L’empouvoirement consiste à faire descendre le pouvoir de décider jusque là où se trouve le pouvoir d’agir. Mieux adapté aux enjeux des entreprises actuelles, ce management délégatif va de pair avec l’épanouissement des salariés. Par Thierry Nadisic, professeur associé à l’EM Lyon Business School.
Lorsque Franck, qui fait face à un client mécontent, prend une initiative, trouve une nouvelle façon de répondre à sa demande bloquée et assume la responsabilité d’actions dans lesquelles il enrôle plusieurs de ses collègues, il s’engage en déployant une forte énergie. Le sourire de son client lui fait du bien. Si c’est son manager qui avait fait le diagnostic du dysfonctionnement, trouvé une solution que sa hiérarchie aurait validé, réuni l’équipe, partagé et attribué les tâches, Franck aurait simplement fait ce qui lui était demandé. Il aurait fait plaisir à son chef mais toute l’énergie positive liée à l’action lui aurait échappée. Cette seconde méthode est caractéristique de nos organisations traditionnelles. Elle donne la priorité au contrôle par l’autorité. Elle produit un comportement de bon élève obéissant.
Un management délégatif
Dans un environnement stable et lent, comme pouvait l’être celui de la Seita tel que décrit par Crozier en 1963 dans son livre “Le phénomène bureaucratique”, elle donne des résultats. La première méthode est plus à même de répondre aux enjeux des entreprises engagées dans la “Troisième révolution industrielle”, que décrit Jeremy Rifkin dans son livre éponyme. Elle va également de pair avec un meilleur épanouissement des personnes au travail. Un principe classique d’organisation est la séparation entre ceux qui pensent et décident (les ingénieurs, les “sachants” qui ont fait de longues études, les experts, les dirigeants, l’élite) et ceux qui appliquent et agissent (les autres).
Comment peut on s’épanouir au travail lorsque seulement la moitié de ses talents est mise à contribution ? Depuis quelques années, dans des entreprises comme Gore, Michelin, Décathlon ou Chronoflex, de nouvelles manières d’organiser le travail, faisant appel à l’ensemble des ressources de la personne, émergent. On peut en rendre compte par le terme d’ “empouvoirement”. Il s’agit d’une nouvelle forme de management de type délégatif qui utilise souvent le coaching. Les responsables ont pour rôle de gérer les processus, les méthodes, les manières de coordonner, de faire participer et de laisser décider. Ils donnent envie de réfléchir, de créer, d’agir, de faire, de résoudre, d’avancer, par soi-même et ensemble. Une méthode comme celle des “processus délégués” mise au point par le coach Alain Cardon permet à chacun de participer réellement à tous les processus de décisions pour mieux déployer ensuite son énergie dans des actions assumées.
Un cercle vertueux qui n’a rien d’automatique
L’épanouissement est souvent vu comme la récompense d’un travail bien fait. Il a aussi vocation à devenir le moteur même de l’empouvoirement. S’épanouir, c’est d’abord développer des qualités personnelles, en particulier l’optimisme (ou la confiance dans son pouvoir d’agir avec succès) et l’auto-compassion (ou la capacité à accepter ses vulnérabilités). C’est aussi entrer dans un lien interdépendant, constructif, en résonance positive avec l’autre. C’est enfin suivre une vision pour laquelle on s’engage et surmonter avec résilience les échecs qui apparaissent sur le chemin. Un contexte d’organisation dans lequel le pouvoir de décider est délégué auprès de ceux qui ont pour mission de mettre en œuvre les projets sur le terrain est propice à l’épanouissement. On a plus envie de renforcer ses qualités si on sait qu’on pourra les utiliser pleinement. On est plus à même de se relier à l’autre si on pense qu’on pourra coopérer pour construire ensemble. On a plus tendance à suivre une vision commune et à rebondir en cas de difficulté si on a la conviction qu’elle est en ligne avec sa vision personnelle. Ce triple fleurissement nourrit à son tour la capacité à décider et à agir efficacement.
Dans un environnement compétitif et technologique complexe et incertain, dans lequel il convient de décider et d’agir vite avec un esprit d’initiative et d’innovation, les organisations qui rapprochent le pouvoir de décider du pouvoir d’agir sont en meilleure posture. Le coaching est une méthode qui paraît adaptée pour réaliser cette forme de management délégatif qu’est l’empouvoirement. Celui-ci donne plus de chances à l’épanouissement de chacun d’émerger et deviendra à son tour un moteur pour approfondir cette nouvelle façon de travailler. Ce cycle vertueux n’a rien d’automatique. Quelques entreprises ont montré qu’il est possible s’il devient une priorité, s’il se traduit par un changement profond d’organisation et s’il est réalisé par un travail managérial constant.
L’auteur
Docteur en en comportement organisationnel, Thierry Nadisic est professeur de management, droit et RH à l’EM Lyon et coach certifié. Auteur de “S’épanouir sans gourou ni expert” (Eyrolles), ses recherches explorent le “sentiment du juste”, les émotions et l’épanouissement au travail et dans la vie quotidienne.