L’employeur a-t-il le droit de contraindre un salarié à retourner au bureau, quand le télétravail a fait ses preuves et que le salarié a peur pour sa santé ? Et si un collaborateur est à risque ? En l’absence d’un cadre plus précis, l’entreprise est actuellement juge et partie, ce qui pose problème, nous explique Timothé Lefebvre, avocat au barreau de Paris.
L’employeur peut-il exiger un retour au bureau de façon unilatérale, sans aucune limite, même quand le télétravail est possible ?
Le ministère a répondu à cette question dans un guide, début mai : l’employeur peut refuser le télétravail s’il estime que les conditions de reprise d’activité sur le lieu de travail sont conformes aux consignes sanitaires prévues dans le protocole national de déconfinement des entreprises.
Le questions / réponses du gouvernement précise que c’est à l’employeur, seul, d’apprécier cette conformité. Conséquence : le salarié n’a pas de moyen de contredire l’appréciation de l’employeur.
C’est donc l’entreprise qui estime, elle-même, d’autorité, que les consignes sanitaires sont respectées, sans, à ce stade, de contrôle par l’inspection du travail ou le médecin du travail. Ceci pose un gros problème : l’employeur est juge et partie. C’est en effet lui qui met les mesures sanitaires en place et qui apprécie ensuite si elles sont suffisamment efficaces pour permettre un retour des salariés en toute sécurité. Tout cela, sans que personne ne le contrôle.
Dans tous les cas, l’employeur doit motiver par écrit le refus de télétravail. Pour rappel, depuis le 17 mars et jusqu’à nouvel ordre, malgré le déconfinement, le gouvernement demande aux entreprises de privilégier, systématiquement, le télétravail. L’employeur doit donc démontrer que la présence sur le lieu de travail est indispensable au fonctionnement de l’activité.
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Et si le salarié refusant de se rendre au bureau est “à risque” ?
Le ministère dit que le télétravail doit être privilégié systématiquement. Mais l’employeur reste en mesure de refuser le télétravail en vue de son retour au bureau, même dans le cas d’une personne vulnérable (1).
Si le salarié vulnérable obtient un avis médical qui contre-indique son retour sur le lieu de travail, il serait toutefois risqué pour l’entreprise de forcer le retour au travail contre l’avis d’un professionnel de santé. Sa responsabilité pourrait être engagée en cas de problème ultérieur, par exemple pour faute inexcusable (sur le plan de la législation sociale), ou pour mise en danger de la vie d’autrui (sur le plan pénal).
Le salarié en question devra toutefois réussir à démontrer que l’infection au Covid est directement liée avec son retour au bureau. Ce qui risque d’être compliqué, car il faudrait démontrer que la maladie a pu être contractée au travail, ou dans les transports sur le trajet domicile-travail.
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Et si le salarié n’a aucune solution de garde ?
Si l’employeur refuse le télétravail, il doit motiver son refus. Ce refus n’étant, donc, pour l’instant, motivé que par son estimation de la conformité des mesures sanitaires mises en place.
Jusqu’au 1er juin, l’arrêt pour garde d’enfant est prolongé, en activité partielle, sur simple déclaration du salarié parent contraint de rester chez lui pour garder son enfant. La question se posera ensuite. Muriel Pénicaud a précisé le 29 avril que le régime de l’activité partielle serait maintenu, mais que l’indemnisation des salariés pourrait être moins importante. À partir du 1er juin, le parent salarié devra transmettre à l’employeur une attestation de l’école indiquant sa fermeture, afin de continuer de bénéficier du régime de l’activité partielle.
Si un salarié parent choisit en revanche délibérément de garder ses enfants, à partir du 1er juin, alors que leur école a ouvert, il pourra être obligé de retourner au travail, faute d’avoir un motif dérogatoire d’arrêt de travail. Le régime classique s’appliquera de nouveau et l’employeur pourra obliger un salarié à venir au bureau, si les écoles sont ouvertes et peuvent accueillir ses enfants.
Ceci reste bien sûr sous réserve car d’ici le 1er juin, en fonction de la situation sanitaire à date, des annonces pourraient intervenir pour prolonger le régime exceptionnel des arrêts de travail dits “garde d’enfant”.
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Quel est votre regard sur la législation actuelle et le guide du gouvernement ? Est-ce suffisant ?
Il est difficile pour le législateur et pour le pouvoir exécutif d’anticiper toutes les situations possibles dans un seul document et avant que les problèmes pratiques ne soient remontés du terrain. Il reviendra au juge, éventuellement saisi de difficultés, d’apprécier au cas par cas la situation, le respect des règles sanitaires, l’état de vulnérabilité du salarié, le respect d’un éventuel avis du médecin… Le document de questions/réponses du Ministère a donc vocation à être étoffé et détaillé dans les prochains jours et prochaines semaines.
(1) Selon le décret 2020-521 du 5 mai 2020, les salariés vulnérables sont notamment ceux qui : sont âgés de 65 ans et plus ; ont des antécédents cardiovasculaires ; ont un diabète non équilibré ou présentant des complications ; présentent une pathologie chronique respiratoire susceptible de décompenser lors d’une infection virale ; sont atteints d’un cancer ; présentent une obésité ; sont atteints d’une immunodépression congénitale ou acquise.