Carrière

Le vote électronique et les données personnelles

La loi du 8 août 2016, dite “Loi Travail”*, a modifié les dispositions légales relatives au vote électronique aux élections professionnelles pour en élargir les possibilités de recours. Un récent décret est venu en préciser les contours. Retour sur ces nouvelles dispositions et sur les recommandations de la Cnil. Par Nicolas Moreau, associé du Pôle Propriété intellectuelle et Technologies de l’information, et Marie-Charlotte Diriart, associée du Pôle Droit social, au sein du cabinet Brunswick Société d’Avocats.

 

La Loi Travail a modifié les articles L.2314-21 et L.2324-19 du Code du Travail respectivement consacrés aux élections des délégués du personnel et des représentants du personnel au comité d’entreprise en introduisant la possibilité pour l’employeur de recourir au vote électronique pour ces élections, même en l’absence d’accord collectif.

 

Une décision qui peut être unilatérale

Alors qu’auparavant la loi subordonnait le recours au vote électronique à la conclusion d’un accord d’entreprise, celui-ci est désormais possible si un accord d’entreprise ou de groupe ou, à défaut, l’employeur le décide. La mise en place du vote électronique n’a pas vocation à remplacer systématiquement celui à bulletin secret sous enveloppe. Toutefois, l’accord collectif ou la décision unilatérale de l’employeur peut décider d’exclure le vote à bulletin secret au profit du système électronique par souci de simplicité. L’employeur doit alors s’assurer que chaque électeur disposera des outils nécessaires pour voter électroniquement de son lieu de travail ou à distance.

 

Aucun avis de la Cnil n’a été sollicité

L’objectif poursuivi par cet assouplissement est naturellement de faciliter l’utilisation des outils numériques par les acteurs du dialogue social dans l’entreprise, d’accroître le taux de participation aux élections professionnelles, et ainsi améliorer par ricochet la représentativité des représentants du personnel. Les modalités pratiques de mise en œuvre de ces nouvelles dispositions devaient être fixées par un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (Cnil). Or, après quelques mois d’attente, le décret** a été pris par le Conseil d’État après avis de la Commission Nationale de la Négociation Collective, et non de la Cnil.

 

La responsabilité de l’employeur peut être engagée

À défaut de pouvoir aujourd’hui se rapporter à un avis de la Cnil sur ces dispositions nouvelles, il est possible de se référer à ses précédentes délibérations pertinentes sur le sujet, à savoir sa Délibération n°2006-200 du 14 septembre 2006 portant avis sur les projets de décret en Conseil d’État et d’arrêté relatifs aux modalités de vote électronique pour l’élection des délégués du personnel et du comité d’entreprise, et sa Délibération n°2010-371 du 21 octobre 2010 portant adoption d’une recommandation relative à la sécurité des systèmes de vote électronique. L’employeur est en première ligne dans la mise en œuvre du système de vote électronique dans son entreprise dès lors que sa responsabilité peut être engagée, notamment devant la Cnil, en cas de non-respect des obligations liées à la loi Informatique et Libertés et au Code du travail, et ce quel que soit le sérieux et la réputation de la société prestataire de services à laquelle il fait appel pour l’accompagner dans la mise en place du vote électronique. Il est donc primordial pour ce dernier de bien rédiger le cahier des charges de mise en place du système de vote électronique, que cela soit dans le cadre de l’accord collectif ou dans le cadre de sa décision unilatérale. Au-delà du respect de cet aspect réglementaire, il est également recommandé à l’employeur de bien choisir son prestataire de services et de suivre de près les opérations de vote électronique aux côtés de ce dernier.

 

Les grands principes :

S’il est difficile de résumer en quelques lignes les caractéristiques du système de vote et les obligations de l’employeur à cet égard, on peut toutefois mettre en avant les grands principes suivants :

–               Le système de vote électronique, une fois choisi, doit être expertisé par un expert indépendant et compétent en sécurité informatique. Cette expertise doit intervenir lors de la conception initiale du système utilisé, à chaque fois qu’il est procédé à une modification et préalablement à chaque scrutin recourant au vote électronique (CE 11 mars 2015, n°368748).

–               Les données nominatives des électeurs et des votes doivent être traitées par des systèmes informatiques distincts, dédiés et isolés afin qu’aucun lien ne puisse être fait entre un électeur et son vote.

–               Des mesures de sécurité strictes doivent être prises dans le cadre du vote électronique, tant physiquement (contrôle d’accès, détermination précise des personnes habilitées à intervenir…) qu’informatiquement (firewall, protection d’accès aux applicatifs tels que algorithmes de chiffrement et de signature électronique…).

–               Le système de vote électronique doit faire l’objet d’un scellement, à savoir un procédé permettant de déceler toute modification du système.

–               Une solution de secours offrant les mêmes garanties et caractéristiques que le système principal doit être prévue en cas de panne de ce dernier.

–               Une cellule d’assistance technique permettant la surveillance effective du scrutin doit être mise en place.

–               Le système informatique central du vote électronique doit être localisé sur le territoire national.

–               L’employeur doit informer les organisations syndicales de salariés représentatives dans l’entreprise ou les établissements concernés, de l’accomplissement des formalités déclaratives préalables auprès de la Cnil.

Le cahier des charges doit également suivre les recommandations de la Cnil à tous les stades des élections professionnelles, notamment :

–               Les opérations précédant l’ouverture du scrutin doivent notamment être l’occasion de fournir aux électeurs une note explicative détaillant clairement les opérations de vote ainsi que le fonctionnement général du système de vote électronique.

–               Le vote en lui-même doit également être encadré notamment par un chiffrement des bulletins et par un contrôle strict des opérations d’émargement.

–               Le dépouillement, quant à lui, doit s’effectuer dans des conditions de sécurité garantissant la sincérité du scrutin et la confidentialité des votes.

–               Enfin, après la déclaration des résultats, tous les fichiers supports de l’opération électorale doivent être conservés sous scellés jusqu’à l’épuisement des délais de recours.

 

Des obligations pas si lourdes

Si l’ensemble de ces obligations peut sembler lourd, on notera toutefois qu’un bon nombre d’entre elles n’ont vocation à être mises en œuvre qu’à l’occasion de la première mise en place du système de vote électronique au sein d’une entreprise. C’est notamment le cas de la déclaration à effectuer auprès de la Cnil au moment de la mise en place de ce système. Par ailleurs, bien qu’il soit de la responsabilité de l’employeur de s’assurer de la conformité du système avec la législation en vigueur, celui-ci peut compter dans ce processus sur l’expertise de ses conseils habituels et des opérateurs de systèmes de vote électronique pour l’assister. Aussi, la balance des avantages et des inconvénients liés à la mise en place du vote électronique au sein des entreprises penche nettement en faveur de la mise en œuvre d’un tel système, notamment en ce qu’il permet de garantir la sincérité du vote et d’optimiser l’organisation des opérations électorales.

 

* Loi n° 2016-1088 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

** Décret n° 2016-1676 du 5 décembre 2016 (publié au J.O. le 6 décembre et entré en vigueur le 7 décembre 2016).

Auteurs

Marie- Charlotte Diriart 2016 Marie-Charlotte Diriart est avocate associée au sein du cabinet Brunswick Société d’Avocats. Elle assiste ses clients dans toutes leurs problématiques de droit social et notamment dans le cadre de contentieux collectifs et individuels et de plans de sauvegarde de l’emploi d’envergure.

 

Nicolas Moreau Nicolas Moreau est associé au sein du cabinet Brunswick Société d’Avocats. Il intervient dans tous les domaines de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies. Il gère également pour le compte de ses clients d’importants portefeuilles de marques, modèles et noms de domaine, les conseille dans leurs rapports contractuels et les assiste dans le cadre de leurs contentieux.

 

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