Entreprise

Le retour de l'essence en entreprise : fantasme ou réalité ?

Si ce n’est pas encore une révolution, l’évolution est très nette : les motorisations essence ont à nouveau droit de cité dans les entreprises. L’impact du Dieselgate est passé par là, même si la fiscalité favorise encore très nettement le Diesel.

Cela n’a échappé à personne : l’année 2015 n’a pas été tendre pour le Diesel. L’actualité a en effet été dominée par l’affaire Volkswagen. Rappelons que le géant allemand a truqué le logiciel de ses moteurs pour diminuer artificiellement leurs émissions d’oxyde d’azote lors des tests d’homologation américains. Une tricherie aux conséquences catastrophiques pour le constructeur, contraint de rappeler 8,5 millions de véhicules en Europe et menacé de très lourdes amendes par la justice américaine. Plus généralement, le scandale a jeté une ombre de suspicion sur le gazole, à nouveau perçu comme polluant par une grande partie de l’opinion publique française. Une inquiétude largement relayée par la classe politique, qui, au moins dans les paroles, entend pousser ce carburant vers la sortie.

Les petites voitures en première ligne

L’événement a accéléré un mouvement de désaffection déjà bien entamé sur le marché des particuliers. En France, ces derniers achètent désormais en majorité des modèles essence, qui constituent deux tiers des ventes contre seulement un tiers deux ans auparavant. Une évolution qui a surpris les constructeurs et parfois allongé considérablement certains délais de livraison. Le temps pas si lointain où trouver un modèle essence en concession relevait du parcours du combattant est bel et bien révolu !
Au premier abord, ce retournement spectaculaire n’a pas encore eu lieu sur le marché des entreprises qui représente environ 50 % des voitures neuves écoulées dans notre pays. En 2015, le Gazole constituait encore près de 85 % des ventes société. Cependant, un déclic a bien eu lieu. Selon les chiffres de l’Observatoire du Véhicule d’Entreprise, les ventes de modèles essence ont en effet augmenté de 48,8 % en 2015 et constituaient 14,3 % du total contre 10,6 % en 2014. Et cela s’accélère. Hugues De Laage, responsable de Peugeot Professionnel témoigne : “Sur nos petits modèles, la tendance est de plus en plus marquée : alors que la 208 se vendait aux sociétés à 24 % en essence au troisième trimestre 2015, nous atteignons un chiffre de 34 % sur la première partie de l’année 2016”. 

Le Diesel toujours en position de force

Pourquoi ce mouvement est-il aussi mesuré ? D’abord pour d’évidentes raisons de coût à la pompe : en dépit des déclarations politiques tonitruantes, le Diesel reste largement avantagé. Malgré une augmentation de 3,5 centimes depuis le premier janvier 2016, le gazole reste environ moins cher de 20 centimes par litre par rapport au super 95. Et les entreprises profitent naturellement de sa TVA déductible à 80 % pour les véhicules particuliers et à 100 % sur les utilitaires alors qu’elle est intégralement due sur l’essence.
L’avantage comparatif des moteurs au gazole ne s’arrête pas là : ils continuent d’être plus économes en carburant. Car les consommations annoncées par les constructeurs sont certes irréalistes en ce qui concerne le Diesel, mais elles le sont tout autant pour les modèles essence. À puissance équivalente, l’écart se situe toujours entre 1,5 et 2 litres aux 100 km en usage réel. Une différence qui n’a rien d’anecdotique, même si le prix des carburants a beaucoup baissé en 2015.
Cette réalité pèse d’autant plus lourd que les véhicules roulent. “Les entreprises raisonnent en termes de coût total d’utilisation, poursuit Hugues De Laage. Plus les voitures sont destinées à abattre de gros kilométrages, plus elles sont choisies en Diesel. Ainsi, notre routière 508 ne réalise que 1 % de ses ventes en entreprise en version essence depuis le début de l’année 2016”. De fait, le palmarès des voitures essence les plus vendues en entreprise est sans appel : les dix premiers modèles sont tous des citadines. Il est vrai que cette catégorie ne fait plus la part belle au gazole. Les normes Euro 6, particulièrement sévères, ont poussé certains constructeurs à supprimer purement et simplement leur offre Diesel sur ce segment.
Les malheurs du Diesel profitent également aux hybrides, qui pour la plus grande partie d’entre eux roulent à l’essence. Leurs ventes en entreprise ont progressé de 63,1 % en 2015 et ils constituent désormais 2,53 % des immatriculations. Cédric Danière, directeur de Lexus France, dont 99,9 % des ventes sont réalisées par des modèles à double motorisation, se frotte les mains : “Les valeurs résiduelles de certains de nos véhicules ont enregistré des hausses de deux à trois points depuis le Dieselgate. Du coup les loyers et le coût total d’utilisation baissent de manière significative pour nos clients”. Les véhicules électriques, qui ont enregistré une progression notable en 2015, ont également le vent en poupe. Néanmoins, leur part dans le marché total reste très limitée.

Un avenir favorable à l’essence

Si l’augmentation des ventes de modèle essence reste mesurée, tout laisse à penser qu’elle va perdurer. Les raisons qui militent en faveur d’une telle évolution sont nombreuses, à commencer par une diminution du kilométrage annuel des entreprises. Le train, l’avion et les visio-conférences prennent peu à peu le terrain sur les longs trajets autoroutiers. Ces dernières années, le mouvement a été très sensible : Selon les chiffres du SNLVLD (syndicat des loueurs longue durée), en 2014 le kilométrage moyen s’établissait à 29 507 km par an et en 2015 à 27 795 km. Un changement d’habitude qui profite à l’essence particulièrement dans les grandes villes et la région parisienne. D’autant que le Diesel y a de moins en moins le droit de cité. La maire de Paris a ainsi clairement annoncé son intention de le bannir dans la capitale à l’horizon 2020, une mesure qui concerne d’autant plus les entreprises qu’elle s’appliquera pendant les heures ouvrées (de 7 heures à 20 heures en semaine).
La plus grande incitation au retour de l’essence sera toutefois fiscale. Le gouvernement semble en effet résolu à mettre fin à l’avantage du gazole et a inauguré cette année un rattrapage progressif de son prix à la pompe. À moins d’une nouvelle volte-face politique, il devrait augmenter tous les ans d’un centime par litre jusqu’en 2020 tandis que celui de l’essence prendra le chemin inverse.

Un enjeu clé : la récupération de la TVA sur l’essence

La mesure la plus attendue concerne la sacro-sainte récupération de la TVA sur le carburant. Il s’agit là de l’avis général d’un obstacle majeur à l’achat de véhicules essence par les entreprises. À la suite du scandale Volkswagen, les politiques ont été prompts à réagir. Les premières déclarations ont immédiatement suggéré de mettre fin à la déductibilité de la TVA sur le gazole. C’était oublier un peu vite la législation européenne qui l’inscrit dans le marbre dans une directive de 1979, toujours en vigueur en attendant une éventuelle harmonisation des législations en la matière.
L’Europe n’interdit pas en revanche de rendre déductible la TVA sur l’essence. Le député écologiste Denis Baupin l’a donc proposé dans un amendement lors de la première lecture de la Loi de Finances 2016. Finalement rejeté par le gouvernement dans le projet définitif, ce dispositif pourrait bien revenir sur la table dès l’année prochaine. En effet, les gestionnaires de flottes y sont favorables. L’Observatoire du Véhicule d’Entreprise et son président, Bernard Founiou, s’en sont fait les porte-paroles : “La situation actuelle conduit les décideurs d’entreprises à faire des arbitrages (en l’occurrence à choisir des véhicules automobiles pour leurs collaborateurs) sur des critères exclusivement fiscaux et non pas en fonction de  leurs usages réels. Permettre aux chefs d’entreprise de déduire progressivement (sur deux, trois, voire quatre ans) jusqu’à 80 % de la TVA sur leurs achats d’essence leur donnerait ainsi la possibilité de choisir librement leur énergie et leurs modèles”.
Le coût de la mesure pour l’État serait négligeable : la proportion d’essence consommée par les entreprises étant très limitée, le manque à gagner serait situé entre 15 et 20 millions d’euros, toujours d’après l’Observatoire, selon lequel le Diesel restera dans tous les cas dominant : “Pour les gros rouleurs qui réalisent plus de 20 000 km par an, il n’y aurait pas de changement en vue : le diesel resterait sans concurrent. Mais pour tous ceux qui parcourent moins de 20 000 km par an, le choix de véhicules essence pourrait alors, dans certains cas, s’imposer”. 
Ce n’est donc pas à un retournement du marché mais à un rééquilibrage auxquels les principaux acteurs s’attendent dans les années qui viennent. Il va dans le sens de la multiplication des technologies : à l’avenir, le gestionnaire de flottes devra faire un choix fin entre plusieurs types de motorisations, thermique, hybride, Diesel ou essence, chacune se montrant adaptée à un usage ou un kilométrage précis. L’époque du tout gazole a pris fin.

 

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