Par Nicolas Sidier, avocat associé, et Pierre Détrie, avocat à la cour, Péchenard & Associés. Retour sur un arrêt de la Cour de cassation de juillet peu commenté pour le moment (l’arrêt ne sera toutefois pas publié au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation).
Par un arrêt du 5 juillet 2016 (Cass. Com., n°14-23.904), la chambre commerciale a rejeté le pourvoi de l’ancien dirigeant d’Europcar, Philippe Guillemot, contre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles qui avait confirmé sa révocation de ses fonctions de directeur général pour faute grave et, par suite, l’absence d’indemnité contractuelle de révocation.
Philippe Guillemot était lié à la société Europcar, dont l’actionnaire principal est Eurazeo, par un contrat de mandat conclu le 31 mars 2010 fixant une indemnité de révocation mais précisant que celle-ci ne serait pas due en cas de révocation pour faute grave, la faute grave s’entendant, selon une formule classique, au sens retenu par la jurisprudence sociale.
En 2012, la société révoquait son directeur général car elle lui reprochait :
– d’avoir, lors de réunions avec des cadres du groupe, tenu des propos exprimant des doutes profonds sur les perspectives du groupe et sur la viabilité de son modèle économique ;
– de tenter de créer un antagonisme entre la société et son actionnaire majoritaire en communicant directement avec des investisseurs potentiels et en dissimulant des informations, mettant ainsi potentiellement en péril le plan de refinancement de la société.
Servir les intérêts de la société
Le dirigeant révoqué assignait la société en paiement de son indemnité de révocation et le Tribunal de commerce de Versailles lui donnait raison, à la différence de la cour d’appel qui a considéré que les actes reprochés constituaient des actes déloyaux contraires à l’intérêt de la société et de l’actionnaire ainsi qu’aux stipulations de la convention de mandat. Celle-ci stipulait en effet que le dirigeant devait faire tout son possible afin de promouvoir et développer l’activité de la société en exerçant ses fonctions avec discernement, attention et loyauté et en veillant à servir les intérêts de la société et du groupe Europcar.
Le pourvoi du dirigeant est rejeté et la Cour de cassation approuve la cour d’appel qui a pu déduire que le comportement du dirigeant rendait impossible son maintien dans ses fonctions.
L’originalité de cette jurisprudence tient au fait que les agissements du dirigeant étaient à la fois contraire aux intérêts de la société mais également de son actionnaire. Comme le fait observer le Professeur Dondero (1), l’histoire ne dit pas si un comportement déloyal envers l’actionnaire seul aurait conduit à une solution identique.
C’est également une extension notable du domaine du devoir de loyauté du dirigeant qui, à l’origine, est une création entièrement prétorienne limitée au domaine des cessions d’actions ou de titres dans lesquelles étaient impliqués directement ou indirectement des dirigeants. La Cour de cassation avait déjà ouvert la voie d’une telle expansion en 2012 (Cass. com., 18 décembre 2012) en retenant la déloyauté du dirigeant d’une société de médecins qui avait, à titre personnel et par sociétés interposées, acquis l’immeuble que le cabinet occupait et avait dissimulé cette acquisition à ses associés qui souhaitaient acquérir ledit immeuble.