Le télétravail illimité est-il l’avenir ? Ou vaut-il mieux juste le proposer “à la carte” ? En France, la crise du Covid-19 a provoqué une généralisation forcée du travail à distance. Mais maintenant que le déconfinement est en cours, le devenir du “teleworking” se pose. L’analyse de Mathilde Le Coz, directrice des Talents et Innovation RH chez Mazars, qui compte en faire la norme.
Alors que l’heure est à la reprise et que le gouvernement incite les entreprises à le privilégier, certaines organisations prévoient de faire du “teleworking” la norme. Aux USA, Twitter donnera la possibilité à ses employés d’accomplir leur travail de chez eux de façon permanente, même après le Covid-19. En France, le groupe PSA compte permettre à ses salariés “non reliés directement à la production” de passer en quasi-temps-plein en télétravail. Pour autant, un fonctionnement en 100 % “remote” (illimité) est-il souhaitable ? Mathilde Le Coz, directrice des Talents et Innovation RH chez Mazars France, une organisation d’audit et de conseil qui prévoit aussi de développer considérablement le télétravail, nous apporte son éclairage.
Le confinement a-t-il transformé le regard de votre entreprise à propos du télétravail ?
Nous avions déjà mis en place le travail à distance chez Mazars depuis plus de 5 ans, dans le cadre d’un accord d’entreprise qui encourageait nos collaborateurs à travailler 1 ou 2 jours par semaine de chez eux. Avec le confinement, nous sommes passés en 100 % télétravail. Cette période nous a permis de convaincre avec succès les derniers réfractaires, car nous avons pu observer que ce système fonctionnait très bien. Il s’agissait d’une confirmation.
Le confinement nous a fait prendre conscience que de nombreux projets et travaux pouvaient être menés à distance, avec une productivité tout aussi grande. Mais en même temps, nous avons constaté que le 100 % remote était un concept risqué.
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Quelles sont selon vous les limites du 100 % télétravail ?
Pendant deux mois, nos salariés ont globalement souffert d’un manque de sociabilisation. Cette période difficile a permis de mettre en lumière la raison pour laquelle nous nous rendons au bureau : pas pour travailler, mais pour rencontrer d’autres personnes. Des relations informelles se créent au bureau, qui sont très difficiles à remplacer en virtuel. Même si le télétravail généralisé s’est très bien déroulé chez nous pendant le confinement, je constate que nos collaborateurs n’ont qu’une hâte : revenir au bureau pour voir les autres.
Attention, donc : le 100 % remote, présenté en passant comme un bon moyen de faire des économies, est loin d’être la panacée. Car sans rencontres sur site, le risque est de perdre en sens et en engagement. Il reste important de faire en sorte que chaque salarié se sente membre d’une famille. Les webinaires et les visioconférences se sont révélés efficaces pour entretenir la cohésion. Mais cela ne peut pas remplacer le visu et tout ce côté informel qui consiste à capter des informations devant la machine à café ou dans un couloir.
Chez Mazars, la première cause de mal-être chez les collaborateurs était de ne pas voir leurs collègues. Ils avaient pourtant 10 à 15 “visios” et “conf calls” par jour. Suite au confinement, nous souhaitons donc développer considérablement l’importance du télétravail, mais tout en gardant une part de rencontres physiques.
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Connaissez-vous malgré tout, chez Mazars, un changement de paradigme ?
Le paradigme a changé totalement, oui. Personne, ni les collaborateurs, ni les RH, ne souhaitent mettre en place chez Mazars un 100 % remote, et revivre ce qui s’est passé entre mars et mai 2020. Mais d’ici peu, la part de télétravail devrait devenir la plus importante pour nombre de nos salariés ; selon leur métier. Nous sommes passés d’un questionnement sur l’intérêt de télétravailler 2 ou 3 jours par semaine, à une réflexion sur la façon dont nous pourrions faire en sorte qu’un minimum de temps se passe dans les locaux. Le télétravail pourrait couvrir entre 3 et 4 jours par semaine.
Demain, nous ne réfléchirons plus à une répartition du temps en télétravail et au bureau. À la place, nous allons re-questionner les tâches pour lesquelles il est nécessaire de se rendre sur site, et celles qui peuvent être menées chez soi ou en co-working.
La sociabilisation, les relations humaines et la transmission (formations) resteront l’apanage du bureau. De même que la créativité. Je crois beaucoup en l’intelligence collective, et même si les outils numériques permettent de réfléchir ensemble, le processus est beaucoup plus long. Je comprend très bien qu’IBM, pionnier du “télétravail massif”, ait pu décider en 2017 de faire revenir ses employés sur site, jugeant que le travail à distance nuisait à l’innovation.
Nous laisserons carte blanche à nos collaborateurs. Ce que nous avons vécu lors du confinement nous a montré que nous pouvions avoir confiance en eux : les tâches ont été réalisées et les salariés étaient très engagés. Le choix sera désormais totalement libre. Ceux qui désirent faire plus de télétravail et ne venir qu’une journée par semaine sur site le pourront. Nous laisserons chacun venir ou non s’il le souhaite au bureau. Il s’agira juste d’une question de confiance et de responsabilisation. Mais un minimum de sociabilisation au bureau restera attendu, afin de faire corps.
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Cette généralisation du télétravail signifie-t-elle aussi une nouvelle culture managériale ?
Le télétravail maximal et à la carte signifiera la fin de la culture managériale du contrôle, encore prégnante dans les entreprises françaises. Chez Mazars, nous pratiquerons un management de la confiance, de l’autonomie. Les managers devront accepter de ne plus savoir où se trouvent leurs collaborateurs, et insister sur les missions à réaliser. Fini, le présentéisme et le regard de l’autre, place à l’empathie et au lâcher prise, pourvu que les résultats soient là.
En conséquence, nous devrons former d’autant plus nos collaborateurs, en particulier les cadres, sur la façon de gérer des tâches, de manager et d’animer des réunions à distance.