abord, une bonne communication de l’employeur sur l’état de l’entreprise : si l’ensemble des salariés ont bien compris que leur organisation est dans une situation difficile, mais que cela pourra s’améliorer par la suite, les choses peuvent avancer. Ensuite, un bon climat social. Les partenaires sociaux doivent être embarqués dans de vraies discussions, afin d’éviter les blocages. Enfin, le top management doit montrer l’exemple : il doit être irréprochable et consentir à faire lui aussi un effort.

Ce type d’accord doit également être limité dans le temps ; au delà de quelques semaines ou mois, il serait extrêmement difficile de continuer à mobiliser les salariés. Les managers et les RH devront, enfin, être constamment à la disposition de leurs équipes pour répondre à leurs questions, les informer et les rassurer si besoin.

 

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Le gouvernement devrait-il revoir sa copie et renforcer le cadre légal de l’APC ?

 

PL : En France, contrairement à l’Allemagne où le modèle de co-gestion existe depuis 1970 dans les entreprises, nous n’avons pas mis en place les conditions permettant de garantir un dialogue social équilibré. Au niveau des instances de direction, notamment des conseils d’administration, il devrait y avoir une proportion beaucoup plus importante de représentants des salariés (au moins 30 %). Tant que nous n’aurons pas modifié la gouvernance des entreprises en les démocratisant davantage, un déséquilibre subsistera. Et les négociations d’entreprises dans le cadre d’un APC risqueront toujours de ne pas être équitables ; surtout dans cette période de crise. Les travailleurs devraient avoir leur mot à dire, dans les décisions économiques, en amont comme en aval.

 

 

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