Carrière

Lanceurs d’alerte : jouer son rôle de citoyen en se protégeant

Difficile de s’y retrouver parmi les différents textes qui encadrent le statut de lanceur d’alerte. Dans tous les cas, il est conseillé de prendre toutes les précautions nécessaires, notamment en gardant des preuves. Puis, d’être psychologiquement fort, car en cas de conflit, vous pourrez être amené à passer par la case licenciement.

L’expression “lanceur d’alerte” est définitivement entrée dans le langage courant ces dernières années. Avec notamment l’affaire Snowden aux États-Unis, du nom de l’informaticien qui a révélé les écoutes massives de la National Security Agency (NSA). En France, on peut citer le scandale du Médiator, le médicament dont la dangerosité a été rendue publique grâce aux efforts de la pneumologue Irène Frachon. Le législateur a donc dû légiférer sur ce statut. Pourtant, il est difficile de s’y retrouver, les articles étant disséminés dans différentes lois. “Il n’y a pas encore d’unité”, explique Frédéric Chhum, avocat. “Il y a encore beaucoup de progrès à faire”, appuie de son côté Sylvie Le Damany, avocate au sein du cabinet Fidal, associée et responsable du pôle gouvernance des entreprises et préventions des risques juridiques et éthiques. Ainsi, si vous vous retrouvez dans une telle situation, il n’est pas facile de savoir quels sont vos droits.

 

Dénoncer oui, mais pas forcément auprès du grand public

On peut citer plusieurs textes qui encadrent cette pratique dans des domaines bien précis. Celui d’avril 2013 a instauré un droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement pouvant être exercé par un salarié ou un membre du CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail). Ainsi un article du code du Travail énonce que “le travailleur alerte immédiatement l’employeur s’il estime, de bonne foi, que les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement font peser un risque grave sur la santé publique ou l’environnement”. De plus, une loi d’octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique prévoit une protection générale pour les lanceurs d’alerte relatant ou témoignant de l’existence de conflits d’intérêts. Puis, comme le rappelle Frédéric Chhum, il existe “la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière qui va plus loin car elle instaure une protection pour les salariés lanceurs d’alerte”. Plus récemment, la loi sur le renseignement, permet au sein de ses services, à un lanceur d’alerte de pouvoir dénoncer, uniquement auprès de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, l’utilisation de procédés illégaux.
Enfin, notez qu’un article du code du Travail dispose que “aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, […] de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions”. Ainsi dans ce contexte, “toute mesure prise à l’encontre du lanceur d’alerte sera nulle”, précise Frédéric Chhum.

 

Le licenciement, une triste réalité

Peut-on donc dire que les lanceurs d’alerte sont bien protégés en France ? C’est plus compliqué que cela. “Le problème avec la nullité, c’est que si un salarié a été licencié dans ces circonstances, même s’il peut être réintégré, il n’a pas, forcément envie de revenir”, explique Frédéric Chhum. Bien sûr, rien ne l’empêche de demander les dommages auxquels il a droit, mais il faut être conscient de la réalité. La probabilité de perdre son emploi est réelle. “Si le lanceur d’alerte est licencié en représailles, le mal est fait. Il sera peut-être indemnisé mais le procès sera probablement long. Il faut donc se préparer à passer une période difficile, illustre Sylvie Le Damany. Afin de se protéger dès le début et d’éviter ce cas de figure, Frédéric Chhum a un conseil. “Le lanceur d’alerte doit saisir tout de suite un juge au conseil des Prud’hommes”. Ce qui peut vous permettre d’être protégé dès le début sans que la décision de vous réintégrer ne soit prise de façon rétroactive.

 

À l’entreprise de prouver la mauvaise foi

Sachez que lorsque vous êtes en conflit avec votre employeur à propos des faits que vous dénoncez, c’est à lui de prouver que vous avez tort. Mais, il vous est conseillé d’effectuer vos démarches de façon très précautionneuse. “Le mieux est d’alerter directement le représentant légal de la société, par exemple le directeur général, via une lettre recommandée. Vous pouvez aussi vous rapprocher des délégués du personnel qui, dans le cadre de leurs fonctions, ont la possibilité de poser directement des questions à l’employeur ou encore au CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ndlr)”, recommande par exemple Frédéric Chhum. Ensuite, pour vous protéger, gardez le maximum de preuves (documents, etc.) des éléments que vous dénoncez. En ce qui concerne le recours à la presse, Sylvie Le Damany recommande “de faire attention”, même si elle admet “qu’il faut parfois en arriver là pour faire sortir des choses”. Si l’affaire prend de l’ampleur, il est conseillé de se rapprocher d’un conseil comme un avocat. Attention, lancer une alerte peut se retourner contre vous si l’entreprise arrive à prouver que vos déclarations reposent sur de la mauvaise foi, avec l’intention de nuire ou avec la connaissance au moins partielle de l’inexactitude des faits rendus publics. Dans ce cas de figure, le salarié peut être condamné à cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. En revanche, le fait de se tromper si l’intention de nuire n’est pas prouvée ne suffit pas à condamner un lanceur d’alerte comme le résume l’avocate du cabinet Fidal. “La mauvaise foi ne peut pas résulter de la seule circonstance que les faits ne sont pas établis”.

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