Alors que les dernières études montrent que la santé mentale des salariés français continue de se dégrader, notamment chez les managers, comment s’emparer concrètement de ce sujet en entreprise et (vraiment) libérer la parole ? Découvrez l’éclairage et les conseils de Noémie Guerrin, consultante et formatrice en prévention en santé mentale au travail et risques psychosociaux, fondatrice du cabinet Santé du dirigeant.
La santé mentale au travail, c’est l’affaire de tous ?
Oui, nous sommes tous concernés personnellement, pour nous-mêmes ou pour notre entourage (proches, famille, collègues…). On parle désormais plus de certaines pathologies qu’avant, par exemple du burn-out et de l’épuisement professionnel, mais certaines restent encore tabous comme la dépression ou les idées suicidaires. Or, quand j’interviens sur ce sujet en entreprise, il y a, dans chaque cession, une personne au moins qui a été touchée de près ou de loin. Il est essentiel de libérer la parole. Le sujet de la santé mentale en entreprise est parfois flou, mal compris et trop réglementaire. Pourtant, il y a la réalité du terrain. Celle que l’on peut tous et toutes connaître à toutes les strates de l’entreprise. Le stress, par exemple, est l’un des principaux défis que doit relever le monde professionnel et il touche autant les salariés que les dirigeants. Cela représente des coûts énormes, tant en termes de souffrance humaine qu’en raison de la réduction des performances. Plus largement, les troubles psychiques constituent la première cause d’invalidité et le deuxième motif d’arrêt de travail.
Comment les entreprises peuvent-elles agir concrètement sur le sujet de la santé mentale ?
Il y a, selon moi, deux entrées possibles. La première, qui est idéale, est d’agir en prévention. C’est souvent le cas quand les dirigeants, c’est-à-dire les RH, le Codir et les managers, sont eux-mêmes déjà sensibles à ces questions, qu’ils ont conscience de leur importance et l’envie de prévenir plutôt que de guérir. Concrètement, il peut s’agir de sensibilisation ou de formation via des webinars, des ateliers, mais aussi un audit suivi d’un plan d’actions. L’acculturation doit être progressive et peut se faire en se focalisant sur des thèmes précis : l’empathie et la bienveillance, la CNV, la gestion des incivilités et de l’agressivité, les stratégies de coping face au stress, l’équilibre vie pro – vie perso, la charge mentale, etc. Cela ne se fait pas en une fois, du jour au lendemain ! La deuxième entrée se fait généralement quand l’entreprise doit gérer une crise : il ne s’agit alors plus de prévention, mais de mesures d’urgence fortes face à un suicide ou un cas avéré d’harcèlement par exemple. La prise de conscience est forcée, souvent avec des réticences : il s’agit de faire face à la crise, mais aussi de prendre des mesures pour agir également sur le long terme.
Quels sont les piliers pour instaurer une culture d’entreprise ouverte sur ces questions ?
Le premier pilier, c’est l’implication des dirigeants au sens large qui doivent se sentir concernés et avoir une vraie compréhension des enjeux en termes de marque employeur, d’attraction et de rétention des talents, des attentes des jeunes générations… Le deuxième, c’est la coresponsabilité entre l’employeur et les collaborateurs. Il est important de rendre ces derniers acteurs et de ne pas les infantiliser. La prévention des risques psychosociaux n’est pas l’apanage du CSE, il doit y avoir une vigilance collective et interne avec des référents, exactement comme sur la question du handicap. Enfin troisième et dernier pilier selon moi : changer de regard sur la promotion des managers. Il est nécessaire de valoriser les compétences managériales, comme l’écoute, pour favoriser l’émergence de vrais leaders, au lieu de promouvoir systématiquement des professionnels bons techniquement dans leur métier. Le bon manager saura fédérer son équipe, et ne la perdra pas en chemin en se focalisant sur les résultats et la performance à court terme.
Vous insistez beaucoup sur le rôle des dirigeants. Est-ce que le sujet de la santé, et, a fortiori, de la santé mentale des dirigeants est encore tabou ?
Oui, dans beaucoup de milieux et d’entreprises, évoquer ce sujet reste un aveu de faiblesse. Voire ce n’est pas un sujet du tout ! Beaucoup disent encore ne pas avoir le temps de s’occuper d’eux et de leur santé. Et ne sentent tout simplement pas concernés. Ils ont aussi souvent peur du regard des autres, notamment des concurrents. Or, si le chef d’entreprise et/ou les top managers ne vont pas bien, les équipes ne peuvent pas aller bien. Il y a tout un imaginaire à déconstruire autour du leader. Les dirigeants sont souvent perçus comme des figures de leadership fortes et invincibles, et peuvent craindre de perdre leur crédibilité s’ils abordent le sujet de la santé (et en particulier de la santé mentale) pour eux-mêmes ou pour leurs équipes.
Pourtant, la santé du dirigeant peut-être considéré comme un actif intangible pour l’entreprise. En d’autres termes, la santé du dirigeant peut avoir un impact significatif sur la performance et pérennité de l’entreprise. En conséquence, prendre soin de sa santé n’est plus simplement une question de bien-être personnel, mais également une nécessité pour la survie et la réussite de l’entreprise. Il est donc essentiel que les dirigeants considèrent leur santé comme une priorité pour eux-mêmes et pour leur entreprise. Selon moi, la santé du dirigeant est la clé de la santé d’une organisation tout entière. En effet, les dirigeants ont la capacité de mettre en place une culture ouverte autour du thème de la santé mentale et de créer un environnement dans lequel il serait tout aussi naturel de se soucier du bien-être psychique des individus que de leur bien-être physique.
Vous évoquiez la vigilance et le rôle de chacun : en quoi consiste la formation « Premiers secours à la santé mentale » ?
C’est un brevet de secourisme, comme celui délivré pour les premiers secours civiques. Il s’agit d’une formation citoyenne, réalisable en entreprise mais aussi en dehors. L’idée est de former des secouristes en santé mentale, c’est-à-dire des personnes capables de détecter et d’accompagner des personnes en détresse psychologique. La formation apporte des connaissances, lève certaines idées reçues et démythifie le sujet. Le but : mieux comprendre pour savoir venir en aide. Une connaissance des différents troubles et de leurs symptômes permet en effet de développer des comportements adaptés : parole et attitude bienveillantes pour apporter aide et soutien immédiat à la personne en difficulté, la rassurer, l’informer et éventuellement l’orienter vers une prise en charge professionnelle. Cette formation citoyenne permet aussi de déstigmatiser les troubles psychologiques en participant à l’évolution de l’image que tout à chacun se fait de la santé mentale. De grandes entreprises forment leurs salariés à grande échelle : AP2R, Engie, Pôle Emploi, la SNCF… Dans le cadre professionnel, la formation « Premiers secours à la santé mentale » décline la posture professionnelle à avoir lorsqu’un de nos collaborateurs éprouve une grande tension nerveuse, une grande fatigue, une détresse psychologique. Sans prendre le rôle d’un soignant, et avec l’accord de la personne concernée, cette formation permet d’aider à orienter vers les ressources (locales) adaptées. En tant que « secouriste en santé mentale », vous devenez une sentinelle qui sait passer un relais efficace aux professionnels spécialisés dans la prise en charge de la souffrance des salariés. Les secouristes en santé mentale sont des maillons de la chaîne préventive et contribuent à la promotion d’un environnement de travail sain, sécurisant et bienveillant.