L’avenir tant redouté est déjà un peu notre passé et, en écho au mal être ambiant, les concepteurs de l’hyper productivisme de la Silicon Valley nous invente, pour justifier “le monde idéal de demain”, le bonheur au travail : dog friendly, family friendly (…) tout y passe pour donner le sentiment du bonheur en vous scotchant à votre bureau. Par Didier Pitelet, président de l’agence Onthemoon.
Ma vie intérieure devient ma vie à l’intérieur ! Un comble !
Ce constat est peut-être une opportunité : face à la manipulation des concepts, l’individu et l’entreprise ont le choix de l’honnêteté.
Le bonheur est un engagement exclusivement personnel et intime ; du domaine de la croyance, du spirituel, du sens, il appartient à chacun. L’entreprise est là, de manière triviale pour être rentable, le reste est souvent source de grands principes rarement suivis de fait.
Mais pour autant l’entreprise étant l’un des principaux lieux de socialisation, elle peut, elle doit contribuer au bonheur non pas en lui imposant sa vision du bonheur et sa boîte à outils labellisée “chief happiness officer ” mais en permettant aux personnes de choisir leur bonheur.
Dans un monde devenu totalement fluide, les organisations s’apparentent souvent à de l’énergie fossile, à un monde solide, héritage de la révolution industrielle alors que l’intangible et par conséquent nos relations évoluent dans un apprentissage permanent.
Le bonheur d’être soi, car il s’agit bien de cela, être soi et non pas le clone d’un système ou d’une mode, impose de considérer l’humain dans son ensemble et non plus comme une compétence acquise mais bien comme un potentiel apprenant permanent.
Les dinosaures de demain
Kevin Kelly, l’un des fondateurs de Wired et auteur de “The Inevitable”, fait le parallèle avec le monde numérique : “ce qui est évident, c’est qu’il nous faut toujours réapprendre. Vous devenez un pro des ordinateurs puis les téléphones portables arrivent et vous vous sentez comme un débutant. Il vous faut apprendre de nouveaux réflexes, de nouveaux savoir-faire, de nouveaux gestes. Vous commencez à vous sentir doué et cinq ans plus tard arrive la réalité virtuelle et il faut tout recommencer. Attendons-nous à le revivre encore et encore. L’école ne devrait pas tant enseigner des techniques aux enfants mais leur apprendre à apprendre. Ne pas leur enseigner une langue précise mais comment apprendre une langue par eux-même. Toute compétence acquise devra être désapprise au profit d’une autre” (We demain N°19).
La clé du bonheur en entreprise est bien là : apprendre à apprendre en donnant les clés de choix qui appartiennent à chacun.
La clé du bonheur ne relève ni d’une incantation encore moins d’une instrumentalisation mais bien d’une volonté de libérer l’individu de lui-même !
Les organisations confinent, enferment, mettent dans des cases pour décréter un jour : obsolète, ringard, au placard, au mieux à recycler !
Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à regarder avec lucidité et objectivité les politiques de recrutement pratiquement toujours fondées sur la chasse aux compétences au détriment du potentiel apprenant. Ou encore la composition des comités exécutifs : pour la plupart, ils incarnent une association d’experts cloisonnés dans leurs domaines d’expertises et de pouvoirs sans aucune notion de vie transversale et de fluidité. Les silos génèrent les dinosaures de demain, mais personnes n’osent le dire.
Un apprentissage permanent
L’entreprise responsable est bien celle qui associe performance économique et sociale en rompant le lien dominant dominé avec ses équipes au profit d’une symétrie des attentions réelle entre toutes ses parties prenantes, internes et externes. C’est celle qui est capable de créer les conditions de la désirabilité du bonheur à l’aune de la vie de chacun.
L’équilibre professionnel/ personnel n’ayant plus de sens au profit d’une vie ouverte et là aussi fluide qui fait de la vie en entreprise un art nouveau de création de mouvement de vie.
La mise en mouvement des vies est le sens même de la relation professionnelle de demain, le deal gagnant/ gagnant. Encore faut-il que les organisations comme les individus acceptent l’imprévu et fassent leur apprentissage de ces imprévus par un apprentissage permanent.
Le bonheur c’est la liberté de vivre pleinement. L’entreprise n’est qu’un outil de cette quête, ce qui est déjà énorme à assumer.
Demain, dans 50/ 100ans, l’intelligence artificielle cohabitera avec celle de 10 milliards d’humains qui seront connectés sur les réseaux qui auront remplacé les Facebook ou autre LinkedIn et donnera lieu à une authentique culture planétaire qui n’aura rien à voir avec la mondialisation.
La collaboration à l’échelle planétaire qui a déjà commencé rend déjà obsolètes les vieux mécanismes de savoirs, de pouvoirs, de politiques tout en valorisant, peut-on l’espérer, une vision plus équilibrée du monde.
Entre ce futur qui existe déjà qui apportera son lot d’espoirs et de désillusions et le monde d’aujourd’hui, il y a un chemin à s’inventer pour éviter de sombrer dans la schizophrénie et le rejet des différences. L’entreprise apprenante et responsabilisante est une des voix à suivre. Et si le bonheur est de l’aventure tant mieux mais ça c’est à chacun d’en être acteur.
La génération Z ne s’y trompe pas, même si ses aînés doivent lui apprendre à ne pas confondre vitesse et précipitation en entreprise. Mais ça c’est un autre sujet.