Alors que la cohabitation de plusieurs générations sous un même toit a disparu dans les foyers occidentaux au début du XXe siècle, l’entreprise y est de plus en plus confrontée. C’est la combinaison de l’allongement de la durée du travail des seniors avec l’arrivée de nouvelles générations qui crée cette situation inédite. Même si l’embauche des plus jeunes est encore freinée par la crise, elle s’accélèrera avec le départ des baby-boomers souvent surreprésentés dans les grandes entreprises françaises. Analyse par Ghislain Grimm, directeur du département workplace solutions et de l’innovation Colliers nternational France.
Au-delà des seules études démographiques, c’est avec l’arrivée d’Internet en entreprise que sont apparues en 2001 les premières réflexions(1) sur l’impact de la génération née après 1980 avec les nouvelles technologies (“Digital Natives”), sur l’entreprise et son management.
Le mythe de la génération Y
C’est la naissance de ce qu’il faut appeler le mythe de la “génération Y”, tant il est vrai que si une même génération peut présenter des attentes ou comportements similaires, elle ne peut pas être considérée comme parfaitement homogène et en rupture systématique avec la précédente. D’autre part, les études montrent que l’âge est bien moins déterminant dans son rapport au travail que la classe sociale ou la formation(2), ou encore que le bon usage de la technologie n’est pas déterminé par l’âge(3). On peut être de la “Gen Y”, familier avec les outils numériques, et pourtant peu efficace dans un usage inadapté des outils numériques en entreprise.
À chaque génération des faits marquants, mais des aspirations transgénérationnelles
Si l’on doit donner quelques caractéristiques à chaque classe d’âge, on peut convenir que :
– les “boomers (1945-1960)” connaissent une période de plein emploi et vont être dans une vie centrée sur le travail et la valorisation sociale.
– la “génération X (-1980)” recherche un équilibre entre vie professionnelle et familiale, la découverte et l’apprentissage dans un monde plus divers et multiculturel.
– la “génération Y (1981-1994)” recherche un équilibre entre travail, famille et loisirs. Elle est ouverte sur le monde, familière avec la technologie et indépendante envers l'employeur.
Enfin la “génération Z (>1995)” à venir, devrait être une génération connectée, mêlant vie professionnelle et personnelle, communautaire, autonome et entrepreneuriale.
À y regarder de plus près, ces éléments ne sont en fait que les tendances sociétales de chaque période qui ont forgé le rapport à l’entreprise de ces générations, ils ne constituent donc pas leurs valeurs propres ou leurs aspirations, mais le contexte de l’époque. Les technologies ont ainsi profondément transformé les modes de travail depuis 30 ans, pour toutes les classes d’âge, et de façon différenciée selon de nombreux critères (maturité dans l’usage, intérêt, formation, métier…)
Organiser et manager l’entreprise multigénérationnelle
L’entreprise d’aujourd’hui accueille donc toute la diversité, générationnelle, culturelle ou de genre, qui aspire les dirigeants et les managers à définir le projet du “vivre et travailler ensemble”, autour de valeurs, de culture, de modes d’organisation et d’environnement de travail communs.
L’autonomie et la confiance, le sens et la responsabilité sont les valeurs émergentes en 2015 qui réunissent largement toutes les classes d’âge, dans une approche que l’on pourrait qualifier “d’entreprise libérée”(4). Il reste à organiser l’environnement de travail en lien avec des espaces de travail multiples (domicile, bureaux, tiers-lieux, mobilité), connectés et collaboratifs, responsables et durables, flexibles et agiles, à l’instar du new way of working inspiré par l’Europe du Nord, dans un mode de management libéré où est érigé le mentorat intergénérationnel comme un mode de transmission privilégié des savoirs et des compétences, tel que le contrat de génération l’a introduit en 2013.
(1) Digital Natives, Digital Immigrants, by Marc Prensky – On the Horizon (MCB University Press, Vol. 9 No. 5, October 2001).
(2) “Génération Y” au travail : un péril jeune ?, Jean PRALONG Rouen Business School -département Management & Stratégie 2011.
(3) Deconstructing Digital Natives – Young People, Technology, and the New Literacies, Edited by Michael Thomas (Routledge – 2011).
(4) Liberté & cie – Isaac Getz, docteur en Psychologie et en Management, est professeur à l’ESCP Europe et Brian M. Carney est un membre londonien du comité de rédaction du Wall Street Journal.