Article d’octobre 2018, mis à jour le 10/7/20, suite au déconfinement post- Covid-19 et aux études qui montrent un regain d’intérêt des entreprises pour le flex-office.
Synonyme de liberté et de souplesse, le flex office se développe dans les entreprises. Surtout depuis la crise du Covid-19, puisque ce système permet de tendre vers le “clean desk”. Mais le “desk sharing” est loin de faire l’unanimité chez les salariés, qui supportent mal, notamment, la perte de leur “coin à eux”. Selon Delphine Minchella, chercheuse en science de gestion, ce mode d’organisation ne serait pas sans risques pour le bien-être des travailleurs.
Le flex office est en vogue dans les entreprises, désireuses de repenser leur organisation de travail et de réduire la surface d’occupation des bureaux. Axa, BNP Paribas, L’Oréal, PWC, Nokia, Deloitte : les exemples de sociétés ayant adopté ce mode d’organisation, qui consiste en l’absence de bureau attitré sur le lieu de travail, ne manquent pas. Après le déconfinement et face à la crise du Covid-19, les dirigeants des entreprises situées dans le quartier d’affaires de La Défense ont également commencé à mettre en œuvre un système de bureaux non attribués.
En juin 2020, BNP Paribas Real Estate a interrogé plus de 150 occupants de locaux professionnels pour savoir ce qu’étaient leurs intentions pour les mois à venir. Verdict : un sur deux a l’intention de réduire la surface d’occupation des bureaux. Ils sont aussi 40 % à envisager la résiliation de leur bail. L’une des solutions que privilégient les entreprises pour l’avenir est le flex office, ce système permettant de faire des économies, mais aussi d’instaurer un processus de “clean desk” en adéquation avec les règles sanitaires destinées à lutter contre le Covid-19.
À noter que selon une étude de Deskeo, 60 % des entreprises envisagent de passer au “sans bureau fixe” après la pandémie.
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Mais le bureau nomade n’est pas sans conséquences sur le bien-être des collaborateurs, si l’on en croit Delphine Minchella, enseignante-chercheuse en science de gestion à l’EM Normandie.
“Le flex office a des avantages pour l’entreprise, car combiné au ‘home office partiel’ (le télétravail, ndlr), il permet de limiter le nombre de bureaux, et donc de faire des économies d’espace. Pour les salariés, c’est aussi l’occasion de travailler de chez eux, afin de ne plus perdre de temps dans les transports. Mais le gros problème, c’est l’absence d’appropriation de l’espace par les salariés”, explique-t-elle.
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La fin des regroupements et des relations informelles ?
Avec le flex office, les salariés changent de poste chaque matin, et ne peuvent plus coller de photos de leurs enfants sur un mur ou un bureau à cloisons. “De nombreuses recherches montrent que le fait de pouvoir territorialiser l’espace de travail est très important dans le sentiment d’appartenance organisationnelle, et donc pour la motivation. Or, avec des bureaux dépersonnalisés, où l’on ne peut laisser ses effets personnels, c’est tout le contraire qui se produit”, souligne Delphine Minchella.
Le flex office consiste à revoir l’espace du travail, mais aussi son organisation, en faisant la part belle au télétravail, ainsi qu’au “mobile working” : grâce à une connexion à un poste virtuel, il est possible de travailler n’importe où dans l’entreprise, de chez soi, mais aussi dans un espace de co-working, selon ses besoins et ses contraintes.
“Mais cette nouvelle façon de travailler affecte naturellement la collaboration des salariés entre eux, ainsi que l’impression de faire partie de l’organisation. Dans une grande entreprise que j’ai visitée et qui a mis en place le flex office, de nombreux salariés m’ont expliqué que tout d’un coup, ils avaient eu la sensation d’être moins importants pour leur société – dans le sens où s’il fallait les licencier, il n’y aurait même pas besoin de les convoquer. Ainsi s’établit une distanciation du salarié avec l’organisation, et on sent que tout à coup, on est plus fragile, interchangeable”, note la chercheuse.
Les salariés changeant constamment de bureau, quid de l’esprit d’équipe ?
“Les recherches en sciences du travail le démontrent depuis les années 1970 : les relations informelles ont un grand impact sur la productivité, la motivation, mais aussi sur l’innovation organisationnelle. Or, en demandant à des gens de ne pas avoir une localisation claire dans l’espace organisationnel, vous brouillez les cartes et vous empêchez ceux qui travaillent souvent ensemble ou qui simplement s’apprécient, de se regrouper”, indique Delphine Minchella.
Et si un salarié commet l’erreur de venir tôt pour choisir chaque matin un ordinateur proche de celui d’un collègue, il est vite recadré par les DRH.
“Ainsi, l’on casse les possibilités de relations informelles, ce qui participe à l’instauration d’une distance entre les gens. Certaines personnes m’ont confié qu’elles avaient l’impression de venir travailler dans une bibliothèque universitaire : on vient, on réserve sa place, on travaille, et on rentre chez soi le soir”, déplore la spécialiste en management stratégique.
Le management face au flex-office
Vincent Berthelot, consultant auprès des entreprises et responsable de la veille stratégique à l’Observatoire des réseaux sociaux d’entreprise, a un avis diamétralement opposé. Il voit dans le flex office un système qui pallie les dysfonctionnements de l’open-space.
“Avec ce dernier mode d’organisation, le salarié éprouve de grandes difficultés à se concentrer. Et c’est aussi le retour à une forme de taylorisme : vous avez tout le monde sous le regard, et votre manager garde un œil sur vous, comme à l’époque des contremaîtres”, note l’expert RH. Avec le flex office, “c’est différent : on dispose les bureaux en îlots et plus forcément en rangs d’oignons, on propose des espaces de réunion, ainsi que des lieux où il est possible de s’isoler, ou de travailler de façon collaborative”.
Ce que perçoit avant tout Vincent Berthelot dans le flex office, c’est en fait “une plus grande liberté” pour le salarié, ainsi qu’une façon “plus agréable” de travailler, en toute autonomie : “plus personne ne le surveille ni ne l’épie, et il peut s’organiser comme il l’entend”, indique-t-il. Quant au risque de perdre l’esprit d’équipe en instituant des bureaux non attitrés, du télétravail et du nomadisme, ce serait au manager de jouer : “afin qu’il y ait une continuité dans le lien social, le management est primordial, et il doit clairement évoluer. Il doit entretenir les relations entre les collaborateurs, notamment en organisant des points de coordination récurrents, ainsi que des moments de partage, en équipe”.
Delphine Minchella, qui a signé en septembre 2018 une tribune cinglante sur le sujet dans la Harvard Business Review, reste sceptique : “le flex office ne signifie pas la fin de l’open space, car les plateaux de bureaux subsistent bien souvent. Puisqu’on décloisonne, il est presque impossible de s’isoler réellement. Et les ‘espaces conviviaux’ proposés ne font que compenser ce qui a été perdu, ce que les bureaux fixes permettaient jusqu’alors”. Pour la chercheuse en sciences de gestion, ce mode d’organisation peut en fait fonctionner, mais seulement dans de petites ou moyennes structures.
“Tout va bien quand on travaille dans une société à taille humaine, avec la possibilité de retrouver ses collègues, et des règles souples. Mais dès lors que l’on se trouve dans une grande entreprise, tout est plus rigide : on contrôle le salarié, et la fameuse journée de télétravail hebdomadaire est décidée avec son N+1 et le DRH, afin de rester la même toute l’année. Il n’y a finalement plus rien de ‘flex’ !”
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“Raisonner à l’échelle de l’équipe”
À l’heure actuelle, aucune étude n’existe sur le ressenti des collaborateurs vis-à-vis du flex office, et son impact sur leur bien-être au travail. Même si selon une étude d’Opinion Way, 68% des Français étaient contre le flex office fin 2018, Vincent Berthelot “prend le pari que l’expérience sera positive, en amenant à transformer le management et à donner des responsabilités et de l’autonomie aux salariés”.
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